«2024, une année pas brillante, mais on ne se plaint pas»
Le salon de l’industrie de Hanovre se termine ce vendredi après une semaine d’exposition. Dans un contexte économique difficile, les exposants allemands oscillent entre optimisme et prudence
Démonstrations de robots en tout genre, d’applications d’intelligence artificielle, podiums de discussion sur l’hydrogène, dans les allées de l’immense salon de l’industrie de Hanovre, qui se termine ce vendredi 26 avril, l’ambiance est loin d’être aussi déprimante que ce que peut laisser présager le contexte économique morose de l’Allemagne. Entrée en récession l’an dernier avec une croissante négative de 0,4%, la première économie d’Europe peine à se remettre des conséquences de la pandémie et de la guerre en Ukraine. Récemment, le Fonds monétaire international (FMI) l’a même placée en queue de peloton des nations industrielles quant aux prévisions de croissance pour 2024.
La récession et les défis auxquels l’Allemagne est confrontée sont dans tous les esprits, mais les exposants affichent un certain optimisme, notamment parmi les entreprises du secteur des machines-outils, l’une des forces de l’industrie nationale. C’est le cas du groupe Faulhaber, fournisseur de systèmes miniatures et de microsystèmes, basé près de Stuttgart et présent en Suisse.
«S’adapter aux coûts élevés de la main-d’oeuvre»
Sur son stand, les visiteurs se suivent, attirés entre autres par une prothèse de main dernier cri. «L’année 2024 ne s’annonce pas brillante mais on ne se plaint pas. Elle sera au même niveau que 2023, constate Mireille Deckers-Strobel, cheffe des ventes de Faulhaber. Notre chance est d’être présents au niveau global et actifs dans plusieurs secteurs, comme l’automatisation, la robotique, le médical, le spatial. Nous ne sommes pas dépendants d’un seul marché. Du coup, nous ne subissons pas de situations extrêmes, ni vers le haut ni vers le bas.»
Forte de 2200 salariés, dont 750 en Allemagne, Faulhaber reconnaît s’adapter aux coûts élevés de la maind’oeuvre en Allemagne, en «produisant de plus en plus en Roumanie et en Hongrie». «Nous avons fait le choix de rester en Europe mais il faut nous adapter par rapport à la concurrence qui produit pour moins cher en Asie», reconnaît Mireille Deckers-Strobel.
A quelques stands de là, la PME Kösters, spécialisée dans l’automatisation du chargement de tours et de fraiseuses, fait état d’«une très bonne situation». «Cela semble étrange mais, depuis le covid, nous travaillons à plein régime, explique son patron Peter Köster. Nos robots sont très demandés depuis trois ans, mais évidemment nous nous inquiétons pour le moyen terme car nos clients sont surtout des sous-traitants de groupes automobiles. La diabolisation des voitures à moteur thermique peut avoir un effet domino sur nous. Je m’inquiète pour l’avenir de l’Allemagne en tant que site de production industrielle», reconnaît-il.
Un peu plus loin dans les allées, Gerhard Spreckelmeyer, directeur de l’entreprise du même nom spécialisée dans les machines d’automatisation et forte de 30 salariés, évoque, lui, un «marché très calme». «Nous avions espéré un rebond après la pandémie mais ça n’a pas été le cas. Nos clients produisent davantage à l’étranger. Nous constatons aussi une insécurité liée à la guerre en Ukraine et à l’absence d’orientation de la politique en Allemagne», ajoute-t-il en regrettant la «fonte des bénéfices due à la hausse des coûts de l’énergie de ces dernières années». Il reconnaît que «la joie d’investir n’est plus si grande qu’avant – nous sommes prudents». Et évoque toutefois de nouveaux projets dans l’hydrogène. «Nous restons optimistes», lance-t-il soudain, enthousiaste.
Cet optimisme encore très prudent se reflète à travers plusieurs voyants économiques. L’indice IFO du climat des affaires a progressé en avril, pour le troisième mois d’affilée. Mercredi 24 avril, Robert Habeck, le ministre de l’Economie, a relevé de 0,2 à 0,3% les prévisions de croissance de son pays pour 2024, en raison d’une baisse substantielle de l’inflation, d’une chute «plus importante que ce qui était attendu par beaucoup» des prix de l’énergie et d’une «normalisation des chaînes de production».
Manque de main-d’oeuvre qualifiée et retard numérique
«Je m’inquiète pour l’avenir de l’Allemagne en tant que site de production industrielle» PETER KÖSTER, PATRON DE KÖSTERS
Berlin table aussi sur une possible baisse des taux d’intérêt par la Banque centrale européenne en juin, avec des effets positifs sur la demande. La présidente de la BCE, Christine Lagarde, jugeait d’ailleurs récemment que «l’Allemagne avait peut-être tourné la page» de la crise. Quant à la Bundesbank, elle table sur une production industrielle légèrement positive, sans toutefois voir de «signe d’amélioration durable de la croissance».
«Il ne faut pas que s’impose l’image d’une Allemagne qui ne produirait plus et où rien ne fonctionne. Ce n’est pas le cas», lançait Robert Habeck cette semaine devant la presse étrangère à Berlin. «L’Allemagne a la recette pour régler ses problèmes, concernant la décarbonation et la numérisation. Mais elle a besoin d’une croissance plus forte que les 0,3% prévus cette année», estime-t-il.
Au salon de Hanovre, les problèmes le plus souvent mis en avant concernent le manque de main-d’oeuvre qualifiée et «le manque de visibilité économique». «Le gouvernement annonce des choses puis change d’avis. Nous ne savons pas sur quel pied danser», regrette Peter Köster, qui évoque par exemple les revirements en matière de primes sur les voitures électriques.
Mireille Deckers-Strobel de l’entreprise Faulhaber pointe, elle, le poids de l’administration et le retard dans la numérisation. «En comparaison avec la Suisse et l’Asie, l’Allemagne est en retard. Je crains que le pays perde sa place de leader dans l’innovation», ajoute-t-elle, tout en relativisant. «L’Allemagne part d’un niveau extrêmement élevé en termes d’innovation et d’industrie. Elle peut se plaindre, mais elle a les ressources pour se remettre», estime-t-elle. ■