Le Temps

«Une Vie», la modestie du juste

CINÉMA L’histoire de Nicholas Winton, un Anglais qui sauva des centaines d’enfants juifs de Tchécoslov­aquie, inspire à James Hawes un émouvant téléfilm de luxe

- N.C.

Anthony Hopkins a bien de la chance: octogénair­e, il trouve toujours des rôles à la mesure de son formidable talent. Le voici dans celui du «Schindler britanniqu­e»: Nicholas Winton (1909-2015), un homme qui sauva pas moins de 669 enfants juifs en organisant des transports spéciaux en train entre Prague et Londres puis des adoptions en Angleterre.

Evidemment, un autre acteur (Johnny Flynn) est chargé d’incarner Winton jeune. Mais c’est bien Hopkins qui, en vieil homme discret débusqué tardivemen­t par une émission de télévision, rend le rôle mémorable, dans la droite lignée de son grand-père juif dans Armageddon Time de James Gray. Tiré d’un livre de la fille de Winton, Une Vie est le type même du film de producteur­s calculé pour avoir du succès, confié à un vétéran du petit écran (James Hawes, trente ans d’anonymat) et dès lors parfaiteme­nt académique.

Il n’empêche que même sans une seule véritable idée de mise en scène, c’est du travail bien fait. Et que le sujet résonne fortement en ces temps qui auraient besoin de bien d’autres actions de ce genre. Le titre ne provient-il pas de cette fameuse phrase du Talmud qui dit que «celui qui sauve une seule vie sauve le monde entier»?

Emotion télévisée

En 1988, invité par son épouse (Lena Olin) à débarrasse­r d’encombrant­es affaires durant son absence, Winton tombe sur ses archives de 19381939 et se remémore. Et c’est parti pour une structure alternant deux époques. Dans le passé, ce jeune banquier est détourné de vacances de ski en Suisse par un ami attaché à l’ambassade du Royaume-Uni à Prague.

Il y découvre le drame des réfugiés juifs après l’annexion des Sudètes (régions germanopho­nes de Tchécoslov­aquie) par l’Allemagne et décide de s’impliquer auprès d’une organisati­on d’aide.

Dans le présent, son album de souvenirs trouve son chemin jusqu’à l’émission de la BBC That’s Life!, qui réussit à le cueillir par surprise en le confrontan­t à des personnes qui lui doivent la vie.

C’est par contre sans trop de surprise qu’on apprend que Winton était lui-même juif (nom d’origine Wertheim) et que sa mère (Helena Bonham Carter) lui avait inculqué de solides valeurs humanistes. Mais quelle force de persuasion il aura fallu pour faire bouger aussi bien des responsabl­es de communauté réticents que des bureaucrat­es britanniqu­es indifféren­ts! Mise en place tardivemen­t, l’opération ne put aller jusqu’à son terme – à la déclaratio­n de la guerre, un neuvième convoi resta bloqué – suscitant d’éternels regrets chez Winton. D’où l’émotion imparable de cette reconnaiss­ance publique tardive.

A l’heure qu’il est, sans doute a-t-on déjà vu trop d’images semblables pour qu’un tel film puisse encore se détacher du lot. On se consolera un peu en reconnaiss­ant d’autres vieux amis tels que Jonathan Pryce (Brazil) ou, le temps d’une scène, Marthe Keller (en épouse du magnat de la presse Robert Maxwell). Mais pour finir, même le fait que l’«opération Winton» nous a valu un cinéaste majeur en la personne de Karel Reisz (Samedi soir, dimanche matin, La Maîtresse du lieutenant français) sera passé sous silence. ■

Une Vie (One Life), de James Hawes (Royaume-Uni, 2023), avec Anthony Hopkins, Johnny Flynn, Lena Olin, Helena Bonham Carter, Romola Garai, Jonathan Pryce, Marthe Keller, 1h49.

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