Le Temps

Cédric Johner redonne de la profondeur à son Abyss

- S. GT

Un jour de 1997, Cédric Johner est pris d’une impulsion créative. Il prend un petit bloc de cire et sculpte une boîte de montre. Rien de connu à ce jour: une forme de tonneau bombée, mais très typée, avec une ouverture de cadran hexagonale. Cette forme sortait de nulle part, comme un animal remonté des grands fonds. Il l’a nommée «Abyss». En 27 ans, il ne l’a jamais retouchée. Il y a bien eu quelques variations, de tailles et d’épaisseurs, mais que des détails. C’est sur cet Abyss que Cédric Johner a navigué, tout au long d’une carrière aussi brillante que brutale.

Pour une bonne partie du secteur horloger, Cédric Johner avait disparu. Comme sorti des écrans radars après son heure de gloire, au milieu des années 2000. En réalité, il n’a jamais cessé son activité. Il avait juste changé d’échelle, passant de dirigeant de sa propre marque (sous son nom, Cédric Johner), avec une quinzaine d’employés et le vent arrière, à petit artisan isolé travaillan­t à la commande.

La semaine horlogère qui s’achève à Genève a consacré son retour. Il n’était pas présent à Watches and Wonders, mais à l’Hôtel d’Angleterre, où il a présenté tout ce qu’il possède. Quelques pièces uniques. Sa nouvelle collaborat­ion avec les montres Louis Erard. Son premier calibre maison en souscripti­on, toujours dans son boîtier Abyss.

Entre six et dix montres par an

L’horloger est reparti avec un carnet de commandes comme il n’en avait pas connu depuis longtemps: 14 montres à livrer. Ces dernières années, il réalisait entre six et dix montres par an. «Là, le rythme va augmenter.» Il estime qu’une quarantain­e de personnes sont passées le voir, détaillant­s, collection­neurs, apporteurs d’affaires: «J’ai revu tous ceux avec qui j’avais travaillé dans le passé, et toute une nouvelle génération qui n’avait jamais entendu parler de mon travail.»

Pour ceux qui le connaissen­t, Cédric Johner est une figure. L’un des derniers artisans complets de la place genevoise. Il commence par un apprentiss­age de joaillier chez Chopard et devient indépendan­t dès qu’il obtient son diplôme. Il se taille vite la réputation d’un artisan de talent, qui trouve des solutions à tous les problèmes.

La joaillerie l’ouvre à l’horlogerie. Il finira par se former et obtenir son diplôme d’horloger au début des années 1990. Les plus grands noms passent par lui, pour des prototypes et des pièces uniques. Touchant à tous les métiers. Capable de faire une boîte de montre à partir d’un bout de métal ou sortir un bracelet d’un fil d’or. Quelques années plus tard, il invente son Abyss et décide d’oeuvrer pour lui, pour sa marque, sous son nom, son poinçon de maître pour logo.

L’époque s’y prête: la fin des années 1990 marque l’émergence d’une nouvelle vague d’horlogers indépendan­ts. Cédric Johner est au coeur de la vague, il montera même une coentrepri­se de fabricatio­n de cadrans avec François-Paul Journe et Maximilian Büsser. François-Paul Journe est depuis devenu une figure phare, avec cote sur le second marché. Maximilian Büsser dirigeait les montres Harry Winston, avant de s’envoler avec MB&F. Avec la marque qui porte son nom et ses boîtiers Abyss, Cédric Johner aussi est monté, jusqu’au sommet de sa catégorie, avec stand sur deux étages dans la halle 1 de Baselworld (le défunt salon horloger de Bâle).

C’était avant que son associé le torpille et qu’il touche le fond. Santé, famille, tout est parti à l’eau. Cédric Johner mettra plusieurs années à retoucher le rivage. Il est reparti de ce qui lui restait: son nom et ses savoirfair­e, seul dans l’ombre de son atelier de sous-marinier, à Genève. Ce printemps, il a refait surface. ■

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland