Libor-Euribor: les condamnations d’anciens traders confirmées
Malgré une réouverture exceptionnelle de leur procès au Royaume-Uni, la Cour d’appel rejette la demande d’annulation de deux accusés
La bataille des traders condamnés dans l’affaire de la manipulation du Libor et de l’Euribor pour blanchir leur nom a échoué. Hier, une Cour d’appel britannique a rejeté la demande de deux des accusés de faire casser leur condamnation.
Depuis le verdict initial, respectivement en 2015 et 2019, la pression politique et juridique semblait pourtant avoir profondément changé. Plusieurs députés britanniques dénoncent désormais ouvertement une «erreur judiciaire» contre les traders. En janvier 2022, la justice américaine a annulé une condamnation dans le même dossier. Désormais, hors du RoyaumeUni, plus aucun pays ne qualifie les faits qui leur sont reprochés comme étant criminels. Mais la justice britannique persiste et signe.
L’affaire du Libor et de l’Euribor était censée incarner l’un des plus grands scandales financiers modernes. Exposée par les régulateurs britannique et américain à partir de 2012, mais couvrant des faits qui remontaient pour l’essentiel à avant la crise financière (principalement de 2005 à 2007), elle mettait au jour une entente jugée illégale entre les traders. Ceux-ci étaient accusés d’avoir manipulé ces taux d’intérêt interbancaires, qui servent de base à des centaines de milliers de produits financiers. A l’époque, le Libor et l’Euribor étaient déterminés de façon relativement artisanale. Chaque jour à 11h, heure de Londres, une personne dans chaque banque communiquait le taux auquel sa banque s’était financée. Une moyenne était ensuite réalisée.
Ce processus laissait la place à la tentation: des traders, dont le métier était de spéculer sur ces taux d’intérêt, demandaient régulièrement en interne à la personne chargée du Libor ou de l’Euribor de légèrement l’augmenter ou le baisser, en fonction de leurs prises de position. Pendant leur enquête, les régulateurs ont découvert des dizaines de messages «incriminants», incluant d’apparentes ententes entre différentes banques et institutions financières.
Une pratique généralisée
A partir de 2012, les premières amendes contre les banques ont été infligées. Les poursuites judiciaires ont suivi, prenant une grande ampleur: au total, 37 personnes ont été poursuivies et 19 condamnées par la justice – dont 9 emprisonnées.
Le procès d’un ancien d’UBS et de Citibank basé à Tokyo a marqué un point de bascule. Ce trader britannique a été condamné en première instance à 14 années de prison – réduites à 11 ans en appel –, une peine digne des pires crimes. Surtout, le juge britannique a pris une décision essentielle: il a affirmé aux jurés que les traders n’avaient pas le droit de prendre en compte leur intérêt commercial lors du calcul du Libor. Cette jurisprudence s’est ensuite appliquée dans tout le dossier. En 2019, un autre trader, qui était un simple apprenti à Barclays, a été condamné à 4 ans de prison pour avoir manipulé l’Euribor.
Plusieurs députés britanniques dénoncent une «erreur judiciaire»
Depuis plusieurs années, cette jurisprudence est en train de s’écrouler. Les traders, qui n’ont jamais démenti les faits, répètent que leurs pratiques étaient celles de tout le marché. L’apprenti à Barclays, qui était à un échelon hiérarchique junior, découvrait tout juste le métier et ne faisait qu’appliquer les consignes. De plus, un taux d’intérêt n’est pas une science exacte mais un prix qui varie en permanence. Andy Verity, auteur d’un livre-enquête sur le sujet (Rigged, Editions Flint Books, 2023, non traduit) compare cela à déterminer le prix des oranges: «Cela change d’un supermarché à un autre. Impossible de dire avec certitude lequel de ces prix est le «bon». Or, les traders affirment que les taux qu’ils soumettaient chaque jour restaient dans une fourchette réelle. Ils prenaient en compte leur intérêt commercial, mais ils ne mentaient pas.
En 2022, un retournement de situation est venu des Etats-Unis. Deux anciens traders de Deutsche Bank à New York ont obtenu l’annulation de leur condamnation, le juge estimant que prendre en compte l’intérêt commercial était autorisé. Désormais, des traders à New York ou à Londres pouvaient être jugés différemment pour des actions similaires. Sur cette base, une rare réouverture des procès de l’ancien trader d’UBS et de l’ancien apprenti à Barclays, qui étaient pourtant arrivés au bout de tous les recours, a été autorisée.
Mais hier, les juges ont estimé qu’il n’y avait pas d’erreur judiciaire. Pour eux, la décision initiale du juge britannique d’interdire la prise en compte de l’intérêt commercial reste la bonne. «Dans le droit anglais, il est bien établi que l’interprétation des contrats commerciaux […] doit être déterminée par le juge. La décision concernant [ces deux traders] [aux Etats-Unis] ne jette donc aucun doute sur la validité des décisions de cette cour en matière de droit anglais», écrivent-ils.
Les deux traders demeurent donc condamnés. Les espoirs de leurs anciens confrères, qui attendaient avec impatience de s’engouffrer dans la brèche, s’envolent aussi. Il reste d’ultimes recours possibles, potentiellement devant la Cour suprême britannique ou la Cour européenne des droits de l’homme, mais le revers judiciaire pour les traders est majeur.
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