Le Temps

George Kokoletsos, un privé dans les coulisses de l’immobilier genevois

Rafaele Bacchetta et Christophe Baenziger signent un premier album dans la Genève des années 1980 où l’on construisa­it déjà à tout-va. Inspiré du roman noir et des dessinateu­rs américains des années 1950, le récit palpite au tempo du blues

- Lisbeth Koutchoumo­ff Arman X @LKoutchoum­off

George Kokoletsos porte un costard bleu et les cheveux peignés en arrière. Il aime le blues de Muddy Waters et l’ouzo. Il lit Zone zéro d’Herbert Franke et La Conjuratio­n des imbéciles de John Kennedy Toole. Quand «la mélancolie remonte à la surface», il va se promener au bord du lac. C’est d’ailleurs dans le bleu du ciel et du Léman que s’ouvre le premier tome des enquêtes de George Kokoletsos, dit Koko, détective privé dans la Genève des années 1980. Avec Rafaele Bacchetta aux dessins et Christophe Baenziger au scénario, l’album déploie son tempo travaillé, entre planches méditative­s et course-poursuite dans la Vieille-Ville. Au coeur de l’intrigue, les milieux de l’immobilier qui construise­nt à tout-va dans ces années-là, déjà. Les jeux de miroirs avec aujourd’hui sont limpides tout comme la critique sur une course aux gains qui se ferait sans égard pour la qualité de vie ou une quelconque esthétique.

L’élément déclencheu­r de l’enquête est la disparitio­n depuis quinze jours d’une jeune femme, Aurélia, fille de l’entreprene­ur en bâtiments Giovanni Bertolli. Aurélia a perdu sa mère dans un accident de voiture une année plus tôt. Elle devait justement rejoindre sa famille à la cérémonie qui commémorai­t le drame. Elle n’est jamais venue. Kokoletsos est mis sur l’affaire par sa soeur Léa, avocate, amie de Bertolli. Léa a rompu avec ses origines populaires et regarde son frère avec condescend­ance. Les rapports de classe traversent l’album tout comme la question du racisme, ici envers les Italiens, a fortiori quand ils réussissen­t, comme Bertolli.

Une ville, un personnage

Tous deux Genevois, les auteurs ont pris plaisir, on le sent, à faire de leur ville un personnage à part entière. En admirateur des dessinateu­rs américains des années 19501960, Milton Caniff et Alex Raymond ainsi que du duo argentin José Muñoz et Carlos Sampayo, Rafaele Bacchetta a opté pour un travail entièremen­t à la main. La Genève des années 1980 apparaît comme traversée par un air des années 1950, dans des teintes pastel chaudes. Personnage­s et décors offrent une même épaisseur, un même soin du détail. La fluidité du découpage et du rythme qui le sous-tend rappelle les allées et venues de la voiture jaune de Kokoletsos qui sillonne sans relâche les différents mondes de Genève, des villas avec vue dégagée sur le lac, au QG de la communauté grecque à Plainpalai­s, le restaurant Aristote, longtemps tenu par les parents de Koko.

Disparitio­n et interchang­eabilité

Pour le scénario, Christophe Baenziger nous explique au téléphone s’être inspiré de l’un de ses auteurs fétiches, le maître du roman noir Ross Macdonald chez qui la disparitio­n d’un personnage lance la plupart des intrigues. «Avec une touche de Colombo aussi puisque Kokoletsos sera amené à découvrir ce que dissimule la réussite sociale.»

Le personnage égaré et ultrasensi­ble d’Aurélia, amatrice de peinture qui aime se perdre au Musée d’art et d’histoire, pose la question de la difficulté à prendre sa place dans un monde en perte de sens où les êtres deviennent des «éléments interchang­eables», thématique chère à Herbert Franke, l’auteur de chevet de Kokoletsos. La disparitio­n et l’interchang­eabilité des personnage­s se retrouvent aussi dès le début dans le dessin et le découpage d’un récit qui déploie décidément plusieurs niveaux de lecture. ■

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Auteurs Rafaele Bacchetta et Christophe Baenziger
Titre George Kokoletsos. L’ermite ivre
Editions Slatkine
Pages 66
Genre Bande dessinée Auteurs Rafaele Bacchetta et Christophe Baenziger Titre George Kokoletsos. L’ermite ivre Editions Slatkine Pages 66
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Jeune femme égarée et ultrasensi­ble, Aurélia pose la question de la difficulté à prendre sa place dans un monde en perte de sens. (Editions Slatkine)

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