Des maires en leur royaume
L’Angleterre et le Pays de Galles élisent ce jeudi leurs autorités locales. La création de la fonction de maire, il y a 24 ans, a fait émerger une génération de politiciens qui font aujourd’hui des vagues sur le plan national
Le bus jaune gratuit slalome entre les tours de verre du centre-ville de Manchester. La plus grande mesure 201 mètres, ce qui en fait la plus haute structure bâtie en dehors de Londres. Il s’arrête au pied d’un métro aérien futuriste. Un coup de carte bancaire sur une borne et on l’emprunte jusqu’à Media City, un quartier neuf sur l’ancien site des docks qui abrite la BBC, une université, un musée et une salle de spectacle aux airs de soucoupe volante. Plus au nord, le gigantesque stade de Manchester City, une équipe rachetée par les Emirats arabes unis, témoigne des flux financiers qui s’écoulent dans l’ancienne cité industrielle.
«La voix du nord»
Cette renaissance doit beaucoup à un homme: le maire Andy Burnham. Elu pour la première fois en 2017, ce fils d’un ingénieur téléphonique et d’une réceptionniste, qui a rejoint le Parti travailliste à 14 ans dans le sillage des grèves de mineurs, brigue un troisième mandat lors des élections locales du 2 mai. Les Britanniques se rendront aux urnes pour élire plus de 2600 conseillers municipaux et 11 maires, dont trois pour la première fois. Une fonction neuve au Royaume-Uni: introduite à Londres en 2000, elle a essaimé en Angleterre à partir de 2017.
«La plus grande réussite d’Andy Burnham est d’avoir remis le réseau de bus, privatisé dans les années 1980, sous le contrôle de l’Etat, note Georgina Blakeley, une chercheuse de l’Université de Huddersfield qui étudie la fonction de maire aux Royaume-Uni.
Cela lui a permis de limiter le coût du trajet à 2 livres.» La mesure a depuis été étendue à l’ensemble du pays.
Le maire a également mis sur les rails la plus grande zone industrielle du pays, surnommée Atom Valley. «Elle accueillera des entreprises qui font de la fabrication de pointe, des data centers et – nous l’espérons – une gigantesque usine de véhicules électriques», détaille Paul Ormerod, un économiste en charge du projet. Pour s’assurer que la maind’oeuvre locale soit au point, Andy Burnham va créer un baccalauréat technique, «dont les contenus seront élaborés avec l’industrie», ajoute-t-il.
S’il a passé seize ans à Westminster comme parlementaire, Andy Burnham se perçoit avant tout comme «la voix du nord», racontant dans un récent ouvrage qu’il se sent investi d’une «mission pour réduire les inégalités nord-sud» créées par un modèle de développement économique qui mise tout sur Londres. Durant la crise du covid, il s’est heurté avec force au gouvernement qui voulait imposer un confinement strict à sa ville sans lui allouer de fonds supplémentaires.
«Le Royaume-Uni est un pays ultra-centralisé et les autres régions urbaines peinent à rivaliser avec la capitale», note Georgina Blakeley. En créant un poste de maire, élu directement par le peuple et doté d’une grande visibilité, le gouvernement espérait rééquilibrer l’économie du pays, selon elle. «Son soft power lui permet en outre de bâtir des coalitions locales par-delà les divisions partisanes, pour faire avancer de grands projets», souligne-t-elle. A Manchester, Andy
Burnham a pu faire adopter un plan de développement régional qui a donné un coup de fouet à la construction de logements.
Entravés dans leur autonomie
Il n’est pas le seul à avoir acquis une stature nationale. «Andy Street, le maire des West Midlands, a joué un rôle clé pour étendre le réseau de transports public de Birmingham et Ben Houchen, le maire de la vallée de la Tees, a racheté un aéroport sur le point de fermer pour relancer l’activité économique dans cette région sinistrée du nord-est», détaille Paul Swinney, directeur de la recherche pour le think tank Centre for Cities.
A Londres, Sadiq Khan, qui brigue un troisième mandat le 2 mai, a introduit des repas gratuits pour tous les enfants à l’école primaire, créé la plus grande zone à faibles émissions au monde, réintroduit des patrouilles de police de proximité et quintuplé le réseau des pistes cyclables.
Malgré ces réussites, les maires sont entravés par leur manque d’autonomie et de moyens. «Leurs pouvoirs sont limités à un petit nombre de questions locales, comme le transport urbain, la police et la planification du territoire», relève Georgina Blakeley. Andy Burnham n’a rien pu faire lorsque le premier ministre Rishi Sunak a annoncé l’automne dernier qu’il coupait une ligne de train à grande vitesse entre Londres et Manchester prévue de longue date.
«Nous devons supplier et quémander pour obtenir de l’argent. Le gouvernement garde toutes les cartes en main»
ANDY BURNHAM, MAIRE DU GRAND MANCHESTER
Ils n’ont pas non plus la possibilité de lever des fonds: seuls 5% des impôts sont récoltés sur le plan local au Royaume-Uni, l’une des proportions les plus basses d’Europe. «Nous devons supplier et quémander pour obtenir de l’argent de la part de divers départements, dénonce Andy Burnham dans son ouvrage. Le gouvernement garde toutes les cartes en main.» Les montants alloués aux autorités locales ont également chuté, de l’ordre de 10 à 20% depuis 2010, alors même que le coût des services sociaux a explosé. Certaines villes sont désormais au bord du gouffre, à l’image de Birmingham qui a fait faillite en septembre dernier. Les maires de Manchester et des West Midlands sont toutefois parvenus à négocier en mars 2023 un budget unique portant sur cinq ans qu’ils peuvent allouer comme bon leur semble, à l’image de celui octroyé à l’Ecosse et au Pays de Galles.
Lors du scrutin de jeudi, la plupart des maires sont assurés d’être réélus. La course a cependant pris une tournure symbolique dans les West Midlands et dans la vallée de la Tees car Andy Street et Ben Houchen sont tous deux membres du Parti conservateur, à la tête d’une région majoritairement travailliste. «Si les tories perdent ces deux postes, cela créera un signal très négatif quant aux perspectives du parti lors de l’élection générale», qui aura sans doute lieu cet automne, dit Paul Swinney.
Les travaillistes ne sont pas non plus à l’abri d’une mauvaise surprise. «A Londres, l’écart entre Sadiq Khan et Susan Street, sa concurrente conservatrice, sera moins important qu’attendu», prédit Tony Travers, un expert de la gouvernance locale à la London School of Economics. Le maire Labour souffrira notamment de la colère suscitée par sa zone à faibles émissions dans les banlieues dominées par la voiture et du refus de son parti d’appeler à un cessez-le-feu à Gaza dans une métropole comportant une importante population musulmane, selon l’expert.
Le parti de Keir Starmer sera aussi attaqué sur son flanc gauche dans le nord-est où le candidat indépendant Jamie Driscoll, tenant d’une gauche dure, dispute le poste de maire nouvellement créé à la candidate travailliste Kim McGuinness. Les sondages lui donnent 33%, contre 35% pour son opposante. ■