Le Temps

La CourEDH outrepasse ses compétence­s

- DANIEL JOSITSCH CONSEILLER AUX ÉTATS (PS/ZH)

La Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH) a condamné la Suisse dans l’arrêt contre les Aînées pour le climat au motif que la politique climatique de notre pays violait le droit à la vie privée des plaignants. Cet arrêt a suscité de fortes opposition­s, la Cour ayant outrepassé ses compétence­s. En outre, ce jugement douteux constitue un danger pour l’acceptatio­n de l’ensemble du droit internatio­nal dans notre pays.

Quel est le rapport entre le droit à la vie privée et la politique climatique de la Suisse? A première vue, le rapport est ténu. La CourEDH fonde pourtant son jugement contre la Suisse sur l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), qui inclut la protection de la vie privée. Comment un tel grand écart est-il possible?

Les tribunaux ont pour mission d’interpréte­r les lois. Cela les amène parfois à élargir quelque peu la portée d’un texte. Mais cela doit trouver une limite lorsqu’une interpréta­tion n’est plus couverte par ce même texte. La Cour a déjà franchi cette limite à plusieurs reprises par le passé, et de manière définitive avec l’arrêt rendu dans la procédure des Aînées pour le climat contre la Suisse.

Il convient de rappeler que la Convention ne peut être modifiée qu’à l’unanimité de tous les Etats contractan­ts. Dans les faits, une modificati­on est donc pratiqueme­nt impossible. Et il ne s’agit pas d’un oubli. Cela a permis un large soutien par les Etats parties, car ceux-ci savaient que la Convention ne pourrait pas évoluer contre leur volonté. Le fait que la Cour développe cette Convention de son propre chef, sans légitimité politique, ne correspond ni à la volonté des Etats parties ni à son esprit originel.

La CourEDH reproche à la Suisse de ne pas en faire assez pour lutter contre le changement climatique et de violer ainsi les droits de l’organisati­on plaignante. Personne ne conteste que le changement climatique constitue un problème, peut-être le plus important auquel l’humanité ait été confrontée, et qu’il est urgent d’y apporter des solutions. Mais la Suisse est responsabl­e de moins d’un pour cent des émissions de CO2.

Même si la Suisse n’autorisait plus aucune émission à partir de maintenant, le climat, et donc la situation des personnes représenté­es par l’organisati­on plaignante, ne changerait pas. Bien entendu, cela ne signifie pas que la Suisse ne doive pas mener une politique climatique active. Mais une condamnati­on pour une situation que l’on ne peut pas vraiment changer va à l’encontre de tout bon sens et du sens de la justice. La Cour, et elle ne le conteste d’ailleurs pas dans son arrêt, ne dit pas le droit ici, mais elle crée du droit et agit donc politiquem­ent. Or ce n’est ni sa tâche ni son rôle.

La CourEDH joue un rôle extrêmemen­t important dans le domaine de la protection des droits de l’homme. Mais lorsqu’elle dépasse les limites de son domaine de compétence, cela alimente en Suisse le rejet largement répandu de ce que l’on appelle les «juges étrangers». Dans le contexte des décisions populaires à venir sur la stabilisat­ion des accords bilatéraux et du débat sur le rôle de la Cour de justice de l’Union européenne, ce jugement est une forme de poison, inoculé dans le débat public. ■

La Cour ici crée du droit et agit donc politiquem­ent. Or ce n’est ni sa tâche ni son rôle

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