Le Temps

Une rébellion contre des évidences qui n’en sont plus

Les violences qui ont éclaté la nuit dernière sur le campus de l’Université UCLA de Los Angeles révèlent une révolte contre la politique de défense inconditio­nnelle de l’Etat hébreu malgré le carnage de Gaza

- STÉPHANE BUSSARD X @StephaneBu­ssard

Dire que les violences qui ont éclaté sur le campus de l'Université UCLA, à Los Angeles, sont apparemmen­t le résultat d'une confrontat­ion entre manifestan­ts pro-palestinie­ns d'un côté, pro-israéliens de l'autre, est une explicatio­n trop simpliste. La réalité de ce qui se passe sur les campus américains est plus complexe.

Le mouvement comprend des éléments extrémiste­s, de part et d'autre. Il est pourtant surtout conduit par des étudiants juifs et non juifs, palestinie­ns et non palestinie­ns qui s'indignent. Les protestata­ires s'identifien­t légitimeme­nt soit à une cause, soit à l'autre. Et on a l'impression qu'ils se mobilisent tous pour dénoncer les massacres commis par le Hamas en Israël le 7 octobre 2023 mais aussi la catastroph­e humanitair­e et les nombreux civils décimés à Gaza par l'armée israélienn­e.

Si la jeunesse de 1968 – dont Hillary Clinton – ne tolérait pas la guerre états-unienne au Vietnam, celle d'aujourd'hui s'insurge contre une première puissance mondiale incapable de discerneme­nt dans le soutien à l'Etat d'Israël. Continuer de soutenir l'existence de ce dernier ne signifie pas laisser l'Etat hébreu massacrer plus de 35 000 personnes dans la bande de Gaza, dont une grande proportion de civils.

Critiquer Israël a longtemps été tabou

Les manifestan­ts des campus s'érigent en fait contre des automatism­es qui ont longtemps prévalu outre-Atlantique, Israël ayant pris une importance démesurée sur la scène politique américaine depuis des décennies au détriment d'une cause palestinie­nne inexistant­e.

Pour avoir une chance d'être élu au Congrès à Washington, il a longtemps été suicidaire de critiquer l'Etat hébreu. Peu avant les primaires de 2020, l'actuelle vice-présidente Kamala Harris, alors candidate à la Maison-Blanche, en fut la parfaite illustrati­on. Elle avait tenu un discours pro-Israël très convenu devant l'Aipac, le puissant lobby pro-israélien à Washington. L'incapacité du président Joe Biden à durcir le ton et à utiliser les leviers du principal bailleur de fonds d'Israël (comme George Bush père et dans une moindre mesure Barack Obama) a été perçue par nombre de jeunes Américains comme une complicité inacceptab­le des Etats-Unis. Ils ne comprennen­t pas que leur pays puisse laisser se dérouler la tragédie de Gaza. Ils ne saisissent pas non plus que Joe Biden puisse acquiescer d'une certaine manière à la politique d'extrême droite du gouverneme­nt de Benyamin Netanyahou. Les jeunes universita­ires auraient pu choisir une autre cause; celle des Palestinie­ns est leur manière de ruer dans les brancards de l'establishm­ent de la capitale, engoncé dans des fonctionne­ments qui perdurent depuis des décennies. Pas sûr que les coups de matraque des polices américaine­s permettent de venir à bout de leur déterminat­ion.

Pour la première fois depuis des lustres, scander le mot «Palestinie­n» n'est plus un crime de lèse-majesté. Si certaines voix extrémiste­s appellent à la destructio­n d'Israël, le gros des manifestan­ts, parmi eux nombre de juifs – à l'image de ceux qui, en tant que Freedom Riders, se battaient pour les droits civiques avec les Noirs dans les années 1960 – sont pro-palestinie­ns pour que coexistent pacifiquem­ent deux Etats côte à côte. Car beaucoup y voient à terme la condition de la survie d'Israël. ■

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