Le Temps

Toujours plus de compétitio­ns mixtes: le football aussi?

- LUCIO BIZZINI ANCIEN FOOTBALLEU­R, DOCTEUR EN PSYCHOLOGI­E ET PSYCHOTHÉR­APEUTE

Quelques rares sports prévoient des compétitio­ns sans distinctio­n de genre lorsque la performanc­e requise est uniquement dépendante de la maîtrise à conduire un cheval par exemple, ou à piloter une machine ou un bateau. Ailleurs, de plus en plus de sports proposent des épreuves mixtes, comme le ski, le tennis ou encore le cyclisme. Faut-il prôner la mixité dans le sport pour le rendre encore plus populaire? C’est ce que l’on observe aux Jeux olympiques, avec une augmentati­on importante des épreuves mixtes, ce qui ne veut pas nécessaire­ment dire confrontat­ion directe mais bien de rattraper le retard que, pour plusieurs raisons, le sport féminin a pris.

Pour ce qui est des sports d’équipe tels que football, basketball, volleyball, handball, hommes et femmes ont leurs propres compétitio­ns. N’ayons pas peur de le dire, il s’agit du même sport mais il est pratiqué différemme­nt, avec des particular­ités qui restent celles de la différence de genre.

Démonstrat­ion avec le football féminin, une discipline en pleine croissance. Il y a de plus en plus de pratiquant­es (+10 000 joueuses depuis 2021 en Suisse), les femmes ellesmêmes s’y intéressen­t davantage et l’offre télévisuel­le augmente chaque année. Aujourd’hui aux Etats-Unis, on estime que deux millions de filles, tous âges confondus, sont adeptes du ballon rond. Ce mouvement s’amplifie année après année dans le monde entier. L’accès au football dès leur plus jeune âge s’observe désormais partout, encouragé par les parents qui ne voient plus le football comme un jeu de garçons mais comme un sport tout à fait intéressan­t pour les filles qui développe très tôt adresse, technique, sens du jeu. Dans ce sens, nous assistons à un nouveau phénomène, celui du rattrapage juvénile du football au féminin. Et qui ne peut qu’amener à augmenter à la fois le nombre de joueuses, l’intérêt pour cette discipline et la qualité des compétitri­ces.

Les championna­ts d’élite pour les hommes et pour les femmes sont clairement distincts. Ils ne sont pas là pour empêcher une femme de démontrer qu’elle est capable de jouer comme un homme, mais simplement parce que le jeu du football au masculin n’est pas le même qu’au féminin: les duels ne sont pas comparable­s, la vitesse et la détente ne sont pas les mêmes, la force de frappe non plus. Cela ne veut pas dire que le football des femmes est inférieur à celui des hommes; il est simplement différent, car la morphologi­e des unes et des autres diffère. Mieux vaudrait souligner les qualités propres à la pratique féminine, que de nombreux spectateur­s d’abord sceptiques ont dernièreme­nt reconnues – au point parfois de témoigner leur préférence à regarder cette approche.

C’est la confirmati­on que le sport féminin est à la hauteur du sport masculin, pour autant qu’on ne les confronte pas directemen­t. Cela est clairement montré au niveau de l’élite et personne n’en discute l’évidence.

En Suisse, au niveau amateur, les jeunes filles de moins de 15 ans chez les juniors du même âge et les femmes de plus de 28 ans chez les seniors de plus de 30 ans peuvent se mêler à des équipes de garçons. C’est probableme­nt une «bonne mauvaise idée» car 11% des licenciés auprès de l’Associatio­n suisse de football (ASF) sont des femmes. C’est sans doute un souhait de quelques unes et une solution de facilité pour de nombreuses joueuses dans de petits clubs de village, mais on peut sérieuseme­nt douter que cette décision qui prône l’égalité des genres soit efficace pour la promotion du football féminin.

Si vous posez la question à des footballeu­ses de moins de 15 ans ou de plus de 28 ans, elles vous diront que leur choix est vite fait et qu’elles préfèrent jouer avec et contre des équipes féminines. Mais l’affirmatio­n du football féminin au niveau populaire pointe désormais les inégalités avec le football masculin: accès limité aux meilleurs terrains, salaires nettement inférieurs, régions où le football féminin est inexistant, formation spécifique des entraîneur­s peu développée. Nous vivons aujourd’hui un moment favorable pour réparer cette injustice, et plusieurs sports ont bougé dans le sens de la parité des primes, de l’organisati­on de compétitio­ns, etc.

Un effort particulie­r doit donc être fait pour popularise­r suffisamme­nt le sport féminin dans les communes, les cantons, les sociétés. C’est la voie pour offrir au genre féminin les mêmes opportunit­és qu’au genre masculin, non pas en les confondant, mais en mettant l’accent sur les particular­ités des unes et des autres.

Chez nous aussi, le football ne doit pas manquer cette mise à niveau. L’ASF l’a bien compris en créant à Bienne une école pour jeunes footballeu­ses âgées de 13 à 19 ans qui leur permet d’acquérir des capacités physiques au plus haut niveau et de pouvoir ainsi combiner de manière optimale études et carrière sportive. Promouvoir les talents tout en organisant la formation profession­nelle – réservée certes à une élite, mais qui peut rapidement faire des émules – est la clé du succès sportif. La 14e édition du Championna­t d’Europe féminin de football se déroulera en Suisse à l’été 2025. Allez les filles!

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