«Le rien, c’est mieux que bien!»
«Tu as remarqué? C'est le printemps, la nature est en fête, mais les gens, épuisés par les incessants changements de météo, se traînent comme des hébétés. Et qu'est-ce qu'on leur vend partout? Du mouvement, des entraînements, des défis santé. Moi, j'ai la solution pour eux: un lieu en ville, propre et simple, qui leur offre 45 minutes de sieste pour pas cher, de midi à 18h.» Je regarde Julie, ma belle et indolente amie. En ce jour de touffeur printanière, on enchaîne les caïpis et penser à un projet, quel qu'il soit, me semble hors de portée. Mais Julie est lancée. «Je sais que des hôtels proposent déjà des Dayuse, une chambre en journée à moindre prix. Mais tu dois quand même débourser 80 balles au minimum. Moi, j'imagine une salle parfaitement insonorisée, séparée en dix box confortables et propres, dans lesquels les gens viennent uniquement dormir ou décompresser – pas de sexe au programme! Vu la simplicité de l'offre, le prix ne devrait pas excéder 30 ou 40 francs, avec possibilité de réductions via des abonnements.»
Titillée par l'idée, je commence à me réveiller. «OK, j'ai deux questions, dis-je. Comment tu fais pour t'assurer que tes clients ne transforment pas cet endroit en «love hotel»? Et comment tu te débrouilles pour la literie, avec une dizaine de box à changer toutes les heures?» Julie sourit, souveraine, et me répond. «Pour le sexe, un réceptionniste accueille et accompagne chaque usager à son box et veille à ce que personne d'autre n'entre dans le lieu. Et, pour l'hygiène, je prévois une banquette en sky, comme chez le chiro, mais plus large, et une couverture en coton léger. Tu peux en avoir une centaine d'exemplaires et les laver facilement en pressing, chaque fin de journée.»
«Comme la séance dure 45 minutes et commence toutes les heures, la personne d'entretien a un quart d'heure pour nettoyer le box et la banquette, poursuit Julie. L'idée est vraiment d'offrir un espace protégé, pendant un temps donné, pour se relaxer en étant sûr que rien, ni personne ne viendra te déranger. C'est ça, le sommet du luxe aujourd'hui… Ah oui, à ce propos, les utilisateurs devront laisser leur portable à la réception. Pas question que ça papote, pépie et piaille dans les box.»
Dans le jardin de Julie, un vent chaud froisse et défroisse les feuilles des roseaux. Tout est calme et volupté. Ma belle amie a raison. Ce qui manque le plus aux gens, en journée, ce n'est pas un xième fitness ou autre salle de torture qui ajoute du bruit au bruit, de l'agitation à l'agitation. C'est une chambre à soi, un cocon hermétique, un moment de rien où on peut totalement décompresser pour mieux redémarrer après.
Je me souviens que, au début des années 2000, certaines entreprises genevoises dont Le Temps, inspirées par les méthodes workfriendly en provenance des Etats-Unis, proposaient un espace de sieste à ses employés. Ce n'est plus la tendance dominante ces jours et c'est dommage, car, des médecins aux psys, tout le monde chante les louanges de cette pause, nécessaire complément à la brièveté de nos nuits.
Julie a donc raison. Si elle ouvre son centre de siestes protégées, elle risque bien de faire fortune tout en choyant la santé physique et psychique des usagers. ■