Le Temps

L’Allemagne nie la complicité avec Israël

Mis en cause devant la Cour internatio­nale de justice, Berlin écarte toute responsabi­lité dans les éventuels crimes de guerre commis dans la bande de Gaza. Et pointe les obstacles à l’arrivée de l’aide humanitair­e dans l’enclave

- LUIS LEMA @luislema

L’Allemagne a mis les petits plats dans les grands, mardi à La Haye. Accusé par le Nicaragua de se porter «complice» d’un possible génocide en cours à Gaza, le pays s’est employé à se défendre devant la Cour internatio­nale de justice (CIJ). Non, l’Allemagne ne fournit pas à Israël les armes utilisées dans la bande de Gaza; non, l’Allemagne ne partage aucune responsabi­lité dans les obstacles mis à l’arrivée de l’aide humanitair­e dans l’enclave, ont répété les juristes mandatés par Berlin. Clairement placée sur la défensive, la République fédérale s’est vue contrainte de se démarquer singulière­ment, et publiqueme­nt, des opérations menées par l’armée israélienn­e à Gaza.

L’Allemagne a deux particular­ités, mises en relief à La Haye, où siège la CIJ: elle représente, derrière les Etats-Unis, le plus grand fournisseu­r d’équipement militaire et d’armement à Israël (environ 30% des importatio­ns israélienn­es), mais aussi, toujours derrière les USA, le plus grand pourvoyeur d’aide à l’endroit des Palestinie­ns. Une aide qui, à la suite de l’attaque meurtrière du Hamas le 7 octobre, a été en partie interrompu­e.

Canada, Pays-Bas, Royaume-Uni…

C’est précisémen­t ces raisons qui ont amené le Nicaragua du très autoritair­e président Daniel Ortega à porter l’affaire devant cette cour des Nations unies qui juge des différends entre les Etats. A la vérité, comme le rappelaien­t mardi les conseils allemands, le Nicaragua avait adressé une plainte similaire au Canada, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, avant de porter l’affaire devant la CIJ. Simple coïncidenc­e: les deux premiers Etats ont décidé dans l’intervalle de suspendre leurs livraisons d’armes à Israël, tandis que les pressions ne cessent de monter sur Londres pour qu’il suive le mouvement.

L’Allemagne, elle, s’en est tenue avant tout à détailler par le menu les règles nationales «très robustes» qui président à l’exportatio­n des armes allemandes. Une écrasante partie des armes délivrées à Israël représenta­ient des équipement­s militaires (casques, gilets pareballes, peinture de camouflage….) ou des systèmes «défensifs», ont argumenté les juristes allemands. Ils ont dépeint un système dans lequel quatre ministères ont leur mot à dire avant d’accorder des licences d’exportatio­n, qui sont ensuite soumises à des contrôles parlementa­ires.

Dans divers médias allemands sont apparues des images semblant démontrer que l’armée israélienn­e utilisait cependant des armements (lance-roquettes) et des munitions provenant d’Allemagne. Si les juristes allemands ont admis l’exportatio­n de munitions antichar, «dans le contexte du 7 octobre», ils ont toutefois insisté sur le fait que ces armements étaient avant tout destinés à l’exercice, «dans le cadre de la coopératio­n entre Israël et les industries (d’armement) allemandes.»

Les juristes allemands ont insisté sur le fait que ces armes étaient avant tout destinées à l’exercice

Le soutien politique de Berlin à Israël a été très marqué depuis le 7 octobre. Le Nicaragua a rappelé dans sa plainte que le chancelier allemand avait proclamé que l’appui inconditio­nnel à Israël était une «raison d’Etat» pour le pays. Pourtant, mardi, la défense allemande n’a pas consisté à affirmer qu’Israël ne commettait pas de crimes de guerre à Gaza. L’accent était mis sur le fait que l’Allemagne n’en partage pas la responsabi­lité.

Cette approche était encore plus perceptibl­e sur la question de l’aide humanitair­e. «Ce n’est pas faute de financemen­t que l’aide humanitair­e n’arrive pas à la population palestinie­nne», assurait le juriste Paolo Palchetti en justifiant la suspension de la contributi­on à l’UNRWA, l’agence de l’ONU chargée des réfugiés de Palestine. Avant d’ajouter, en accusant directemen­t Israël: «Le vrai problème, ce sont les restrictio­ns à l’entrée et à la distributi­on de l’aide humanitair­e.»

La CIJ, se penchant sur la «plausibili­té» qu’un génocide soit en cours, a émis une ordonnance fin mars, enjoignant à Israël de respecter un certain nombre de mesures conservato­ires. Parmi elles: «L’urgence d’augmenter la capacité et le nombre de points de passage terrestres permettant d’entrer dans Gaza», édictaient les juges. «Il est clair que si les restrictio­ns à l’entrée et à la distributi­on de l’aide humanitair­e font courir un risque imminent aux droits des Palestinie­ns à Gaza, ce risque n’est pas imputable à l’Allemagne (mais à Israël)», a tranché Paolo Palchetti.

 ?? (LA HAYE, 8 AVRIL 2024/ ROBIN VAN LONKHUIJSE­N/ANP/AFP) ?? La directrice générale des affaires juridiques de l’Allemagne, Tania Freiin von Uslar-Gleichen, à l’audience à la Cour internatio­nale de justice. Le Nicaragua accuse Berlin, le plus grand fournisseu­r d’équipement militaire à Israël derrière les Etats-Unis, d’être «complice» d’un possible génocide à Gaza.
(LA HAYE, 8 AVRIL 2024/ ROBIN VAN LONKHUIJSE­N/ANP/AFP) La directrice générale des affaires juridiques de l’Allemagne, Tania Freiin von Uslar-Gleichen, à l’audience à la Cour internatio­nale de justice. Le Nicaragua accuse Berlin, le plus grand fournisseu­r d’équipement militaire à Israël derrière les Etats-Unis, d’être «complice» d’un possible génocide à Gaza.

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