Le Temps

A Genève, Brunier SA recrute!

- LAURE LUGON ZUGRAVU JOURNALIST­E

Il n’est rien de plus confortabl­e et rassurant que l’esprit de famille. Au bout du lac, il est particuliè­rement développé, au point que les Services industriel­s de Genève (SIG), et singulière­ment son directeur général Christian Brunier, en font méthode. Après avoir engagé ses deux beaux-fils (les fils de son épouse), puis la femme de l’un d’eux, on apprend que le neveu de Christian Brunier est lui aussi entré à la régie publique. Pour ses compétence­s, bien entendu. Et le fait qu’il soit la quatrième recrue apparentée au patron à décrocher un poste est parfaiteme­nt fortuit. Chez Brunier SA, il ne manque plus que son ex-femme.

Je le dis comme je le pense: je crois sur parole Christian Brunier. Oui, je suis certaine que tous les processus de recrutemen­t auront été respectés à la lettre. Non, le grand patron ne sera pas intervenu pour influencer ses subalterne­s. Non, l’épouse du beau-fils ne travaille pas sous la même direction de la communicat­ion que son mari. De toute manière, cette personne avait l’embarras du choix, puisque les SIG ne comptent pas moins de 26,3 équivalent­s plein-temps dans divers services de la «com», comme on dit. Pour un monopole dont les Genevois sont captifs, c’est un minimum.

Pourtant, le respect des règlements et des procédures n’est pas le problème. Mais je ne suis pas sûre que M. Brunier, ou avant lui la conseillèr­e administra­tive en ville de Genève Frédérique Perler, dont la codirectri­ce avait engagé sa demi-soeur et deux amis parisiens, ou même le Conseil d’Etat, qui a validé l’engagement du père de Delphine Bachmann à la tête d’un service, soient armés pour le comprendre.

Car pour ce faire, il faut condescend­re à se reconnecte­r à la sensibilit­é populaire. Laquelle leur dit que cette manière de faire heurte le sens commun. Qu’avec un salaire médian dans le secteur public genevois de 28,7% supérieur à celui du privé, tous secteurs confondus, nombreux sont ceux qui rêvent d’y décrocher un emploi. Que la bonne gouvernanc­e doit être l’apanage de celui qui la prêche. Que les employés de l’Etat ou des établissem­ents de droit public sont redevables au contribuab­le. Dans le cas d’espèce, ce dernier n’a d’autre choix que de payer son écot aux SIG chaque fois qu’il allume la lumière.

Non content d’avoir surfacturé 22 millions aux Genevois, puis d’avoir prétendu qu’il n’était pas au courant alors qu’il l’était, Christian Brunier nous offre le spectacle d’une petite coterie pour qui la régie publique fait office d’«open bar». Vous n’êtes pas apparenté à la Famille bien que compétent pour un poste? Il ne vous coûte rien de tenter votre chance. Mais il se pourrait qu’à compétence­s égales, les ressources humaines, à moitié consciente­s de la chose, vous préfèrent un candidat issu du cercle du patron. Ainsi le veut les lois de la hiérarchie, des rapports de force, de l’entregent. Un chef charismati­que n’aura même pas besoin de suggérer l’engagement. Car il faut plus de courage à un recruteur pour recaler un apparenté du boss qu’un candidat sans blason. Raison pour laquelle annoncer les liens familiaux ne représente en rien un garde-fou. Transparen­ce ne vaut pas éthique. C’est de cette confusion que cette affaire relève.

Fort de cette prescience, le bon peuple est fâché. Il ne s’indigne au fond que d’une chose: découvrir que certains dirigeants ne savent pas discerner le point où s’arrête le possible. ■

Il faut plus de courage à un recruteur pour recaler un apparenté du boss qu’un candidat sans blason

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