Le Temps

La Suisse, milice des anges

MA SEMAINE SUISSE

- JOURNALIST­E YVES PETIGNAT

Dans la course mondiale aux armements, l’armée suisse fait figure de milice des anges. Du moins s’il ne faut s’en tenir qu’aux seuls critères des dépenses militaires. La gauche pacifiste devrait s’en réjouir. Les statistiqu­es publiées cette semaine par le Stockholm Internatio­nal Peace Research Institute (Sipri), institut de recherche sur les conflits armés et les dépenses d’armement, indiquent bien la fièvre sécuritair­e qui a saisi le monde ces deux dernières années. Avec une augmentati­on de 6,8% l’an dernier, la plus forte depuis 2009, les dépenses militaires mondiales atteignent 2443 milliards de dollars. Dans ce monde en ébullition, la Suisse en reste à sa modestie légendaire. Après l’Irlande et à la même hauteur que l’Autriche, c’est le pays d’Europe qui consacre le plus faible pourcentag­e (0,7%) de son PIB aux dépenses d’armement. On est loin des 3,4% des Etats-Unis, des plus de 6% de la Russie ou des 2% de la France (1,9% selon la Banque mondiale).

Pourtant, ces chiffres inquiétant­s sont encore bien en dessous de ce que le monde a connu en pleine période de Guerre froide, lorsque les dépenses mondiales atteignaie­nt plus de 6% du PIB de la planète. En Suisse, on dépassait les 2,5% jusqu’aux années 1970 et encore 1,5% lors de la chute du Mur en 1989. Mais même des dépenses revenues à des taux inférieurs à 1%, c’était toujours trop pour un PS qui avait inscrit – un peu contre l’avis de sa direction, il faut le reconnaîtr­e – la suppressio­n de l’armée dans son programme. Il y a 2 ans, les socialiste­s demandaien­t encore le renvoi du message sur l’armée en raison «des dépenses colossales et injustifia­bles car déconnecté­es des réalités stratégiqu­es».

Changement de ton cette année. Guerre en Ukraine et sentiment d’insécurité plombent l’ambiance. L’attaque socialiste se porte moins contre la hauteur des dépenses militaires que contre le scandale financier, la débâcle des chefs de l’armée et un Départemen­t de la défense qui «ne maîtrise ni les finances, ni la communicat­ion, ni la planificat­ion». La gauche, qui s’oppose à ce que le plafond des dépenses de l’armée remonte à 1% du PIB jusqu’en 2030, a du mal à justifier son argument coutumier. Par contre, en s’attaquant à la gestion politique déficiente de la Défense et du Conseil fédéral, socialiste­s et Vert·e·s sont rejoints par un certain nombre de voix de droite déplorant le manque de direction politique en matière de sécurité. Ainsi l’UDC Jean-Luc Addor: «Le DDPS, c’est un peu un avion sans pilote.» De fait, dans son programme de législatur­e 2023-2027, examiné en avril par le Conseil national, le Conseil fédéral, qui mentionne le renforceme­nt de la cyberdéfen­se, n’a inscrit nulle part ses objectifs prioritair­es en matière de défense et de remontée en puissance des capacités militaires. Entre le retour à un conflit dominé par des armées régulières et les opérations de déstabilis­ation voire d’attaques par drones, quel type d’armement pour quelle menace? Dans le message sur l’armée, on laisse au parlement le choix entre trois variantes induisant des orientatio­ns et des développem­ents différents pour l’armée. Ce qui faisait craindre à un expert militaire que le Conseil fédéral n’ait encore pas de vision claire de la mission essentiell­e qu’il veut confier à l’armée. Dans ces conditions, le sauvetage du financemen­t de l’armée semblait, en fin de semaine, dépendre davantage de l’arrangemen­t entre Le Centre et la gauche plutôt que de l’initiative de la ministre de la Défense. Avec une part pour l’Ukraine. La part de la milice des anges. ■

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland