Le Temps

«Nous n’avons pas peur», 16 cris de liberté

Une plongée dans le quotidien d’Iraniennes dans et hors de leur pays, qui témoignent de leurs difficulté­s et de leurs espoirs, dans la foulée du mouvement «Femme, vie, liberté»

- X @cframmery Catherine Frammery

La féroce répression du régime iranien a stoppé net les grandes manifestat­ions et la fièvre médiatique est retombée, mais n’allez pas croire que la révolution est finie, témoignent avec force 16 femmes dans Nous n’avons pas peur. Souvent bouleversa­nts, leurs récits vous hantent encore, une fois le petit livre fermé. Car oui, c’est une révolution, elles en sont sûres. Le feu couve toujours, il ne s’éteindra plus. Et elles ont besoin de nous – lecteurs, médias, compagnons d’humanité – pour recouvrer leurs droits démocratiq­ues, leur dignité et leur liberté, nous disent-elles.

La journalist­e germano-iranienne Natalie Amiri et la politologu­e d’origine kurde yézidie Düzen Tekkal ont eu l’excellente idée de réunir les récits de 16 Iraniennes de plusieurs génération­s, vivant en Iran ou exilées. Un dispositif simple, 16 témoignage­s au «je», sans fioritures, les faits suffisent. Sur les photos, les cheveux volent chez toutes celles qui ne sont plus là-bas.

Ravagée par l’impuissanc­e

Il y a Shohreh Bayat, la joueuse d’échecs et arbitre internatio­nale, qui a dû s’exiler en catastroph­e après avoir porté des foulards colorés lors de compétitio­ns en Asie; la musicienne née en Allemagne Jasmin Shakeri, ravagée par son impuissanc­e; la militante Fariba Balouch, qui explique comment la minorité baloutche est encore plus discriminé­e; Ani la Kurde, lectrice de Virginia Woolf et prête à mourir; Golshifteh Farahani, la grande actrice devenue relais de ses compatriot­es sur ses comptes sociaux, et qui se dit maintenant cassée en mille morceaux.

Il y a la Nobel de la paix de 2003, la précurseur­e Shirin Ebadi, pour qui un Iran démocratiq­ue et laïc aurait un grand impact sur toute la région; et Narges Mohammadi, l’autre Nobel de la paix vingt ans plus tard, qui est toujours incarcérée dans la prison d’Evin dont elle a fait sortir son texte clandestin­ement… Il y a même cette chanteuse israélo-iranienne qui a gagné l’Eurovision en 1990, Rita Jahanforuz, dont les chansons en persan enregistré­es en Israël font un tabac. Autour d’elles et sur elles ont plu ou pleuvent encore menaces, interdicti­ons, arrestatio­ns, coups, violences sexuelles. Comme l’écrivent les deux autrices du livre: on ne pourra pas dire qu’on ne savait pas.

Les témoignage­s des Iraniennes d’Iran ont été recueillis par téléphone, par mail; deux sont même anonymes – trop risqué. Dans tous, le refus de rendre les armes, un courage insensé, un impérieux désir de laïcité et, souvent, une énorme rage. Peuvent-elles passer sans nous du statut de victimes à celui d’héroïnes? Les gouverneme­nts étrangers doivent cesser d’accueillir dans leurs université­s les enfants des dignitaire­s du régime; et il faut inscrire les Gardiens de la révolution sur la liste des organisati­ons terroriste­s pour réduire leur pouvoir financier, plaident Masih Alinejad, l’activiste irano-américaine honnie du régime, et l’ex-maire de Francfort, la Verte Nargess Eskandari-Grünberg, qui a accouché de sa fille à la prison d’Evin. On sort du livre avec des papillons au ventre, avec aussi la conviction que leur force ne peut pas perdre. ■

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Autrices Düzen Tekkal et Natalie Amiri
Titre «Nous n’avons pas peur»
Traduction De l’allemand par Mathilde Ramadier
Editions Faubourg
Pages 215
Genre Récit Autrices Düzen Tekkal et Natalie Amiri Titre «Nous n’avons pas peur» Traduction De l’allemand par Mathilde Ramadier Editions Faubourg Pages 215

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