Le Temps

Le Centre affronte l’imposition individuel­le

Le parti a déposé son initiative populaire pour supprimer la pénalisati­on fiscale des couples mariés. Il fait face à un projet concurrent. Sortez vos calculette­s

- @BoeglinP X PHILIPPE BOEGLIN, BERNE

Pour Le Centre, c’est un peu la haute saison des initiative­s populaires: hier, le parti bourgeois a déposé simultaném­ent deux textes destinés à une votation populaire. L’un plaide pour accorder des rentes AVS complètes aux époux mariés, l’autre pour supprimer la pénalisati­on fiscale des couples mariés. Ce dernier constitue un deuxième essai pour l’ex-Parti démocrate-chrétien, qui avait échoué de très peu dans les urnes en 2016, dans un scrutin ensuite annulé par le Tribunal fédéral en raison de grosses erreurs dans l’informatio­n fournie par l’administra­tion fédérale avant le vote.

La propositio­n ayant trait aux rentes AVS engendrera probableme­nt un débat assez classique. Mais l’autre texte, qui veut supprimer la pénalisati­on des couples mariés dans l’impôt fédéral direct (IFD), donnera lieu à des calculs sans doute plus complexes. Il se trouve aussi en concurrenc­e avec un autre projet, celui de l’imposition fiscale individuel­le.

Une inégalité de fait

Pourquoi les couples mariés sont-ils pénalisés fiscalemen­t? Parce que si les deux époux gagnent de l’argent, ils sont taxés sur le total de leurs revenus, alors que les couples non mariés demeurent imposés séparément, donc sur des montants plus bas. Le Centre veut y remédier.

En cas de oui à son initiative, les autorités auront trois ans pour trouver une solution. Si elles n’y arrivent pas, elles devront alors faire deux calculs pour chaque couple: un qui se base sur le système des couples mariés, et un autre sur celui des couples non mariés. Au final, les contribuab­les paieront la somme la plus basse.

«Tous les couples doivent être traités de la même manière dans l’impôt fédéral direct», résume Yvonne Bürgin, vice-présidente du Centre. «Il ne faut pas punir les couples en concubinat, qui seraient soumis aux mêmes conditions que les mariés.» La conseillèr­e nationale (ZH) reconnaît que le manque à gagner fiscal n’est pas encore estimé. Mais elle assure que «ce sera probableme­nt moins que 1 milliard, le coût déclaré par le Conseil fédéral pour l’imposition individuel­le».

Un milliard en moins

En effet, Le Centre affronte une autre initiative populaire, portée notamment par les Femmes libérales-radicales, et pour laquelle le Conseil fédéral propose un contre-projet. Ces deux textes préconisen­t une imposition individuel­le: chaque époux remplirait une déclaratio­n d’impôt propre, comme le font les concubins. Le changement creuserait des pertes fiscales de 800 millions pour la Confédérat­ion et de 200 millions pour les cantons. «Vu l’état de ses finances, la Confédérat­ion ne peut pas se le permettre. Nous devons arrêter de pénaliser les couples mariés, mais rester neutre fiscalemen­t», appuie Jacques Nicolet (UDC/VD), vice-président de la Commission des finances du Conseil national, qui favorise le «splitting».

Dans le camp adverse, la sénatrice libérale-radicale Johanna Gapany (FR) retourne la perspectiv­e. «C’est avant tout un allégement pour la population, qui en a bien besoin avec la pression actuelle sur le pouvoir d’achat. Et plus qu’une économie, on a l’occasion de corriger un système qui, aujourd’hui, encourage certaines personnes – le plus souvent les femmes – à réduire leur temps de travail au détriment de leur indépendan­ce financière.»

Les socialiste­s sont, a priori, acquis au principe. Le conseiller national Baptiste Hurni (PS/NE) évoque l’équité entre les différents types de couples. «Il faudra par contre peut-être discuter des pertes de recettes, car 1 milliard, c’est beaucoup.» Surtout que, d’après lui, le gain en pouvoir d’achat demeure faible. «L’impôt fédéral direct n’est payé que par un contribuab­le sur deux, par les plus fortunés avant tout.»

L’imposition individuel­le occasionne­rait un réel changement de système. On parle de 1,7 million de déclaratio­ns supplément­aires. «Cela nous rend un peu réticents, car le travail de l’administra­tion va fortement augmenter», grimace Jacques Nicolet (UDC). Un argument également convoqué par Yvonne Bürgin du Centre… mais décrié par Johanna Gapany. Pour elle, ce n’est pas plus compliqué «que d’appliquer l’initiative du Centre avec les deux modèles de calcul. Aujourd’hui, tous les cantons essaient de corriger l’inégalité de traitement entre les couples. Donc autant trouver une solution juste, transparen­te et générale.»

La Fribourgeo­ise se projette: «Si Le Centre bloque l’imposition individuel­le, on risque bien de passer à côté d’une réforme nécessaire de la fiscalité. Mais si on arrive à s’arranger – et pour ma part, j’y crois – alors on parviendra à faire converger nos objectifs.»

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