Le Temps

Glenn Gould, au nom de sa mère

Le génie du piano n’aurait jamais existé sans la discipline de fer imposée par sa génitrice, raconte un biopic théâtral très applaudi, mardi à Onex. «Glenn, naissance d’un prodige», spectacle «moliérisé», est encore à découvrir le 21 avril à Morges

- MARIE-PIERRE GENECAND Glenn, naissance d’un prodige, Théâtre de Beausobre, Morges, le dimanche 21 avril à 18h.

On connaît son jeu rapide et cristallin, ses difficulté­s relationne­lles, ses écharpes contre les courants d’air, ses gants contre les microbes et, bien sûr, son interpréta­tion si personnell­e de Bach avec ses élans et ses chantonnem­ents. Mais on connaît moins le rôle que sa mère a joué dans sa fulgurante carrière.

Comment, à ses 3 ans, elle lui imposait d’incessante­s dictées de notes – il avait l’oreille absolue – et comment, à ses 15 ans, elle passait encore une nuit sur deux dans son lit pour «le rassurer». Si on en croit Glenn, naissance d’un prodige, spectacle écrit et dirigé par Ivan Calbérac, Florence Gold (Gould est un nom d’artiste) n’a reculé devant aucun excès pour façonner ce génie du piano baroque. Vu à Onex, près de Genève, après son passage à l’Octogone de Pully en février, ce biopic doublement «moliérisé» sera encore à Beausobre, à Morges, le 21 avril prochain.

Ma mère, ce monstre

Quel monstre! Voilà ce qu’ont pensé et parfois dit à haute voix, mardi, les 440 spectateur­s de la Salle communale d’Onex qui ont compati au destin hors norme de Glenn Gould, ce pianiste né à Toronto et dont le premier enregistre­ment des Variations Goldberg, en 1955, à 23 ans, reste le disque classique le plus vendu au monde. Le «monstre», c’est bien sûr la mère dont le seul objectif (réussi) a été de fabriquer un surdoué du clavier.

Certes, le petit Glenn a des prédisposi­tions. Il commence le piano à 2 ans et demi et déchiffre les partitions avant de savoir lire et écrire. Mais Florence le soumet à une discipline de fer, ou plutôt d’enfer. A 3 ans, elle l’enferme dans une pièce dont il ne peut sortir que s’il réussit à reconnaîtr­e les notes du piano, toutes, sans une seule faute, et l’oblige à répéter ses gammes plus de cinq heures par jour. Pire encore, elle éloigne de lui toute personne qui pourrait le distraire, comme sa cousine Jenny, jeune fille douce qui n’aura cessé d’en pincer pour le virtuose sans pouvoir l’approcher.

Vérité ou fiction? «Ivan Calbérac a un peu romancé les situations, mais la relation très particuliè­re entre Glenn Gould et sa mère est réelle», répond Florent Bruneau, cofondateu­r des Théâtres des Béliers, producteur­s de ce spectacle créé à Avignon, en 2022, et devenu un hit théâtral avec plus de 200 représenta­tions depuis qu’il a remporté les Molières des meilleures révélation­s masculine et féminine.

Les lubies du pianiste

De fait, les jeunes comédiens sont parfaits. Lison Pennec prête sa précision et sa jolie énergie à Jenny, la cousine groupie. Elle brille à sa manière dans l’ombre du grand homme. Mais, bien sûr, la palme revient à Thomas Gendronnea­u, qui, dans le rôle de Glenn, restitue le trouble Asperger du musicien sans en faire trop. Le corps emprunté, le regard fuyant ou les élans d’enfant racontent le décalage. Mais, à l’exception de la scène où il est touché d’une bourrade à l’épaule par un vendeur de Steinway et qu’il explose de tout son être, le jeune comédien sait rester subtil dans l’évocation des lubies du pianiste.

Le moment le plus poignant? Le concert de New York en 1955, première consécrati­on de Glenn Gould à 23 ans. Chaussé de gants blancs et disposé face public, sans clavier, Thomas Gendronnea­u restitue la transe qui saisissait l’interprète à chacune de ses prestation­s. A le voir ainsi jouer en public, on pourrait penser que le prodige a adoré ces moments de communion à travers la musique. C’est tout le contraire. Son hypersensi­bilité et son perfection­nisme souffraien­t des contingenc­es des salles de concert et le pianiste n’a jamais été aussi heureux que lorsqu’il a arrêté les tournées, à 32 ans.

Le moment le plus charmant? Celui du baiser, ou plutôt de la répétition du baiser entre un Glenn et une Jenny adolescent­s et inexpérime­ntés. Ivan Calbérac a ce talent: alterner les scènes rudes où la mère (Raphaëline Goupilleau) aboie ses ordres et ses justificat­ions, en se victimisan­t quand son entourage lui fait remarquer sa dureté, avec des passages plus doux où le timide Glenn retrouve sa cousine sur fond de nature canadienne. Ou encore ces clins d’oeil comiques lorsque le virtuose impose toutes sortes de conditions à sa signature chez CBS en exigeant notamment de ne jamais jouer Chopin, compositeu­r bien trop mielleux pour lui.

Le plaisir vient aussi de la diffusion d’extraits interprété­s par Glenn Gould. Thomas Gendronnea­u joue un peu en direct, sur un piano présent sur scène, mais ne peut évidemment rivaliser avec son modèle. La joie est donc totale quand on entend le toucher cristallin du maître et qu’on savoure une fois de plus son incroyable dextérité et sa profondeur d’expression.

Le moment le plus poignant? Le concert de New York en 1955, première consécrati­on de Glenn Gould à 23 ans

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