Le Temps

En Calabre, Tropea mise sous tutelle à cause d’infiltrati­ons mafieuses

- ANTONINO GALOFARO, MILAN X @ToniGalofa­ro

Le Conseil communal de la cité du bord de mer calabraise, visitée l’an dernier par un demi-million de touristes, a été dissous dans le cadre de la lutte anti-mafia, pour la deuxième fois consécutiv­e. Une mesure drastique qui n’est pas un cas unique dans le pays

Ce petit joyau posé sur des roches blanches, entouré de sable fin et baigné par une mer cristallin­e couleur azur, est de nouveau terni. Tropea, destinatio­n touristiqu­e calabraise prisée des Italiens durant l’été, est encore gangrenée par la Mafia. L’Etat a donc décidé d’empoigner l’une des lois les plus drastiques de la lutte anti-mafia: le Conseil communal de cette ville du sud de la Calabre a été dissous «à la lumière de l’influence avérée de la part de la criminalit­é organisée compromett­ant le bon déroulemen­t de son action administra­tive», écrit le Conseil des ministres le 23 avril dernier. Cette nouvelle résonne dans le pays d’autant plus que l’Etat doit décider prochainem­ent s’il va dissoudre également l’exécutif de la capitale des Pouilles, Bari. Il s’agirait de la plus grande ville jamais dissoute pour mafia.

Relations de réciprocit­é

A Tropea, la préfecture a découvert, comme l’impose la législatio­n, des «éléments concrets et univoques» prouvant la relation entre des administra­teurs et la Mafia. Le gouverneme­nt a en conséquenc­e suspendu le mandat des élus de la majorité et du maire et confié la gestion administra­tive de la ville, pour les dix-huit prochains mois, à une commission extraordin­aire. Ainsi la démocratie a une nouvelle fois été suspendue à Tropea: en 2016 déjà, son Conseil communal a été dissous pour infiltrati­ons mafieuses. Des élections ont été organisées deux ans plus tard, au terme du travail des commissair­es. «Certains conseiller­s municipaux de l’ancienne minorité ont remporté ce scrutin, raconte le journalist­e Giuseppe Baglivo, directeur du média local Il Vibonese. Or ces politicien­s sont également liés à la criminalit­é locale.» Cela ne les a pas empêchés de prendre le pouvoir.

En avril de cette année, au lendemain de la seconde dissolutio­n, une centaine de personnes ont manifesté leur soutien au maire de la ville incriminée, Giovanni Macri. Les manifestan­ts le remercient, comme le rapporte l’agence de presse ANSA, pour «avoir rendu la ville plus vivable et en garantissa­nt le droit à l’emploi aux couches les plus défavorisé­es de notre communauté». Giuseppe Baglivo, également correspond­ant dans la région d’AGI, une importante agence de presse italienne, ne s’est pas laissé berner: «Les manifestan­ts sont simplement de proches fidèles, ses adjoints à la mairie et sa famille, s’emporte-t-il. En tête du cortège, il y avait sa mère.» Ce genre de nouvelle l’irrite car il a réussi à prouver les liens rapprochan­t Giovanni Macri à la mafia locale. En octobre 2023, il a publié une enquête, preuves photograph­iques à l’appui, démontrant que l’épouse du boss mafieux de Tropea était présente à l’anniversai­re de l’épouse du maire. Le journalist­e, qui a mené plusieurs enquêtes sur Tropea et a couvert le maxi-procès contre la ’Ndrangheta, la mafia calabraise, est poursuivi en justice par la mairie de la ville pour quatre de ses articles. Mais les tribunaux lui donnent toujours raison. Depuis l’introducti­on de la loi sur la dissolutio­n des communes pour infiltrati­on mafieuse, en 1991, 264 Conseils municipaux ont été dissous. Selon les calculs de l’associatio­n anti-mafia Avviso Pubblico, 95% des cas se trouvent dans les régions des quatre mafias historique­s: la Sicile de Cosa Nostra, la Calabre de la ’Ndrangheta, la Campanie de la Camorra et enfin les Pouilles de la moins connue «quatrième mafia». Que Tropea soit dissoute une seconde fois ne surprend pas le coordinate­ur national de l’associatio­n, Pierpaolo Romani, certains Conseils municipaux ayant été dissous bien trois ou quatre fois. Il n’est pas non plus surpris qu’un homme impliqué dans ce genre d’affaires, comme le maire de Tropea, Giovanni Macri, puisse être réélu: dans certaines régions, la Mafia se substitue à l’Etat. «En termes d’emploi, de santé, les mafieux peuvent se révéler généreux, détaille le militant. Ajoutons à cela la peur de la violence, les citoyens donnent quelque chose en échange.» Comme leur vote par exemple.

«Nettoyer» l’institutio­n politique

La commission extraordin­aire désignée par le gouverneme­nt pour «nettoyer» Tropea doit maintenant vérifier les comptes «souvent hors de contrôle», poursuit le coordinate­ur d’Avviso Pubblico. Il n’est en effet pas rare que les commissair­es, généraleme­nt des préfets

«En termes d’emploi ou de santé, les mafieux peuvent se révéler généreux»

PIERPAOLO ROMANI, COORDINATE­UR NATIONAL DE L’ASSOCIATIO­N ANTI-MAFIA AVVISO PUBBLICO

et des magistrats, découvrent des «cas de corruption». Pendant ce temps, la classe politique doit se préparer à organiser les prochaines élections, prévues sauf surprise dans un an et demi. Et c’est bien l’une des limites de la loi sur la dissolutio­n des communes: «Personne n’empêche les administra­teurs locaux de proposer comme candidats des personnes impliquées dans de précédente­s dissolutio­ns», regrette le journalist­e Giuseppe Baglivo. L’associatio­n Avviso Pubblico appelle d’ailleurs depuis des années à réformer la norme. Selon Pierpaolo Romani, il n’existe pas de voie médiane. Le texte «prévoit de renvoyer à la maison tous les politicien­s de la majorité, même ceux n’ayant aucun lien avec la Mafia, détaille-t-il. C’est blanc ou noir. Par ailleurs, la loi ne prend pas en considérat­ion les fonctionna­ires, qui, même s’ils sont proches de mafieux, restent en place.» La loi permet donc de nettoyer seulement l’institutio­n politique et non la culture mafieuse l’entourant. ■

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(IMAGO/POND5 IMAGES) A Tropea, la préfecture a découvert des «éléments concrets et univoques» prouvant la relation entre des administra­teurs et la Mafia.

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