«Green Border», chronique de la migration désespérément ordinaire
CINÉMA Agnieszka Holland signe un film d’une rare puissance sur la crise migratoire de 2021 à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie
En 2021, lorsque éclate à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie une nouvelle crise de la migration, Agnieszka Holland a instantanément l’intuition que la fiction pourra montrer ce qui se refuse au documentaire. Les autorités polonaises ont interdit l’accès aux zones frontalières aux médias et aux organisations humanitaires, mais qu’à cela ne tienne, le cinéma est là pour montrer l’invisible, selon l’expression consacrée.
La grande cinéaste de Varsovie, qui depuis le début des années 1970 s’est régulièrement intéressée aux ravages de la guerre et aux dérives fascistes, s’est alors muée en journaliste pour rencontrer des migrants, des gardes-frontières et des activistes. A partir de leurs témoignages, elle a élaboré le scénario de Green Border, articulé autour de ces trois points de vue, pour une expérience quasi immersive tant sa caméra fait corps avec le sujet ainsi qu’avec les protagonistes.
Le film s’ouvre sur l’arrivée d’une famille syrienne et d’une femme afghane en Biélorussie. Pour eux, il ne s’agit là que d’une première halte avant un voyage vers la Suède via la Pologne.
Tout a été organisé en amont… Si ce n’est qu’ils vont être littéralement pris en otage par les autorités des deux pays, qui vont à tour de rôle les arrêter et les renvoyer de l’autre côté des barbelés. Qu’ils soient vivants ou morts.
Tourné en noir et blanc, Green Border se déroule essentiellement dans des forêts où les migrants vont devoir, tels des personnages de conte, échapper à l’ogre et au grand méchant loup. Avec une force implacable, Agnieszka Holland montre comment, pour la Biélorussie, avec forcément en arrière-fond le spectre de la Russie, ils sont utilisés comme une arme destinée à déstabiliser l’Europe.
Son film, qui allie la force du documentaire et la dimension épique de la fiction, avec quelques fulgurances picturales dans sa mise en scène et de beaux symboles (des oiseaux migrateurs qui survolent paisiblement la frontière), est sidérant dans la manière qu’il a de montrer la complexité d’une crise géopolitique à travers des destins individuels. Et heureusement, au milieu de la noirceur, il y a parfois un peu de lumière et d’espoir. ■
Green Border, d’Agnieszka Holland (Pologne, Etats-Unis, France, République tchèque, Belgique, Allemagne, Turquie, 2023), avec Jalal Altawil, Maja Ostaszewska, Behi Djanati Ataï, Mohamad Al Rashi, Dalia Naous, 2h27.