Le Temps

La Suisse romande est mieux desservie en transports publics que la Suisse alémanique

INVESTISSE­MENTS Une étude présentée lors du Rendez-vous de la mobilité du «Temps» nuance les doléances des Romands, qui se sont longtemps plaints d’être négligés par la Confédérat­ion. Le parlement a voté des crédits pour améliorer la situation

- BERNARD WUTHRICH @bdwuthrich

La Suisse romande des transports a-telle raison de se plaindre d’avoir été mal traitée par la Confédérat­ion? Ces dernières semaines, elle a reçu des gages. Le parlement a voté un crédit de 5 milliards de francs pour augmenter la capacité de six tronçons autoroutie­rs, dont 900 millions pour porter à six pistes le tronçon de 19 kilomètres reliant l’échangeur du Vengeron (GE) à Coppet (VD). Un référendum a été lancé contre cette décision et le peuple devrait donner son avis à la fin de l’année. L’ajout de cette somme, qui n’était pas prévue au départ, devrait faciliter l’acceptatio­n du paquet de ce côté-ci de la Sarine.

«Ce n’est pas une coquetteri­e»

En mars, le parlement a donné son feu vert à une enveloppe de 1,3 milliard pour creuser un nouveau tunnel ferroviair­e de 9 kilomètres entre Morges et Perroy. C’est la première étape du déblocage d’un véritable serpent de mer: l’améliorati­on de la desserte ferroviair­e entre Lausanne et Genève, qui souffre de ne disposer d’aucun itinéraire de délestage lorsque la ligne est interrompu­e.

Ce même parlement a accordé une rallonge de 100 millions de francs pour compenser les effets négatifs du nouvel horaire 2025. La nouvelle planificat­ion de circulatio­n des trains péjorera les liaisons entre l’Arc jurassien et Genève. La plupart transitero­nt par Renens, où les passagers devront changer de rame. Ce montant permettra des améliorati­ons sur la ligne du pied du Jura et le by-pass de Bussigny.

Ces décisions politiques sont-elles des «cadeaux» aux Romands? Ne sont-elles qu’une compensati­on de la manière dont cette partie du pays a été traitée ces dernières décennies? Le sujet a été largement abordé lors du premier Rendez-vous de la mobilité organisé le 19 mars à Lausanne par Le Temps. Pour la conseillèr­e d’Etat vaudoise Nuria Gorrite, il ne fait aucun doute qu’«il y a des retards à rattraper» et que les attentes de la Suisse romande ne sont pas une «coquetteri­e». D’autres ont un avis plus nuancé sur l’attitude des cantons romands, notamment lémaniques. Ancien vice-directeur de l’Office fédéral des transports (OFT), aujourd’hui consultant indépendan­t et membre de plusieurs conseils d’administra­tion romands – dont les TL lausannois, les CJ jurassiens et les TMR martignera­ins –, Pierre-André Meyrat ne se prive pas de rappeler que, «pendant des années, la Suisse romande se focalisait sur la voiture». Cela à une époque où Zurich prenait les devants pour investir dans les transports publics.

La Suisse est-elle pour autant légitimée à se placer dans une «attitude victimaire» vis-à-vis des autres régions du pays? A cette question, Sébastien Munafo, responsabl­e du bureau de recherche 6t à Genève, répond clairement: «Non! La Suisse romande n’a pas été oubliée. Elle est tout à fait bien desservie. Malgré la succession de mauvaises nouvelles survenues ces dernières années, elle aurait tort de s’enfermer dans un narratif victimisan­t.»

En croisant les données de deux offices fédéraux – Développem­ent territoria­l (ARE) et Statistiqu­e (OFS) –, il observe que la qualité de la desserte en transports publics est bonne à très bonne pour 37% de la population nationale. Elle est plus élevée en Suisse romande (44%) qu’en Suisse alémanique (35%) et italophone (30%). C’est dans la partie romanche du pays, peu urbanisée et très accidentée, qu’elle est le plus bas (1%!).

Les cantons urbains occupent logiquemen­t les premières places: Bâle-Ville (95%) devance Genève (83%). La qualité peut être qualifiée à 43% de bonne à très bonne dans le canton de Vaud et à 46% dans celui de Neuchâtel. Elle ne dépasse pas 22% à Fribourg, 15% en Valais et 10% dans le Jura. «Les cantons très urbanisés tirent l’indice vers le haut», relève Sébastien Munafo. L’évolution n’est pas uniforme d’un canton à l’autre. «Fribourg présente un indice assez médiocre, mais la croissance démographi­que y est élevée. C’est un territoire qui demande un rattrapage en matière de transports publics.»

«Chacun a l’impression d’être négligé»

Cela fait pourtant des années que la Suisse romande a le sentiment d’être l’oubliée de la mobilité fédérale. «En Suisse, chacun a l’impression d’être négligé», relativise le conseiller national Martin Candinas (Le Centre/GR), président du Service d’informatio­n pour les transports publics (Litra). Il reconnaît que la ligne Lausanne-Genève représente un cas particulie­r. Mais il y a des problèmes ailleurs dans le pays. Romanchoph­one grison, il relève que l’axe Zurich-Coire «n’a pas de double voie sur l’entier du trajet».

Cela dit, la recherche du bureau 6t concerne l’offre globale de transports publics sur l’ensemble d’un territoire, en l’occurrence romand, alors que la perception d’une Suisse occidental­e sous-dotée en investisse­ments fédéraux concerne surtout les grands axes. En 2004, feu L’Hebdo avait qualifié le directeur général des CFF, Benedikt Weibel, d’«homme qui se moque des Romands». L’image était sans doute excessive, mais elle traduisait un sentiment qui a longtemps prévalu de ce côté-ci de la Sarine. Et qui prévaut toujours, si l’on en croit Nuria Gorrite, qui constate que la transforma­tion de la gare de Lausanne prend des années de retard alors que «Zurich prépare déjà le préfinance­ment de sa troisième gare».

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