«La droite donne le plein pouvoir aux propriétaires de villas et de parcelles»
AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE Le Grand Conseil genevois se prononce lors de sa prochaine session sur le contre-projet à l’initiative «Urbadem». Le Conseil d’Etat refuse les deux textes. Pour Antonio Hodgers, les accepter signifierait revenir purement et simplement au suffrage censitaire
A Genève, chaque projet de densification a la faculté de susciter un psychodrame. Dans un canton tiraillé par une pénurie interminable de logements et une surface d'assolement limitée, bâtir en préservant les intérêts de tous est compliquée, voire impossible. Dans ce champ de tension, l'initiative «Urbadem» aimerait renforcer le pouvoir des communes lors de l'élaboration d'un plan de quartier localisé (PLQ). Cet instrument sert à densifier les zones du canton, tel que le prévoit le plan directeur cantonal. Radicale, l'initiative exige que la commune, et ses habitants, puisse avoir le dernier mot avant qu'entre en force un PLQ. Craignant qu'elle puisse susciter l'adhésion des citoyens, la droite lui a opposé un contre-projet.
Ce dernier offre aux propriétaires des parcelles concernées par le PLQ, qu'ils soient étrangers ou suisses, la compétence d'instiguer une votation communale consultative, à la différence qu'in fine, le Conseil d'Etat préserve la main. Antonio Hodgers, conseiller d'Etat écologiste chargé du Département du territoire refuse les deux textes.
Pourquoi s’opposer à une initiative qui exige plus de concertation en amont des projets de densification? Ce texte n'est pas sans hypocrisie. Sous couvert d'impliquer les habitants de quartier, on donne le plein pouvoir aux propriétaires de villas et de parcelles. L'initiative prévoit qu'un propriétaire mécontent du PLQ – car il toucherait sa villa – peut proposer un autre PLQ. La population communale vote ensuite pour son favori, auquel un autre propriétaire mécontent peut à nouveau s'opposer et proposer un PLQ alternatif. Rien n'empêche qu'une boucle sans fin se forme, bloquant indéfiniment les projets d'aménagement du territoire, au profit de quelques propriétaires fonciers mais au détriment de toute la population.
Le Conseil d’Etat ne pourrait-il tout de même pas impliquer plus rapidement les habitants des quartiers voués à se densifier, et ainsi éviter des recours qui ralentissent déjà les projets d’aménagement du territoire? Même si la concertation est aujourd'hui obligatoire, le gouvernement reconnaît la nécessité d'améliorer le dialogue. Nous avons proposé deux éléments, le premier étant d'obliger l'Etat d'adresser aux propriétaires une lettre recommandée en amont du processus d'élaboration du PLQ. Le second offrait la possibilité qu'en cas de refus du PLQ par votation communale, un vote soit organisé au niveau cantonal. Dans le cas du refus de la Cité de la musique par la ville de Genève par exemple, le Conseil d'Etat aurait pu proposer un projet de loi au Grand Conseil. La décision du législatif aurait été soumise au référendum.
La majorité de la Commission de l’aménagement estime que vos propositions n’allaient pas suffisamment dans le sens des initiants. Une majorité de droite a décidé d'aller plus loin pour inciter les initiants à retirer leur texte, ce que je salue. Mais leur proposition donne droit à une majorité de propriétaires fonciers concernés par le PLQ de lancer une consultation communale, qui ressemble en tout point à un référendum, à la différence qu'elle serait uniquement consultative. Cette proposition crée un processus sans fondement démocratique tout en maintenant la grande faiblesse de l'initiative: elle privatise l'aménagement du territoire. C'est le retour pur et simple du suffrage censitaire.
Ces propriétaires font déjà recours en cas de PLQ allant à l’encontre de leur intérêt. Leur permettre de lancer une votation consultative ne serait-il pas plus efficace? Le contre-projet mélange les droits politiques à la propriété foncière. C'est un retour à l'Ancien Régime! L'aménagement du territoire ne concerne pas uniquement les propriétaires de parcelles, mais tous les habitants du quartier, y compris les locataires. Dans le fond, cela concerne également le canton. C'est intolérable de réduire le processus de consultation au simple intérêt des propriétaires fonciers. Il s'agit d'un coup de griffe dans le contrat social de la citoyenneté.
Un propriétaire qui n’a pas le droit de vote communal pourrait-il organiser une votation? Ce propriétaire peut être de nationalité étrangère, et même ne pas habiter la commune. Je vois un autre problème: le contre-projet donne des droits politiques aux personnes morales, aux entreprises, aux caisses de pension, à des missions étrangères! Il existe par exemple des résidences d'ambassade qui se trouvent en zone villa. Je trouve ce mélange malsain.
N’est-ce tout de même pas adéquat que la commune ait son mot à dire sur son propre développement? C'est déjà largement le cas puisque les exécutifs et les législatifs préavisent les projets, avec les voies référendaires usuelles! Les communes peuvent par ailleurs proposer des PLQ, mais elles ne le font pas car leurs élus manquent trop souvent de courage politique. Le canton assume donc cette responsabilité, et paie les études de faisabilité, pour répondre aux objectifs du plan directeur cantonal, validé par le Grand Conseil et la Confédération.
L’Etat refuse la vente de villas dans certaines zones vouées à être densifiées alors qu’aucun PLQ n’est entré en force. Pourquoi? En droit suisse, l'intérêt public s'impose à l'intérêt privé avec une juste indemnité. Je n'appauvrirai jamais les propriétaires fonciers, mais certains font de la spéculation: alors que le plan directeur cantonal prévoit de densifier leur parcelle, ils détruisent leur vieille maison, et vendent de coûteuses villas mitoyennes. Les prix de vente de ces nouvelles propriétés sont trop élevés. Ils génèrent de la dureté foncière et empêchent de développer certains secteurs.
C'est le cas à Cointrin, dont la modification de zone (MZ) a été refusée lors d'un référendum en 2020. Le quartier se bétonnise et se sous-densifie par rapport aux objectifs du plan directeur cantonal. Celui-ci prévoit que 11% des zones villas se développent. Aujourd'hui, nous avons réalisé seulement 1% de cet objectif. De l'élaboration d'une MZ à sa mise en oeuvre, il faut compter environ quinze ans. Le contre-projet prolongerait encore ce temps.
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«Je n’appauvrirai jamais les propriétaires fonciers, mais certains font de la spéculation»