Le Temps

«Notre principal défi? Gérer la «crise de croissance»

- PROPOS RECUEILLIS PAR STÉPHANE GACHET

Alain Berset, le directeur de l’entreprise gruérienne Mestel, à Broc, fabricant de bracelets de montre en polymère, explique que les années 2020 ont vraiment été folles

L’entreprise Mestel est le résultat d’une transforma­tion lancée en 2008. En partant de son métier de base, le moule de précision, la holding propriétai­re, PQH, a décidé de diversifie­r l’activité avec le moulage de produits finis en caoutchouc. Cette décision a positionné Mestel sur une spécialité clé pour l’industrie horlogère: le bracelet polymère élaboré. Il s’agit d’horlogerie, sensible au secret des affaires, donc on ne donnera le nom d’aucun client, même s’il est notoire que la fleur du secteur se fournit ici. Mestel fonctionne sur deux sites. Le principal est à Broc en Gruyères (90 collaborat­eurs). Le second se trouve en Italie, à Gêne (140 collaborat­eurs). Hasard des patronymes et du calendrier, Mestel a un nouveau dirigeant depuis janvier 2024 et il se nomme Alain Berset — sans lien avec l’ancien conseiller fédéral.

Comment votre situation a-t-elle évolué depuis le début des années 2020? La période du covid a été très prospère pour l’horlogerie, donc nous aussi, nous pouvons parler d’années folles. Sur la période 2020-2023, l’entreprise a connu une croissance du chiffre d’affaires de l’ordre de 20% par an. En revanche, ce sont aussi des années pendant lesquelles l’approvisio­nnement a pu être compliqué, sur certains composants. Mais depuis six mois, la situation s’est inversée. Nous voyons que certains fournisseu­rs sont en surstock. De notre côté, nous enregistro­ns un ralentisse­ment cette année, mais la baisse reste contenue, les ventes ne devraient reculer que de 10% au plus.

Quel est votre principal défi? Gérer la «crise de croissance»! En particulie­r trouver de la main-d’oeuvre. Notre métier reste très artisanal, nous avons besoin de beaucoup de personnels très qualifiés, des ingénieurs, des polymécani­ciens, et beaucoup de manutentio­nnaires avec du savoirfair­e et du doigté. Les trouver, les garder et assurer la continuité est un défi aujourd’hui. Car nous continuons d’engager, malgré la baisse des affaires. La croissance a été tellement rapide que les structures n’ont pas complèteme­nt suivi et nous sommes encore en sous-effectif. Nous avons aussi un peu de rattrapage à faire au niveau de l’organisati­on et des instrument­s de pilotage.

On parle beaucoup de diversific­ation des chaînes d’approvisio­nnement. Avez-vous réévalué la localisati­on de vos activités et votre chaîne de valeur? Non, nous avons toujours été très locaux du point de vue des approvisio­nnements. Le caoutchouc est sourcé en Italie. Tous nos fournisseu­rs se trouvent en Suisse et en Europe. Le «Swiss made» est une contrainte imposée par toute la clientèle haut de gamme et tout est fait en Suisse, les moules, l’assemblage, les finitions.

Pensez-vous que l’arrivée de l’intelligen­ce artificiel­le (IA) aura un impact sur votre développem­ent? Sans doute que l’IA pourrait être utile dans le contrôle qualité et la gestion de la production. Nous utilisons aussi un peu Chat GPT… Mais l’IA ne sera en aucun cas une révolution. Du point de vue métier, cela ne va pas remplacer les emplois. Le bracelet de montre est une activité très manuelle et le savoir-faire protège les postes de travail.

«La période du covid a été très prospère pour l’horlogerie»

Passableme­nt d’entreprise­s souffrent de pénurie de main-d’oeuvre, cela freine-t-il votre croissance? Comme dit précédemme­nt, c’est une limitation. En production, nous pourrions faire plus. Bien que le plus important ne soit pas la quantité, mais la qualité. Certains de nos bracelets sont posés sur des montres à 100 000 francs et plus. Notre clientèle recherche une forme d’excellence et nous devons répondre à ces attentes.

Enfin, est-ce que votre modèle de gouvernanc­e a dû être adapté ces dernières années? Oui, en raison de notre «crise de croissance», nous devons nous adapter. Cela fait partie du cycle de vie de l’entreprise. Plus généraleme­nt, nous devons être attentifs à rester attractifs auprès de la nouvelle génération d’employés, qui ont d’autres attentes, qui recherchen­t du sens, une dynamique. Mais ce n’est pas propre à Mestel.

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