Une rébellion contre des évidences qui n’en sont plus
Les violences qui ont éclaté la nuit dernière sur le campus de l’Université UCLA de Los Angeles révèlent une révolte contre la politique de défense inconditionnelle de l’Etat hébreu malgré le carnage de Gaza
Dire que les violences qui ont éclaté sur le campus de l'Université UCLA, à Los Angeles, sont apparemment le résultat d'une confrontation entre manifestants pro-palestiniens d'un côté, pro-israéliens de l'autre, est une explication trop simpliste. La réalité de ce qui se passe sur les campus américains est plus complexe.
Le mouvement comprend des éléments extrémistes, de part et d'autre. Il est pourtant surtout conduit par des étudiants juifs et non juifs, palestiniens et non palestiniens qui s'indignent. Les protestataires s'identifient légitimement soit à une cause, soit à l'autre. Et on a l'impression qu'ils se mobilisent tous pour dénoncer les massacres commis par le Hamas en Israël le 7 octobre 2023 mais aussi la catastrophe humanitaire et les nombreux civils décimés à Gaza par l'armée israélienne.
Si la jeunesse de 1968 – dont Hillary Clinton – ne tolérait pas la guerre états-unienne au Vietnam, celle d'aujourd'hui s'insurge contre une première puissance mondiale incapable de discernement dans le soutien à l'Etat d'Israël. Continuer de soutenir l'existence de ce dernier ne signifie pas laisser l'Etat hébreu massacrer plus de 35 000 personnes dans la bande de Gaza, dont une grande proportion de civils.
Critiquer Israël a longtemps été tabou
Les manifestants des campus s'érigent en fait contre des automatismes qui ont longtemps prévalu outre-Atlantique, Israël ayant pris une importance démesurée sur la scène politique américaine depuis des décennies au détriment d'une cause palestinienne inexistante.
Pour avoir une chance d'être élu au Congrès à Washington, il a longtemps été suicidaire de critiquer l'Etat hébreu. Peu avant les primaires de 2020, l'actuelle vice-présidente Kamala Harris, alors candidate à la Maison-Blanche, en fut la parfaite illustration. Elle avait tenu un discours pro-Israël très convenu devant l'Aipac, le puissant lobby pro-israélien à Washington. L'incapacité du président Joe Biden à durcir le ton et à utiliser les leviers du principal bailleur de fonds d'Israël (comme George Bush père et dans une moindre mesure Barack Obama) a été perçue par nombre de jeunes Américains comme une complicité inacceptable des Etats-Unis. Ils ne comprennent pas que leur pays puisse laisser se dérouler la tragédie de Gaza. Ils ne saisissent pas non plus que Joe Biden puisse acquiescer d'une certaine manière à la politique d'extrême droite du gouvernement de Benyamin Netanyahou. Les jeunes universitaires auraient pu choisir une autre cause; celle des Palestiniens est leur manière de ruer dans les brancards de l'establishment de la capitale, engoncé dans des fonctionnements qui perdurent depuis des décennies. Pas sûr que les coups de matraque des polices américaines permettent de venir à bout de leur détermination.
Pour la première fois depuis des lustres, scander le mot «Palestinien» n'est plus un crime de lèse-majesté. Si certaines voix extrémistes appellent à la destruction d'Israël, le gros des manifestants, parmi eux nombre de juifs – à l'image de ceux qui, en tant que Freedom Riders, se battaient pour les droits civiques avec les Noirs dans les années 1960 – sont pro-palestiniens pour que coexistent pacifiquement deux Etats côte à côte. Car beaucoup y voient à terme la condition de la survie d'Israël. ■