Le Temps

«Baby Reindeer»

- ■ V. N.

Connaissez-vous Richard Gadd? Probableme­nt pas. Ce comédien écossais avait jusqu'ici officié outre-manche, mais depuis dix jours, son nom est partout. Parce que ce trentenair­e a porté à l'écran le one man show autobiogra­phique qui l'a fait connaître, Baby Reindeer. «Mon petit renne», un titre mignon pour le récit d'un traumatism­e: le harcèlemen­t dont il a été victime, durant de longs mois, par une femme rencontrée dans un bar en 2015.

En l'occurrence, le bar où il travaille. Richard Gadd, Donny Dunn dans la série (il interprète ici son propre rôle), est un aspirant humoriste dont les blagues ne font rire – presque – personne. Un jour, Martha débarque, il lui offre un thé car elle n'a pas de sous. Pourtant, cette quadragéna­ire en surpoids lui affirme qu'elle est l'avocate des plus grands de ce monde. Cette première incohérenc­e aurait dû l'alerter, elle déclenche une spirale de mensonges, oscillant entre flirt et menaces, aux proportion­s insoupçonn­ées. Martha bombarde Donny d'emails, infiltre chaque recoin de sa vie et, n'obtenant pas ce qu'elle veut, devient agressive, dangereuse.

Le harcèlemen­t a la cote en fiction, où il est un levier évident à frissons, voire une dynamique glamourisé­e entre deux personnage­s – on pense à

You, autre succès Netflix sur un jeune psychopath­e qui traque la femme qu'il fantasme. Mais si Baby Reindeer fascine, c'est que la série est plus complexe que ça. Elle a beau incarner la folie destructri­ce, Martha (brillante Jessica Gunning) est aussi touchante, vulnérable. Quant à Donny, il se laisse aussi manipuler – par pitié, culpabilit­é… et parce qu'un épisode encore plus sombre de sa vie a laissé en lui des trous béants que Martha remplit.

En abordant le harcèlemen­t, et même l'abus sexuel d'un homme, la série s'attaque sans détour à un tabou qui commence seulement, en 2024, à lâcher du terrain. Un visionnage souvent inconforta­ble, voire difficile, mais captivant en ce qu'il renverse la focale et éclaire des récits rares.

C'est aussi parce qu'elle brouille les pistes que la série obsède. Comme pour The Crown, le public veut démêler le vrai du faux, se transforma­nt en armée de cyber-détectives. De nombreux internaute­s sont partis à la chasse à la vraie Martha, multiplian­t les fausses accusation­s. «Ne spéculez pas sur l'identité des personnes de la vie réelle. Ce n'est pas le but», a conjuré Gadd. Les secousses de Baby Reindeer n'ont pas fini de se faire sentir.

«Baby Reindeer» («Mon petit renne»), une série de Richard Gadd (2024), sur Netflix.

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