En Calabre, Tropea mise sous tutelle à cause d’infiltrations mafieuses
Le Conseil communal de la cité du bord de mer calabraise, visitée l’an dernier par un demi-million de touristes, a été dissous dans le cadre de la lutte anti-mafia, pour la deuxième fois consécutive. Une mesure drastique qui n’est pas un cas unique dans le pays
Ce petit joyau posé sur des roches blanches, entouré de sable fin et baigné par une mer cristalline couleur azur, est de nouveau terni. Tropea, destination touristique calabraise prisée des Italiens durant l’été, est encore gangrenée par la Mafia. L’Etat a donc décidé d’empoigner l’une des lois les plus drastiques de la lutte anti-mafia: le Conseil communal de cette ville du sud de la Calabre a été dissous «à la lumière de l’influence avérée de la part de la criminalité organisée compromettant le bon déroulement de son action administrative», écrit le Conseil des ministres le 23 avril dernier. Cette nouvelle résonne dans le pays d’autant plus que l’Etat doit décider prochainement s’il va dissoudre également l’exécutif de la capitale des Pouilles, Bari. Il s’agirait de la plus grande ville jamais dissoute pour mafia.
Relations de réciprocité
A Tropea, la préfecture a découvert, comme l’impose la législation, des «éléments concrets et univoques» prouvant la relation entre des administrateurs et la Mafia. Le gouvernement a en conséquence suspendu le mandat des élus de la majorité et du maire et confié la gestion administrative de la ville, pour les dix-huit prochains mois, à une commission extraordinaire. Ainsi la démocratie a une nouvelle fois été suspendue à Tropea: en 2016 déjà, son Conseil communal a été dissous pour infiltrations mafieuses. Des élections ont été organisées deux ans plus tard, au terme du travail des commissaires. «Certains conseillers municipaux de l’ancienne minorité ont remporté ce scrutin, raconte le journaliste Giuseppe Baglivo, directeur du média local Il Vibonese. Or ces politiciens sont également liés à la criminalité locale.» Cela ne les a pas empêchés de prendre le pouvoir.
En avril de cette année, au lendemain de la seconde dissolution, une centaine de personnes ont manifesté leur soutien au maire de la ville incriminée, Giovanni Macri. Les manifestants le remercient, comme le rapporte l’agence de presse ANSA, pour «avoir rendu la ville plus vivable et en garantissant le droit à l’emploi aux couches les plus défavorisées de notre communauté». Giuseppe Baglivo, également correspondant dans la région d’AGI, une importante agence de presse italienne, ne s’est pas laissé berner: «Les manifestants sont simplement de proches fidèles, ses adjoints à la mairie et sa famille, s’emporte-t-il. En tête du cortège, il y avait sa mère.» Ce genre de nouvelle l’irrite car il a réussi à prouver les liens rapprochant Giovanni Macri à la mafia locale. En octobre 2023, il a publié une enquête, preuves photographiques à l’appui, démontrant que l’épouse du boss mafieux de Tropea était présente à l’anniversaire de l’épouse du maire. Le journaliste, qui a mené plusieurs enquêtes sur Tropea et a couvert le maxi-procès contre la ’Ndrangheta, la mafia calabraise, est poursuivi en justice par la mairie de la ville pour quatre de ses articles. Mais les tribunaux lui donnent toujours raison. Depuis l’introduction de la loi sur la dissolution des communes pour infiltration mafieuse, en 1991, 264 Conseils municipaux ont été dissous. Selon les calculs de l’association anti-mafia Avviso Pubblico, 95% des cas se trouvent dans les régions des quatre mafias historiques: la Sicile de Cosa Nostra, la Calabre de la ’Ndrangheta, la Campanie de la Camorra et enfin les Pouilles de la moins connue «quatrième mafia». Que Tropea soit dissoute une seconde fois ne surprend pas le coordinateur national de l’association, Pierpaolo Romani, certains Conseils municipaux ayant été dissous bien trois ou quatre fois. Il n’est pas non plus surpris qu’un homme impliqué dans ce genre d’affaires, comme le maire de Tropea, Giovanni Macri, puisse être réélu: dans certaines régions, la Mafia se substitue à l’Etat. «En termes d’emploi, de santé, les mafieux peuvent se révéler généreux, détaille le militant. Ajoutons à cela la peur de la violence, les citoyens donnent quelque chose en échange.» Comme leur vote par exemple.
«Nettoyer» l’institution politique
La commission extraordinaire désignée par le gouvernement pour «nettoyer» Tropea doit maintenant vérifier les comptes «souvent hors de contrôle», poursuit le coordinateur d’Avviso Pubblico. Il n’est en effet pas rare que les commissaires, généralement des préfets
«En termes d’emploi ou de santé, les mafieux peuvent se révéler généreux»
PIERPAOLO ROMANI, COORDINATEUR NATIONAL DE L’ASSOCIATION ANTI-MAFIA AVVISO PUBBLICO
et des magistrats, découvrent des «cas de corruption». Pendant ce temps, la classe politique doit se préparer à organiser les prochaines élections, prévues sauf surprise dans un an et demi. Et c’est bien l’une des limites de la loi sur la dissolution des communes: «Personne n’empêche les administrateurs locaux de proposer comme candidats des personnes impliquées dans de précédentes dissolutions», regrette le journaliste Giuseppe Baglivo. L’association Avviso Pubblico appelle d’ailleurs depuis des années à réformer la norme. Selon Pierpaolo Romani, il n’existe pas de voie médiane. Le texte «prévoit de renvoyer à la maison tous les politiciens de la majorité, même ceux n’ayant aucun lien avec la Mafia, détaille-t-il. C’est blanc ou noir. Par ailleurs, la loi ne prend pas en considération les fonctionnaires, qui, même s’ils sont proches de mafieux, restent en place.» La loi permet donc de nettoyer seulement l’institution politique et non la culture mafieuse l’entourant. ■