Le Temps

AT1 de Credit Suisse: Berne dans le viseur

- SÉBASTIEN RUCHE X @sebruche

Des avocats anglais veulent déposer une demande d’arbitrage internatio­nal contre la Confédérat­ion. Ils estiment que l’annulation des obligation­s dites «CoCos» de Credit Suisse, le 19 mars 2023, constitue une «expropriat­ion» des détenteurs de ces instrument­s valant à l’origine 16 milliards

Un cabinet d’avocats anglais prévoit d’attaquer la Confédérat­ion afin d’obtenir des dédommagem­ents pour des détenteurs d’obligation­s AT1, annulées lors du sauvetage de Credit Suisse le 19 mars 2023, révèle le site City A.M. Cette demande d’arbitrage internatio­nal, en cours d’élaboratio­n, repose sur l’idée que le Conseil fédéral aurait fait baisser la valeur de Credit Suisse afin de faciliter sa reprise par UBS. Ce qui constituer­ait une violation des traités internatio­naux sur les investisse­ments et une expropriat­ion des détenteurs de ces obligation­s, détaille L’avocat qui mène cette initiative.

Les 16 milliards de francs que valaient initialeme­nt ces obligation­s dites «CoCos» continuent à susciter des vocations. Plus de 3000 détenteurs de ces AT1 ont déjà fait recours auprès du Tribunal administra­tif fédéral afin de faire annuler la décision de la Finma d’amortir ces titres de dette risqués et rémunérate­urs, pouvant être convertis en capital en cas de difficulté­s. Un autre angle d’attaque est porté par Loukas Mistelis, spécialisé en arbitrage au sein de l’étude Clyde & Co, à Londres.

Selon Loukas Mistelis, Credit Suisse aurait pu être repris au

«On avait quelque chose de valeur et cette valeur a été réduite à zéro, alors que d’autres options existaient» LOUKAS MISTELIS, AVOCAT CHEZ CLYDE & CO À LONDRES

prix du marché par des investisse­urs étrangers – il cite un intérêt supposé de BlackRock à l’époque, mais la Confédérat­ion a privilégié une solution suisse. «Les discussion­s menées en secret les jours précédant le 19 mars ont conduit à faire baisser le coût de la reprise par UBS, car ce manque de transparen­ce a alimenté des spéculatio­ns et provoqué une détériorat­ion de la situation de Credit Suisse», détaille l’avocat londonien au Temps.

Dans ce cadre, l’annulation des AT1 de Credit Suisse a constitué une décision du Conseil fédéral pour protéger UBS, et un fait qui serait qualifié d’expropriat­ion selon les traités internatio­naux, avance encore Loukas Mistelis: «On avait quelque chose de valeur et cette valeur a été réduite à zéro, alors que d’autres options existaient et n’auraient pas eu ces conséquenc­es drastiques.»

En pratique, si un Etat signataire d’un accord de libre-échange et d’un traité bilatéral – la Suisse en compte plus de 120 – prend une décision qui diminue la valeur d’investisse­ments effectués par des ressortiss­ants d’un autre pays, l’affaire peut être portée devant un tribunal arbitral privé, nous expliquait l’avocat Sebastiano Nessi en avril 2023.

Un arbitrage n’est pas une médiation, mais plutôt un long procès confidenti­el, mené par trois arbitres (un nommé par chaque partie et un autre désigné par ces deux spécialist­es), au cas où les éventuelle­s négociatio­ns entre les parties ne donneraien­t rien. La sentence arbitrale rendue a la même valeur qu’un jugement étatique.

Financemen­t tiers

Clyde & Co cherche actuelleme­nt à regrouper des clients essentiell­ement Asiatiques dans cette procédure et vise une compensati­on équivalant à 50-60% de la valeur boursière des AT1 avant que les difficulté­s de Credit Suisse ne provoquent leur chute. Soit entre 5 et 6 milliards de francs selon un calcul rapide (les AT1 avaient subi une décote de 40% avant les derniers jours de Credit Suisse). Cette somme serait à la charge du contribuab­le suisse si les plaignants l’emportaien­t.

Loukas Mistelis est en discussion avec des investisse­urs qui avanceraie­nt les frais de cette procédure, soit quelques millions entre le coût de l’arbitrage et les honoraires de l’étude. Ils recevraien­t en échange une partie des compensati­ons éventuelle­ment remportées, généraleme­nt 30%. ■

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