Les chasseurs-cueilleurs d’Afrique du Nord ne chassaient pas tant que ça
Contrairement à la viande, les récoltes végétales, brutes ou transformées, pouvaient être stockées pour être consommées plus tard
PALÉOANTHROPOLOGIE L’analyse de sépultures du site de Taforalt (Maroc) montre que la population qui vivait là il y a 15 000 à 13 000 ans se nourrissait surtout de plantes et peu de viande. Une étude qui confirme que la transition vers une alimentation humaine riche en végétaux a commencé bien avant l’invention de l’agriculture
Avant les débuts de la domestication des plantes et des animaux, il y a environ 11 000 ans, nos ancêtres se nourrissaient de ce qu’ils trouvaient: de la chasse, mais aussi de fruits et plantes comestibles glanés dans leur environnement. Des populations de chasseurs-cueilleurs que l’on imaginait surtout carnivores et pas sédentaires, puisqu’ils devaient se déplacer au gré des ressources disponibles. Une vision dont on commence à comprendre qu’elle était erronée.
«L’agriculture est arrivée relativement tardivement au Maroc, il y a environ 7600 ans, sans doute associée à la migration de populations venues d’Europe», explique Zineb Moubtahij, doctorante au laboratoire Géosciences Environnement (Toulouse) et à l’Institut Max-Planck d’anthropologie évolutionniste, première autrice de travaux menés sur le site marocain de Taforalt et publiés dans Nature Ecology & Evolution. Ces derniers montrent que les chasseurs-cueilleurs du nord de l’Afrique n’ont pas attendu la domestication des plantes pour en faire leur menu quotidien.
La chimie isotopique révolutionne les sciences du passé
En janvier dernier, une étude publiée dans PLOS One avait attesté qu’une population de chasseurs-cueilleurs, qui vivait dans l’Altiplano péruvien il y a environ 9000 ans, se nourrissait en grande majorité de plantes. Celles-ci, principalement des tubercules, représentaient entre 70 et 95% de l’apport nutritionnel. «Nous ne sommes pas en mesure de donner un pourcentage, mais on constate aussi que la majorité de l’apport en protéines des personnes qui vivaient à Taforalt est d’origine végétale», commente Zineb Moubtahij.
Comment diable les paléontologues peuvent-ils échafauder des hypothèses aussi audacieuses? Parce qu’à force de progrès scientifique ils sont devenus de véritables médecins légistes dotés d’outils toujours plus sophistiqués. Ainsi, ils sont désormais en mesure d’étudier la composition chimique des dents, du collagène osseux et de protéines et acides aminés retrouvés dans les vestiges humains. Plus précisément, leur composition isotopique, autrement dit les différentes formes d’un élément.
Ainsi, la proportion d’azote 15 – par rapport à l’azote 14, l’isotope dominant – dans le collagène osseux renseigne sur le régime alimentaire. Une valeur élevée correspond à un apport riche en protéines animales (viande ou poisson). De même, la proportion de zinc 66 dans le zinc retrouvé dans l’émail dentaire renseigne aussi sur l’origine des protéines consommées pendant la formation des dents, au cours de la petite enfance, mais aussi à l’âge adulte avec l’apparition des troisièmes molaires (dents de sagesse).
De son côté, l’analyse du strontium renseigne sur l’environnement géologique local et donne des informations sur la mobilité. «Quand on consomme un aliment correspondant à un lieu, le corps enregistre ces informations. En comparant avec ce que l’on trouve dans les restes de faune de cet endroit, on sait donc si la personne vit dans la région où elle a grandi ou si elle vient d’une autre région aux caractéristiques géologiques différentes.» Le soufre fournit des informations similaires. «Mais il permet aussi de différencier si les protéines animales proviennent d’animaux terrestres ou aquatiques.» Alors que Taforalt ne se trouve qu’à une quarantaine de kilomètres de la mer, les analyses semblent formelles: cette population ne consommait probablement pas de produits de la mer ou même pêchés en eau douce.
Beaucoup de végétaux, mais aussi de la viande
Au final, en croisant leurs différentes analyses isotopiques, et en les comparant à celle de vestiges d’animaux herbivores et carnivores, le groupe auquel appartient Zineb Moubtahij a pu éclairer le questionnement sur le régime alimentaire posé par une étude de 2014 relatant des travaux sur le même site. «Cette étude principalement anglo-marocaine avait notamment montré que la population avait accès à toutes sortes de plantes sauvages, des fruits de chêne, des pistaches, de l’avoine. Et montré que ces plantes étaient parfois transformées.» En témoigne la découverte de glands carbonisés, mais aussi de pierres qui ont vraisemblablement servi de meules pour produire de la farine à partir de glands cuits. Mais les chercheurs n’avaient pas de certitude sur l’ampleur de cette consommation végétale, tant les restes d’animaux étaient nombreux, certains portant des traces d’équarrissage.
Cette nouvelle étude permet donc de trancher: les plantes dominaient l’apport en protéines. Mais ces «chasseurs surtout cueilleurs» n’étaient pas végétariens pour autant. Ils consommaient aussi de la viande d’un ongulé sauvage, le mouflon à manchettes, et de la chair d’escargot.
Les analyses isotopiques pointent principalement des plantes de type «C3» – un sigle qui caractérise la manière dont les atomes de carbone sont fixés, par groupe de trois, lors de la photosynthèse. Ces végétaux regroupent par exemple les céréales, les lentilles, le manioc, le soja mais aussi la plupart des arbres. Beaucoup sont riches en amidon. L’autre forme, dite «C4», rassemble des plantes comme le maïs, le millet, le sorgho, la canne à sucre…
Revers de la médaille, les végétaux cuits induisent des caries
La prédominance des plantes dans l’alimentation à Taforalt vient également éclairer l’origine des caries et des autres pathologies dentaires observées à l’occasion de l’étude de 2014. Ces aliments, notamment quand ils sont consommés après cuisson, fermentent et favorisent en effet l’apparition de caries. Autre indice d’une habitude de consommation riche en végétaux, les analyses faites sur un enfant laissent penser qu’il a été sevré de manière précoce, au cours de sa première année. Ce qui aurait pu être facilité, là aussi, par la disponibilité de plantes riches en amidon.
Contrairement à la viande, les récoltes végétales, brutes ou transformées, pouvaient être stockées pour être consommées plus tard. En témoigne, à Taforalt, la présence à l’époque de l’alfa, une plante dont les feuilles sont susceptibles d’être tressées pour en faire des paniers. Etait-ce un signe que cette population avait commencé à se sédentariser, bien avant que l’invention de l’agriculture ne conduise nos ancêtres à s’organiser en villages?
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