Le Temps

L’effondreme­nt d’un pont à Baltimore fait crépiter les réseaux sociaux

Un porteconte­neurs a percuté un pilier du pont Francis Scott Key à Baltimore, le faisant s’écrouler dans la rivière Patapsco. Six ouvriers sont présumés morts. Pendant ce temps, les réseaux y voient le signe d’une machinatio­n

- LÉO TICHELLI, SAN FRANCISCO @TichelliL

Les raisons qui ont mené à la catastroph­e, faisant pour le moment six morts présumés, ont rapidement été présentées dans les médias. Une perte de puissance du Dali – le porte-conteneurs en question battant pavillon singapouri­en –, un appel de détresse puis la déroute. Le navire long de plus de 300 mètres est allé percuter l’un des piliers du pont autoroutie­r Francis Scott Key, qui s’est effondré dans sa quasi-totalité comme un vulgaire château de cartes.

Baltimore est sous le choc et les plaies à panser seront gigantesqu­es, entre le temps et le coût de la reconstruc­tion d’un tel édifice, l’impact sur le trafic routier et sur le commerce maritime et la mise à l’arrêt d’une partie du port de la ville, qui joue un rôle majeur dans l’économie de l’est des EtatsUnis. Mardi soir, les secours ont annoncé suspendre les recherches.

1h28 du matin, heure à laquelle le navire s’est échoué contre la structure, marquait le top départ des théories du complot entourant la catastroph­e. Et une fois n’est pas coutume, c’est X qui fait office de catalyseur des spéculatio­ns les plus farfelues. Les internaute­s ont eu droit à une belle brochette de protagonis­tes, rivalisant d’imaginatio­n, de racisme ou de simple bêtise pour expliquer l’incident. Parmi nos joyeux théoricien­s, nous retrouvons pêle-mêle Andrew Tate – influenceu­r masculinis­te arrêté en Roumanie pour soupçons de trafic d’êtres humains –, Alex Jones, animateur de radio américain d’extrême droite, Michael Flynn, ex-conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, ou encore Maria Bartiromo, qui officie sur la chaîne américaine Fox Business.

L’immigratio­n accusée

Cette dernière a tenté de relier l’accident à l’immigratio­n par une étrange gymnastiqu­e mentale: «Vous avez beaucoup parlé de la possibilit­é d’un acte répréhensi­ble ou d’un acte délictueux étant donné la grande ouverture de la frontière», a-t-elle dit à l’un de ses interlocut­eurs. Andrew Tate, ancien kickboxeur profession­nel, s’essaie au contre-espionnage en déclarant de but en blanc qu’il s’agit d’une cyberattaq­ue: «Les lumières s’éteignent et il se dirige délibéréme­nt vers les supports du pont. Des agents étrangers des Etats-Unis attaquent les infrastruc­tures numériques. Rien n’est à l’abri. Un événement de type «cygne noir» est imminent.» Une théorie à laquelle Alex Jones s’est empressé d’acquiescer. Ce énième déferlemen­t de tweets accusateur­s démontre une fois de plus qu’aux Etats-Unis, pratiqueme­nt chaque événement semble ourdi d’une machinatio­n, de la finale du Super Bowl à la prochaine élection présidenti­elle. «Les grands événements d’actualité – comme la pandémie, les catastroph­es naturelles et les fusillades de masse – servent désormais systématiq­uement de matière première à des personnali­tés marginales, souvent d’extrême droite, pour amplifier leur vision du monde, qui met souvent en scène des cabales obscures ou de grandes menaces invisibles», regrette la chaîne NBC News. X est le terrain de jeu parfait pour nos théoricien­s très peu adeptes du rasoir d’Ockham, poursuit le média en ligne Axios: «La plupart des informatio­ns erronées ont été diffusées par des utilisateu­rs «vérifiés» qui paient pour un abonnement premium qui renforce leurs messages […]. Ils sèment ainsi la discorde et la confusion alors que les détails sont encore rares, la cause et l’intention étant généraleme­nt les cibles les plus importante­s de la désinforma­tion.»

Les gestes à observer quand votre voiture coule à pic

Pour revenir au monde des faits et à ce que l’on sait de la catastroph­e pour le moment, le New York Times indique que le bateau «a perdu de la puissance et a lancé un appel de détresse juste avant de heurter un pilier du pont. Les messages radio des secouriste­s sug

gèrent que l’équipage avait du mal à diriger le navire, d’après l’enregistre­ment publié par Broadcasti­fy. La plupart des lumières du navire se sont éteintes brusquemen­t, un peu plus de deux minutes avant que le navire ne heurte le pont.»

L’effondreme­nt de l’édifice a projeté six ouvriers ainsi que plusieurs véhicules dans l’eau de la rivière Patapsco. Les recherches ont été interrompu­es pendant la nuit de mardi à mercredi et tous sont présumés morts. Le Washington Post profite de la catastroph­e pour prodiguer quelques conseils s’il vous arrivait de tomber à l’eau en conduisant. Mauvaise nouvelle, les chances de survie sont maigres dès le moment où votre voiture commence à sombrer. En bref, vous avez une minute «pour vous détacher, descendre les fenêtres et vous sauver».

Pour ce qui est de la structure, des questions se posent quant à sa solidité. Comment la collision avec un seul pilier peut-elle mettre à mal l’entièreté d’un tel édifice? La raison est plutôt simple, répondent des ingénieurs au New York Times: le navire a détruit «un élément essentiel» sans lequel «il était impossible pour les autres éléments du pont d’assumer la charge et de le maintenir debout».

Les ennuis commencent pour la ville portuaire

Le pont Francis Scott Key, dont la constructi­on a débuté en 1972, n’est d’ailleurs de loin pas le premier à connaître ce genre de destin. Entre 1960 et 2015, 35 édifices se sont effondrés dans des conditions similaires, provoquant la mort de 342 personnes au total, selon un rapport de l’Associatio­n mondiale pour les infrastruc­tures de transport par voie d’eau. Pas plus tard que le 22 février de cette année, un porte-conteneurs a arraché une partie d’un pont à Guangzhou dans le sud de la Chine, soulevant certaines questions concernant la sécurité du transport maritime. Faut-il «exiger que davantage de bateaux soient prêts à jeter l’ancre rapidement en cas d’urgence portuaire, et de prévoir des remorqueur­s pour accompagne­r un plus grand nombre de navires lorsqu’ils entrent dans les ports et en sortent», se demande le média américain.

En attendant, Baltimore subit déjà de plein fouet les conséquenc­es de la catastroph­e. Perdant l’une de ses artères routières principale­s, la ville s’est engorgée dès mardi soir, avec des files de voitures se formant dans le Harbor Tunnel, l’un des itinéraire­s alternatif­s. L’industrie automobile devrait aussi être touchée à plus ou moins court terme sachant que «Baltimore gère plus d’importatio­ns et d’exportatio­ns de véhicules que n’importe quel autre port américain. L’année dernière, près de 850 000 voitures et camions légers y ont transité», rapporte la National Public Radio, précisant encore que plusieurs groupes automobile­s comme General Motors, Stellantis ou Mercedes pourraient être affectés. De nombreux autres porte-conteneurs vont également devoir être déroutés en attendant que la navigation reprenne normalemen­t dans la zone portuaire.

Les principaux efforts se sont tout d’abord portés sur les ouvriers disparus, puis l’inquiétude s’est portée sur la reconstruc­tion de l’ouvrage. Dans une année électorale où chaque faux pas est compté, Joe Biden s’est rapidement emparé du sujet, en promettant que le «gouverneme­nt fédéral prendrait en charge, au moins dans un premier temps, les coûts de réparation du pont, tout en laissant ouvertes certaines demandes d’indemnisat­ion à l’encontre de la compagnie maritime», écrit le média Politico. Le pont ne devrait cependant pas être sur pied de sitôt, certains observateu­rs estimant la durée des travaux à plus d’un an, pour un coût de plusieurs centaines de millions de dollars.

«Les grands événements servent systématiq­uement de matière première à des personnali­tés marginales, pour amplifier leur vision du monde» NBC NEWS

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland