Edouard Louis retourne à la mère
Dans «Monique s’évade», le romancier poursuit l’exploration de sa cartographie familiale
Depuis dix ans et la parution d’En finir avec Eddy Bellegueule, Edouard Louis revient sur son transfuge de classe, son changement de nom, sa construction en tant qu’écrivain. Il le fait depuis Paris, loin du nord de la France, loin de cette Picardie pauvre et déclassée où il a passé son enfance, né Eddy Bellegueule, harcelé à cause de son orientation sexuelle.
L’émancipation d’une femme
Proche du sociologue Didier Eribon, il a entrepris, partant de l’intime, de dresser de livre en livre le portrait d’un système social dans sa globalité, consacrant un roman à son père (Qui a tué mon père, 2018), un autre à sa mère (Combats et métamorphoses d’une femme, 2021). Cette rentrée, un livre sur son frère aîné, mort d’alcoolisme à 38 ans, était annoncé. A la place, l’auteur publie, au risque de la redite, Monique s’évade.
Sa mère, dont il avait décrit la première fuite loin d’un mari maltraitant (le père de l’auteur) est depuis retombée sous la coupe d’un nouvel homme violent. Le début du livre happe le lecteur, racontant le jour où cette femme de 55 ans, aidée par son fils, s’échappe à nouveau. Puis c’est son installation dans un appartement à elle, où elle pourra vivre indépendante: «Pour la première fois, elle peut dire Je et non plus Nous au moment de planifier son futur.»
Devenir archéologue
Monique est un personnage bouleversant. «Sa vie avait été, jusqu’à maintenant, une vie pour les autres.» Une naïveté affleure et émeut lorsque l’auteur l’invite à pénétrer dans son nouveau monde à lui, celui de la réussite, des artistes renommés, des palaces, mais qu’il refuse de visiter le sien. Il parle «pour» elle («Je suis devenu l’archéologue de ma mère»), mais ne va jamais la voir dans son nouvel appartement, au Nord. Naïveté aussi lorsqu’il croit pouvoir la considérer uniquement comme une amie: «Elle n’est plus ma mère. C’est peut-être pour ça que le lien entre nous est devenu possible.»
La fin est euphorisante comme les fins trop heureuses des films hollywoodiens; le lecteur partage la joie du duo mais ne peut s’empêcher de ressentir une profonde mélancolie. Combats et métamorphoses d’une femme est adapté au théâtre à Hambourg. Monique prend pour la première fois l’avion pour assister au spectacle avec son fils. A la fin de la représentation, son fils la pousse légèrement dans le dos pour qu’elle s’avance sur scène et vienne saluer un public qui l’ovationne. Elle se demande, surprise, infiniment touchante: «Ah bon, je suis importante?» Un petit miracle a lieu, fugace ou dérisoire, mais qui peut-être «modifiera son histoire». A défaut de s’évader, on peut réécrire son histoire, encore et encore.■