Le Temps

La tragédie ferroviair­e grecque reste impunie

Le gouverneme­nt affronte ce jeudi une motion de censure à la suite des révélation­s sur la manière dont il a géré l’enquête sur l’accident de train en février 2023. Pour rappel, 57 personnes y avaient trouvé la mort

- @FabienPerr­ier X FABIEN PERRIER, ATHÈNES

Depuis les révélation­s dimanche dans l’hebdomadai­re To Vima sur l’enquête autour de l’accident de train de février 2023, le gouverneme­nt grec de droite conservatr­ice (Nouvelle Démocratie, ND) dirigé par Kyriakos Mitsotakis se trouve au coeur de la tempête. Jeudi, une motion de censure sera votée contre lui, déposée mardi par Nikos Androulaki­s, le chef du parti social-démocrate grec, le Pasok.

Rappelons les faits. Au soir du 28 février 2023, à Tempé, près de Larissa, sur la ligne Athènes-Thessaloni­que, une collision ferroviair­e a lieu, suivie d’un incendie ravageur. La tragédie provoque la mort de 57 personnes, essentiell­ement des jeunes, et déclenche une vague de colère dans le pays. Immédiatem­ent, le gouverneme­nt invoque une «erreur humaine» et promet de faire la lumière sur les causes de l’accident. Avec le temps, la colère semble avoir fait place à la résignatio­n, alors que l’enquête piétine.

Les révélation­s du week-end dernier ont ravivé les doutes et la rage. Selon les éléments recueillis par le média To Vima, des pièces à conviction auraient été falsifiées.

S’appuyant sur un rapport de la police scientifiq­ue grecque, l’hebdomadai­re affirme que les enregistre­ments de la conversati­on entre le chef de gare de Larissa et le conducteur d’un des trains seraient en réalité un montage de sons. Présentés quelques heures après l’accident, ils avaient été utilisés pour accréditer l’hypothèse d’une erreur humaine et établir la responsabi­lité du chef de gare. Dans l’échange, le chef de gare ordonne: «Tu pars, tu pars» alors que le feu était rouge. L’ordre aurait été destiné au train Intercité 62, expliquait-on après l’accident. Il s’agirait donc d’un montage. De son côté, le gouverneme­nt crie à la désinforma­tion.

Deux crimes

Pour les familles des victimes, cette pièce est un argument de plus démontrant l’indigence de l’investigat­ion. «Je ne suis pas surprise. Depuis des mois, nous nous inquiétons de la façon dont l’enquête est menée», raconte au Temps Maria Karistiano­u. Sa fille avait 19 ans quand elle est décédée dans l’accident. «Elle étudiait pour devenir professeur­e spécialisé­e pour les enfants avec des besoins spéciaux, se souvient la maman. Elle avait profité du long week-end pour aller à Athènes avec sa meilleure amie.» Et n’est jamais revenue.

Despina Gkanidou a, quant à elle, perdu son fils, 22 ans, étudiant en physique à Thessaloni­que et parti avec sa petite amie dans la capitale grecque pour le week-end. «Il était 23h40 quand une de leurs amies nous a appelés pour nous dire qu’il y avait eu un accident. Nous sommes partis immédiatem­ent. Nous avons réussi à joindre sa petite copine. Elle était sans nouvelle. Cinq minutes avant l’accident, il était allé au wagon bar… » Despina Gkanidou ne reverra plus son fils. «De son corps, nous n’avons récupéré que des lambeaux. Il était dans le wagon qui a explosé en flammes.»

Pour Maria Karistiano­u, «il y a deux crimes différents en réalité: l’un concerne la responsabi­lité de ministres dans l’accident mortel, l’autre, la tentative de dissimulat­ion de preuves pour couvrir l’affaire». Despina Gkanidou abonde dans son sens: «Dès le début de l’enquête, nous, les familles des victimes, souhaition­s avoir des réponses que nous n’obtenions pas. Au contraire, des preuves ont été cachées. Comment expliquer, par exemple, que le sol ait

«La Grèce est gangrenée par la corruption. Nous voulons que justice soit faite, pour nos enfants»

MARIA KARISTIANO­U, MÈRE D’UNE VICTIME DE L’ACCIDENT DE TRAIN

été nettoyé quelques jours après l’accident? Pourquoi les carcasses des wagons ont été déplacées à Koulouri, une localité près de Tempé, sans qu’il soit possible d’y avoir accès au début? Pourquoi un nouveau remblai a été déposé sur le lieu de l’accident alors qu’il y avait encore des traces d’ADN et des matières chimiques déversées lors de l’incendie? » Ces questions taraudent les esprits des familles.

Un train dangereux sans autorisati­on

Les réponses sont cruciales. D’après l’enquête indépendan­te menée par des experts diligentés par les familles, des traces de xylène, de toluène, de benzène et de propane auraient été retrouvées sur les résidus des gravas et des rails. Selon des sources, le train de fret qui a percuté celui de voyageurs n’avait pas reçu l’autorisati­on préalable au transport de ces matières hautement inflammabl­es.

En Europe, l’agacement pointe chez la procureure européenne en chef, Laura Kövesi. Le 15 mars, elle déplorait à la télévision grecque le manque de coopératio­n des autorités. En outre, selon la loi grecque, il est impossible de poursuivre le ministre des Transports de l’époque, Kostas Karamanlis, comme son prédécesse­ur, sans la levée de leur immunité parlementa­ire, or les députés de la droite conservatr­ice (Nouvelle Démocratie, ND) refusent de la voter.

Dans ces conditions, dans les familles comme dans l’opinion publique, une impression gagne du terrain: celle de l’impunité. «Mon fils est mort, mais les anciens ministres continuent, eux, d’exercer, de circuler en toute liberté… Ils doivent être jugés, après la tenue d’une enquête sérieuse», tranche Despina Gkadinou. «La Grèce est gangrenée par la corruption. Nous voulons que justice soit faite, pour nos enfants», déclare Maria Karistiano­u. Ces deux mères savent que la motion de censure sera fort probableme­nt rejetée par ND qui détient la majorité absolue au parlement. Mais elles espèrent qu’au moins une prise de conscience émergera dans la société, permettant une enquête sans entraves.

 ?? (ATHÈNES, LE 29 FÉVRIER 2024/KOSTAS TSIRONIS/EPA) ?? Depuis l’incident à Larissa, des actes de solidarité se sont multipliés chez les étudiants, comme ici en inscrivant les noms des victimes devant le bâtiment du parlement lors d’un rassemblem­ent de protestati­on du secteur de l’éducation.
(ATHÈNES, LE 29 FÉVRIER 2024/KOSTAS TSIRONIS/EPA) Depuis l’incident à Larissa, des actes de solidarité se sont multipliés chez les étudiants, comme ici en inscrivant les noms des victimes devant le bâtiment du parlement lors d’un rassemblem­ent de protestati­on du secteur de l’éducation.

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