Jean-Paul Dubois sur la piste des larmes
Texte sur l’infini besoin d’amour et de liens, «L’Origine des larmes» manie l’humour noir pour mieux ciseler la chaude lumière des sentiments
Il pleut et il pleure dans L’Origine des larmes de Jean-Paul Dubois. Il pleut vraiment, depuis deux ans, de façon ininterrompue, sur Toulouse et les environs. La ville prend des allures de Venise par temps d’aqua alta. En 2031, année où se déroule le roman, le dérèglement climatique a basculé du côté liquide, tantôt bourrasques tantôt crachin. Ces trombes d’eau renvoient aux larmes toutes intérieures du narrateur. Paul pleure du dedans. Il rentre de Montréal où il est allé chercher la dépouille de son père, Thomas Lanski, l’homme qui sera mort deux fois.
Pas besoin de maintenir le suspense puisque la quatrième de couverture vend la mèche qui n’en est pas une: Paul va tirer deux balles de revolver sur son père déjà mort, allongé dans la morgue, près de l’hôpital de Toulouse. L’Origine des larmes est tout entier la confession de Paul à son psychiatre. Tout entier aussi dans l’écriture de Jean-Paul Dubois, dans l’invention de cette comédie noire où le tragique se métabolise en farce grand-guignolesque pour mieux pleurer de vraies larmes. L’auteur de Tous les hommes ne vivent pas le monde de la même façon manie l’humour et le grotesque pour rendre perceptible le goût du chagrin, la matière même de la solitude d’être.
Méchanceté outrancière
«Aux sources de la haine du fils» pourrait être le sous-titre de cette exploration familiale, d’une vie atomisée par la méchanceté outrancière du père. Paul a perdu à la naissance sa mère et son frère jumeau. Thomas Lanski était loin pour de pseudo-affaires prolongées en vacances dans le Sud. Pour Paul, l’origine des larmes se trouve dans cet arrachement premier, entre deux morts.
En sondant ce manque par l’extraordinaire capacité de Paul à se souvenir de sa vie utérine, Jean-Paul Dubois dessine en creux une cartographie poignante des liens du sang. «Je suis encore dans le ventre de Marta, tout à côté de mon frère jumeau. Nous avons toujours vécu l’un contre l’autre. Jamais nous n’avons éprouvé l’inquiétude d’être seuls. La voix de notre mère était douce et calme. Même si nous ne comprenions pas ce qu’elle disait, l’entendre, toujours, nous apaisait dans notre longue nuit commune. […] Je me souviens aussi de ceci: j’ai toujours aimé mon frère. Je ne l’ai jamais vu, mais je l’ai toujours aimé. Profondément.»
Le peintre des gouttes
«Que faisait donc Thomas Lanski, votre père, dans la vie?» demande le jeune policier chargé de prendre la déposition de Paul, le parricide qui n’entre dans aucune case du Code pénal. «Le Mal» voudrait répondre le fils quinquagénaire, avant de se raviser et de dérouler la vie du paternel, as des trafics, coups bas et scandales en tous genres. «J’espère pouvoir raconter tout le mal que cet homme a fait pendant sa vie. Même si j’encours le risque de ne pas être cru.»
Paul connaît la mort de près pour une autre raison que ses coups de feu sur Thomas
Lanski. Il est désormais à la tête de l’entreprise familiale de housses mortuaires Stramentum. C’est d’ailleurs sur le prétexte de glisser le cadavre du père dans une de ces housses que Paul a pu pénétrer dans la morgue et perpétrer son forfait macabre. Roman sur l’infini besoin de liens, L’Origine des larmes mène le narrateur dans une recherche des origines jusqu’en Suède, pays d’un grand-père fantasmatique, Prix Nobel de la paix bien réel, Dag Hammarskjöld, mort dans un accident d’avion en 1961.
Des chiens sur la plage
Autre personnage tiré du réel, le peintre coréen Kim Tschang-yeul, décédé en 2021, qui a consacré sa vie à la peinture de gouttes d’eau. A l’opposé exact de la figure viciée de Thomas Lanski, l’artiste a été filmé par un fils aimant dans un documentaire (bien réel là encore). Autres surgissements de lumière, les nombreuses et magnifiques scènes entre Paul et des chiens, aimés dans l’enfance ou découverts au fil de promenades au bord de la plage. Scènes récurrentes dans l’oeuvre de Jean-Paul Dubois, les descriptions de l’amour inconditionnel qui surgit entre l’homme et l’animal, demeurent en mémoire comme des leitmotivs entêtants. ■