Holcim se verdit mais la tension demeure
Trois ans après l’évacuation de la ZAD du Mormont, le site vaudois du géant suisse du ciment a fait état d’émissions de CO2 en baisse. Des menaces d’activistes l’ont toutefois contraint d’annuler une journée portes ouvertes
Eclépens, le 23 avril 2024. Sur le site de la cimenterie d’Holcim, la chaleur qui émane du four rotatif – un tube couleur rouille de 60 mètres de long et de 4 mètres de diamètre – aide à braver le froid, inhabituel en cette saison. Sa flamme à 2000 degrés fournit la chaleur nécessaire pour transformer un mélange de calcaire, d’argile et de sable en clinker, un élément essentiel à la production de ciment. Une flamme présentée comme exemplaire car l’entreprise utilise une grande part de combustible alternatif pour l’alimenter dans des conditions moins nocives pour le climat.
La multinationale basée à Zurich a publié son rapport de durabilité mardi et a invité des journalistes à Eclépens à cette occasion. Quelques jours avant une journée portes ouvertes qui devait se tenir le 4 mai, mais qui a, entre-temps, été annulée par Holcim à la suite de menaces d’activistes.
Défis colossaux
Cette flamme doit pourtant symboliser les efforts du site et de l’entreprise pour remplir les objectifs climatiques que le plus grand cimentier du monde s’est fixés il y a 2 ans. Le groupe veut atteindre en 2050 la neutralité carbone en utilisant des matériaux entièrement issus de l’économie circulaire. On en est certes loin. Le ciment est responsable de 8% des émissions de CO2 dans le monde. Le site d’Holcim à Eclépens figure parmi les plus polluants de Suisse, selon le registre de l’Office fédéral de l’environnement. Ses activités extractives dans le Mormont ont poussé des militants à créer une ZAD (zone à défendre) sur la colline six mois durant, en 2020-2021.
En même temps, le ciment, cette colle pas chère qui unit la roche, le sable et l’eau dans le béton, est essentielle à la construction de maisons, de ponts ou de barrages. Il est partout, c’est le matériau que nous utilisons le plus sur terre après l’eau. Sans lui, pas de civilisation telle que nous la connaissons.
«Aujourd’hui, 70% des combustibles d’Eclépens ne sont pas issus des matières fossiles, c’est déjà un beau score», affirme François Girod, directeur du site. «On veut se passer de pétrole et le remplacer par des déchets plastiques non recyclables.» Le groupe veut faire passer cette part à 95% dès cet été et ainsi éviter l’émission de 40 000 tonnes nettes de CO2 par an, soit 12% des émissions actuelles de l’usine. L’incinération de déchets industriels (pneus, résidus plastiques non recyclables, bois, boues d’épuration) émettrait moins de CO2, selon Holcim, tout en alimentant un réseau de chaleur dans le voisinage.
A Eclépens, l’entreprise prévoit aussi de réutiliser, à l’aide d’un autre four à 850 degrés, des déchets minéraux – qui jusqu’à présent finissent en décharge – dans la production de ciment. Ici, le groupe utilise 11% d’ingrédients de substitution aux matières premières naturelles, une part en hausse. En 2023, elle a émis 495 kg de CO2 par tonne de ciment contre 520 kg en 2021.
Le groupe planche aussi sur des recettes de ciment moins riche en clinker et sur le séquestre de CO2. Notamment en Allemagne où une présence plus importante d’énergies renouvelables rend plus pertinente la mise en place de cette solution énergivore. La multinationale veut investir 2 milliards de dollars dans cette technologie d’ici à 2030.
L’an dernier, la Fondation Ethos a approuvé le rapport climatique d’Holcim, qui a renforcé ses objectifs de réduction, publié pour la première fois ses émissions indirectes de gaz à effet de serre et ses investissements dans les technologies de séquestre de CO2.
«Le GIEC, dans son dernier rapport, recommande une réduction de 43% des émissions de CO2 dues aux activités humaines d’ici à 2030. Or, Holcim se contente d’un objectif de baisse de 25% à cette même échéance. C’est insuffisant», estime en revanche Yvan Maillard Ardenti, responsable justice climatique au sein de l’ONG EPER. «C’est d’autant plus insuffisant qu’Holcim a les moyens de plus investir dans la transition énergétique et figure parmi les principaux pollueurs du monde.»
EPER soutient une plainte, déposée au Tribunal de Zoug en janvier 2023 par quatre Indonésiens, qui tiennent le cimentier pour responsable des dégâts provoqués par le changement climatique sur leur île, régulièrement inondée avec la montée des eaux. La multinationale suisse serait responsable de 0,42% du total des émissions de gaz à effet de serre dues aux activités humaines depuis le début de l’industrialisation, selon une étude du groupe de recherche Climate Accountability Institute.
L’industrie tente de se verdir de toutes parts. Holcim a notamment lancé un partenariat avec une start-up alémanique, Neustark, qui capte le CO2 émis par des usines de biogaz et le stocke dans du calcaire utilisé dans la construction.
Sika, un poids lourd suisse des matériaux de construction, a dévoilé en 2023 un prototype d’usine de recyclage de béton. La machine absorbe des déchets de béton fragmenté, y injecte des additifs, y séquestre du CO2 et fabrique ce faisant un béton circulaire.
Des start-up planchent, comme les américaines CarbonBuilt ou Biomason, sur des bétons sans ciment. D’autres jeunes pousses américaines, Sublime Systems et Chement, fabriquent du ciment sans recourir à une combustion. L’EPFL et le Laboratoire suisse d’essai des matériaux et de recherche (Empa) en étudient des versions plus propres. Les sociétés suisses Oxara et Terrabloc misent sur des matériaux sans ciment, à base de terre.
«On veut se passer de pétrole et le remplacer par des déchets plastiques non recyclables» FRANÇOIS GIROD, DIRECTEUR DU SITE HOLCIM D’ÉCLÉPENS
Volumes en baisse
A Eclépens, Francis Girod dit suivre une stratégie «basée sur la qualité plutôt que sur le volume» dans un contexte de baisse. Les six usines de ciment en Suisse, dont trois appartiennent à Holcim, produisent moins de ciment depuis une décennie. La force du franc inciterait des constructeurs à importer plus de ciment moins cher. Le covid, l’inflation et un recours accru à d’autres matériaux dans la construction, comme le bois, participent de cette baisse.
En Suisse, Holcim emploie 1200 personnes dans 55 sites, dans la fabrication de béton, des granulats, du ciment et le recyclage des matériaux de démolition. A Eclépens, l’entreprise a produit 700 000 tonnes de ciment en 2023, contre 840 000 tonnes lors de son année record, en 2014. La production mondiale, qui reste stable, s’est élevée a plus de 4 milliards de tonnes de ciment l’an dernier.
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