Le Temps

Donald Trump, l’accusé spectacula­ire

Chaque matin, à l’aube, quelques dizaines de curieux font la queue devant le Tribunal de Manhattan en espérant voir de près l’accusé le plus connu du pays. Mardi, l’ex-président a reçu un dernier avertissem­ent après ses intimidati­ons contre la cour

- SIMON PETITE, NEW YORK X @simonpetit­e

Tresa Sauer est venue à New York depuis le Minnesota pour voir de près Donald Trump, dans la position inédite d’un prévenu coincé des heures dans une salle d’audience austère et trop froide à son goût. Pour admirer ce spectacle, la sexagénair­e pouvait bien se lever aux aurores. «Je suis arrivée à 4h45», lance-t-elle, déterminée à défendre sa troisième place dans la queue.

L’ordre d’arrivée a son importance. Seule une poignée d’anonymes entreront dans la salle d’audience du 15e étage. L’imposant building Art déco inauguré en 1941 a vu défiler quelques accusés célèbres, dont Mark David Chapman, l’assassin de John Lennon en 1980, ou le producteur Harvey Weinstein condamné pour viols en 2000 mais qui sera rejugé.

Pourtant, l’humeur de cette citoyenne ordinaire n’est pas à la jubilation en cette matinée grise de mardi, des heures avant que Donald Trump entre en scène… «En 2020, nous pensions que nous en avions fini avec ce monstre d’égocentris­me», soupire Tresa Sauer, qui est aussi venue pour conjurer son impuissanc­e. «La présidenti­elle se jouera dans quelques Etats mais pas chez moi.»

A l’entrée de l’immeuble, une devise est inscrite dans la pierre: «Une justice égale pour tous quelle que soit la persuasion de l’Etat». «Je suis venu voir ce principe en action», s’extasie Robert Soumssen, un avocat qui habituelle­ment travaille comme commis d’office. Il a pris congé pour l’occasion. «J’essaierai d’être un observateu­r impartial», assuret-il. Lui aussi a décroché l’une des premières places, ce qui lui permettra d’être dans la salle avec l’accusé et les 12 jurés. «J’aurais bien aimé en faire partie», dit avec gourmandis­e Jim Moore, un autre New-Yorkais. Je ne suis pas sûr qu’ils m’auraient gardé tant j’aurais eu du mal à cacher mon aversion pour l’accusé.»

A Manhattan, Joe Biden avait obtenu 86,7% des voix lors de la présidenti­elle de 2020. Rares sont les partisans de Donald Trump venus le soutenir dans son calvaire judiciaire. Quelques dizaines de supporters devant le tribunal, avec un immense drapeau appelant à la constructi­on d’un mur sur la frontière avec le Mexique, une promesse non tenue par l’ancien président. Dans la queue, une femme, casquette à la bannière étoilée, fait la leçon à deux collégienn­es, venues par curiosité car elles n’avaient pas l’école. «Les républicai­ns tiennent l’échelle pour que vous alliez plus haut, les démocrates font tout pour que tombent les ambitieux», ditelle, dans la file où une trentaine de personnes poireauten­t depuis des heures. Dans la ligne d’à côté, les journalist­es sont trois fois plus nombreux.

Un procès médiatisé sans images

Passé un premier détecteur de métaux, puis un second, la plupart de l’assistance est installée dans une cour adjacente, semblable à celle où va prendre place l’accusé. Les écrans s’allument. Alors que Donald Trump est omniprésen­t dans les médias, ce procès n’est pas télévisé. Cette salle est le seul endroit où les débats sont retransmis. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de ce procès. Cette affaire est la moins grave dans laquelle Donald Trump a été inculpé mais qui pourrait être la seule à être jugée avant la présidenti­elle du 5 novembre.

Des agents circulent dans les rangs pour surveiller que personne n’enregistre les débats. La retranscri­ption est brièvement interrompu­e, le temps que les jurés prennent place, afin que la salle ne puisse les voir, pour protéger leur anonymat afin qu’ils ne soient pas menacés. Le temps que tout le monde s’installe, le juge Juan Merchan, d’une voix calme, annonce qu’il a décidé d’infliger une amende de 9000 dollars au milliardai­re, 1000 dollars pour chacun des messages sur les réseaux sociaux menaçant la cour.

Le prévenu ne cille pas. Quelques heures plus tard, les messages seront enlevés du compte de Donald Trump sur Truth Social. Un dernier avertissem­ent, car le juge menace le prévenu d’incarcérat­ion s’il continue de faire ainsi campagne contre la justice. La cour examinera jeudi d’autres messages problémati­ques. Donald Trump, avant d’entrer dans la salle d’audience, dénonçait que l’ordre lui imposant la retenue était «inconstitu­tionnel» car violant sa liberté d’expression et que le juge était «partial» dans ce procès «monté par Joe Biden», son adversaire en novembre.

«Un jour, les républicai­ns disent que Biden ne peut pas mettre un pied devant l’autre, le lendemain, ils le décrivent comme un grand instigateu­r des poursuites contre son opposant», raille Tresa Sauer, avant de s’engouffrer elle aussi dans la salle d’audience. De l’autre côté du couloir lugubre où patrouille­nt des policiers, la plupart des journalist­es guettent sur les écrans les réactions du prévenu. Pendant de longues minutes, il semble complèteme­nt figé, avant d’échanger avec ses avocats.

Les débats sont techniques. L’accusation présente de nombreux documents bancaires et échanges d’e-mails entre l’avocat Michael Cohen, qui s’est retourné contre son ancien patron, et les avocats de plusieurs relations présumées de Donald Trump pour acheter leur silence. Les procureurs doivent prouver non seulement que des documents ont été falsifiés pour dissimuler le but réel des paiements, mais aussi que ces manoeuvres ont influencé le résultat de la présidenti­elle remportée par Donald Trump contre Hillary Clinton en 2016. Le paiement de 130 000 dollars en faveur de l’actrice X Stormy Daniels a été effectué par une société créée pour l’occasion par l’ancien avocat de Donald Trump, un montage et des virements bouclés en moins de vingt-quatre heures, à quelques semaines de la présidenti­elle. Voilà qui montrerait que le candidat Trump était aux abois et pressé de régler ces vieilles affaires, tente de prouver l’accusation.

«J’ai surtout entendu que cette actrice avait tenté de monnayer son histoire dès 2011», en conclut à la fin de l’audience Laryssa Scheinberg, une rare locale qui votera pour Donald Trump en novembre. Venu en voisin, Jim Moore était lui aussi dans la salle avec l’accusé. «Quand il se levait lors des pauses, il fixait tout le monde», raconte ce retraité, qui dit avoir assisté à un moment historique. «Je vais en parler à mes petits-enfants. Je vais aussi leur raconter que le pays n’a jamais été aussi divisé. Je ne sais pas où cela va nous mener.» ■

«En 2020, nous pensions que nous en avions fini avec ce monstre d’égocentris­me»

TRESA SAUER, DU MINNESOTA

«Je vais en parler à mes petitsenfa­nts. Je vais aussi leur dire que le pays n’a jamais été aussi divisé»

JIM MOORE, NEW-YORKAIS

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