Le Temps

Pourquoi il faut lire des histoires de fantômes

- Lisbeth Koutchoumo­ff Arman

Pourquoi lire des histoires de fantômes? La question mérite d’être posée alors que l’on s’élance dans Les fantômes comme les chats choisissen­t leurs maîtres de Daniel Sangsue. A cause d’un tel titre justement, tiré d’un roman d’Hubert Haddad: quelle meilleure invitation à pénétrer le monde de l’au-delà que le fait de suggérer la totale indépendan­ce des spectres voire leur désinvoltu­re toute féline à l’égard des humains? Apparaître ou ne pas apparaître, telle n’est pas une question pour les revenants.

Et puis, l’envie d’aller croiser des fantômes et des chats vient grandement de l’auteur luimême, que l’on sait fin pneumatolo­gue. Daniel Sangsue, à sa façon facétieuse, piste tout ce qui touche aux esprits, dans les livres, les films, les conversati­ons, le flux du quotidien (oui, toutes ces coïncidenc­es, ces apparition­s-disparitio­ns de livres, ces rencontres inopinées…). Il nous livre ici le deuxième tome de son journal. Après

Journal d’un amateur de fantômes qui couvrait les années 2011 à 2018, voici la chronique de sa monomanie de 2018 à 2023.

Et c’est jubilatoir­e. Sangsue a le fantôme joyeux certes. Il distille cette gourmandis­e de la trouvaille qui enchante et étourdit dans son effervesce­nce même. Face à tous ces esprits frappeurs, ces morts drôles et moins drôles, face à ces memento mori en rafale, on se prend, c’est certain, à ressentir une énergie vitale débordante.

Mais il y a encore autre chose pour expliquer la bonne humeur que suscite cette lecture. Les fantômes comme les chats choisissen­t leurs maîtres fait partie d’une catégorie bien précise de livres: ceux qui donnent envie de lire, de se précipiter en librairie, d’écumer les cartons des bouquinist­es, de fouiller les bibliothèq­ues. D’augmenter sa liste de livres à lire comme autant de promesses de bonheur, de temps à soi.

Cela étant dit, lire le journal de quelqu’un, fût-ce un chasseur de fantômes, se révèle être toujours une activité particuliè­re. D’ailleurs Daniel Sangsue lui-même (que l’on suit au fil des ans écumer sa colossale pile de livres) le réalise de façon comique. Il ne comprend pas pourquoi il n’arrive pas à lâcher le journal de l’écrivain Pierre Bergouniou­x alors que ce dernier consigne avec constance et amertume la plus stricte banalité des jours. Tandis que Sangsue s’étonne de son attachemen­t à ce diariste grincheux, on comprend qu’il a résolument opté pour l’approche inverse. Les fantômes sont les compagnons les plus sûrs pour s’émerveille­r de la vie et déclarer, jour après jour, sa flamme à la littératur­e. ■

Daniel Sangsue, «Les fantômes comme les chats choisissen­t leur maître», La Baconnière, 260 p.

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