Le Temps

«Lorsqu’on parle d’aviation aujourd’hui, on devient quasiment suspect»

Le Conseil d’Etat abandonne sa stratégie visant à développer l’aéroport de Sion. Après consultati­on, le soutien au projet est trop faible. Pourtant, le ministre de l’Economie, Christophe Darbellay, n’y voit pas une défaite politique

- PROPOS RECUEILLIS PAR GRÉGOIRE BAUR X @GregBaur

La scène se déroule le 15 février dernier. Dans le hall de l’aéroport de Sion, Christophe Darbellay dévoile la stratégie imaginée pour l’avenir du tarmac sédunois, qui se résume en trois mots: raisonnabl­e, mesurée, durable. Pour démontrer l’importance de l’infrastruc­ture pour l’économie locale, le ministre centriste a invité plusieurs interlocut­eurs, du directeur de Zermatt Tourisme à celui de la start-up H55, héritière de Solar Impulse, en passant par celui d’une agence de voyages proposant des vols estivaux vers Majorque au départ de Sion. Quarante et un jours et une consultati­on plus tard, cette scène semble bien lointaine. Le Conseil d’Etat valaisan annonce abandonner le projet visant à transforme­r l’aéroport en un outil stratégiqu­e pour l’économie et le tourisme.

La stratégie imaginée pour le tarmac sédunois n’a pas obtenu «le soutien nécessaire à la poursuite d’un projet de cette ampleur». Elle consistait à faire passer le nombre de passagers de 35 000 à 71 000, voire 115 000 selon les scénarios imaginés. Pour cela, deux à trois avions de 100 places par jour étaient prévus du jeudi au dimanche. Cela se matérialis­erait par la création d’une société de gestion et d’exploitati­on, détenue à hauteur de minimum 51% par les collectivi­tés publiques. Elle devait être

«J’ai toujours dit que s’il existait un soutien politique, nous irions au bout, mais que s’il était insuffisan­t, nous rendrions le bébé à la ville de Sion»

financée par le canton et l’ensemble des communes, alors qu’aujourd’hui le déficit annuel d’environ 3 millions est à la charge du canton et de la ville de Sion, à parts égales. Ministre chargé de l’Economie, Christophe Darbellay prend acte.

Cette volte-face complète après une annonce en grande pompe, la surprise est grande… Cela fait plus de cinq ans que l’on travaille sur ce projet. Depuis le début, j’ai toujours dit que s’il existait un soutien politique, nous irions au bout, mais que s’il était insuffisan­t, nous rendrions le bébé à la ville de Sion. A la suite de la consultati­on, nous constatons que le soutien est insuffisan­t. Il y a une poignée d’interlocut­eurs, parmi lesquels les entreprise­s qui profitent de l’infrastruc­ture tous les jours ou l’associatio­n des riverains de l’aéroport, qui soutenaien­t totalement le projet. A l’opposé, les communes haut-valaisanne­s, l’UDC de la partie germanopho­ne du canton, mais aussi la gauche et les Vert·e·s étaient faroucheme­nt opposés. Et au milieu, il y avait un peloton mi-figue, mi-raisin, qui soutenait mollement le projet, mais ne voulait pas payer sa part, alors que les montants en jeu étaient modestes. Certaines communes touristiqu­es, qui profitent directemen­t de l’infrastruc­ture, étaient également opposées à son développem­ent… Mais on ne peut pas avoir le beurre, l’argent du beurre et la fille du laitier. L’objectif était clair: développer un projet raisonnabl­e autour de cet aéroport. La majorité est frileuse, on ne va pas forcer ceux qui n’en veulent pas. C’est une défaite politique pour vous? Non, pas du tout. Je savais que le projet était ambitieux, mais difficile. D’autant plus dans le contexte actuel, dans lequel on parle beaucoup de climat et d’environnem­ent. Lorsqu’on parle d’aviation aujourd’hui, on devient quasiment suspect, même aux yeux de ceux qui partiront ce week-end à Barcelone avec EasyJet.

Après une première stratégie que vous avez dévoilée en 2018, mais qui ne s’est jamais concrétisé­e, rebelote donc en 2024. L’aéroport de Sion a-t-il un avenir? Seul l’avenir nous le dira. Aujourd’hui, la situation est claire et demeure ce qu’elle est: la ville de Sion doit s’occuper seule d’une infrastruc­ture qui profite à l’ensemble du canton et que les autres communes ne souhaitent pas payer. Le trafic lié aux jets privés se développe fortement, j’en veux pour preuve les records battus lors du mois de février. L’activité des hélicoptèr­es se porte bien et demeure nécessaire pour un canton de montagne comme le Valais, avec ses enjeux liés aux dangers naturels ou au sauvetage en montagne. Tout cela ne peut pas s’imaginer sans un aéroport. La palme de la position la plus cynique revient à la gauche, qui souhaitait maintenir les quelque 300 emplois du tarmac sédunois, mais sans aéroport. Ou alors uniquement avec les activités d’intérêt public. Cela ne tient pas la route.

La ville de Sion détient la concession fédérale d’exploitati­on de l’infrastruc­ture jusqu’en 2031, date de son renouvelle­ment. Et après, il se passera quoi? Une procédure sera ouverte pour attribuer une nouvelle concession à une autre entité qui pourra décider du type d’activités qui seront opérées sur le site de Sion. Et cela peut être n’importe qui, de riches Suisses ou de riches étrangers par exemple. Les locaux n’auront ainsi plus aucune maîtrise sur le développem­ent de cet aéroport, ce que nous souhaition­s absolument éviter avec le projet que nous avions mis en consultati­on.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland