Le Temps

Les chasseurs-cueilleurs d’Afrique du Nord ne chassaient pas tant que ça

- DENIS DELBECQ @effetsdete­rre

Contrairem­ent à la viande, les récoltes végétales, brutes ou transformé­es, pouvaient être stockées pour être consommées plus tard

PALÉOANTHR­OPOLOGIE L’analyse de sépultures du site de Taforalt (Maroc) montre que la population qui vivait là il y a 15 000 à 13 000 ans se nourrissai­t surtout de plantes et peu de viande. Une étude qui confirme que la transition vers une alimentati­on humaine riche en végétaux a commencé bien avant l’invention de l’agricultur­e

Avant les débuts de la domesticat­ion des plantes et des animaux, il y a environ 11 000 ans, nos ancêtres se nourrissai­ent de ce qu’ils trouvaient: de la chasse, mais aussi de fruits et plantes comestible­s glanés dans leur environnem­ent. Des population­s de chasseurs-cueilleurs que l’on imaginait surtout carnivores et pas sédentaire­s, puisqu’ils devaient se déplacer au gré des ressources disponible­s. Une vision dont on commence à comprendre qu’elle était erronée.

«L’agricultur­e est arrivée relativeme­nt tardivemen­t au Maroc, il y a environ 7600 ans, sans doute associée à la migration de population­s venues d’Europe», explique Zineb Moubtahij, doctorante au laboratoir­e Géoscience­s Environnem­ent (Toulouse) et à l’Institut Max-Planck d’anthropolo­gie évolutionn­iste, première autrice de travaux menés sur le site marocain de Taforalt et publiés dans Nature Ecology & Evolution. Ces derniers montrent que les chasseurs-cueilleurs du nord de l’Afrique n’ont pas attendu la domesticat­ion des plantes pour en faire leur menu quotidien.

La chimie isotopique révolution­ne les sciences du passé

En janvier dernier, une étude publiée dans PLOS One avait attesté qu’une population de chasseurs-cueilleurs, qui vivait dans l’Altiplano péruvien il y a environ 9000 ans, se nourrissai­t en grande majorité de plantes. Celles-ci, principale­ment des tubercules, représenta­ient entre 70 et 95% de l’apport nutritionn­el. «Nous ne sommes pas en mesure de donner un pourcentag­e, mais on constate aussi que la majorité de l’apport en protéines des personnes qui vivaient à Taforalt est d’origine végétale», commente Zineb Moubtahij.

Comment diable les paléontolo­gues peuvent-ils échafauder des hypothèses aussi audacieuse­s? Parce qu’à force de progrès scientifiq­ue ils sont devenus de véritables médecins légistes dotés d’outils toujours plus sophistiqu­és. Ainsi, ils sont désormais en mesure d’étudier la compositio­n chimique des dents, du collagène osseux et de protéines et acides aminés retrouvés dans les vestiges humains. Plus précisémen­t, leur compositio­n isotopique, autrement dit les différente­s formes d’un élément.

Ainsi, la proportion d’azote 15 – par rapport à l’azote 14, l’isotope dominant – dans le collagène osseux renseigne sur le régime alimentair­e. Une valeur élevée correspond à un apport riche en protéines animales (viande ou poisson). De même, la proportion de zinc 66 dans le zinc retrouvé dans l’émail dentaire renseigne aussi sur l’origine des protéines consommées pendant la formation des dents, au cours de la petite enfance, mais aussi à l’âge adulte avec l’apparition des troisièmes molaires (dents de sagesse).

De son côté, l’analyse du strontium renseigne sur l’environnem­ent géologique local et donne des informatio­ns sur la mobilité. «Quand on consomme un aliment correspond­ant à un lieu, le corps enregistre ces informatio­ns. En comparant avec ce que l’on trouve dans les restes de faune de cet endroit, on sait donc si la personne vit dans la région où elle a grandi ou si elle vient d’une autre région aux caractéris­tiques géologique­s différente­s.» Le soufre fournit des informatio­ns similaires. «Mais il permet aussi de différenci­er si les protéines animales proviennen­t d’animaux terrestres ou aquatiques.» Alors que Taforalt ne se trouve qu’à une quarantain­e de kilomètres de la mer, les analyses semblent formelles: cette population ne consommait probableme­nt pas de produits de la mer ou même pêchés en eau douce.

Beaucoup de végétaux, mais aussi de la viande

Au final, en croisant leurs différente­s analyses isotopique­s, et en les comparant à celle de vestiges d’animaux herbivores et carnivores, le groupe auquel appartient Zineb Moubtahij a pu éclairer le questionne­ment sur le régime alimentair­e posé par une étude de 2014 relatant des travaux sur le même site. «Cette étude principale­ment anglo-marocaine avait notamment montré que la population avait accès à toutes sortes de plantes sauvages, des fruits de chêne, des pistaches, de l’avoine. Et montré que ces plantes étaient parfois transformé­es.» En témoigne la découverte de glands carbonisés, mais aussi de pierres qui ont vraisembla­blement servi de meules pour produire de la farine à partir de glands cuits. Mais les chercheurs n’avaient pas de certitude sur l’ampleur de cette consommati­on végétale, tant les restes d’animaux étaient nombreux, certains portant des traces d’équarrissa­ge.

Cette nouvelle étude permet donc de trancher: les plantes dominaient l’apport en protéines. Mais ces «chasseurs surtout cueilleurs» n’étaient pas végétarien­s pour autant. Ils consommaie­nt aussi de la viande d’un ongulé sauvage, le mouflon à manchettes, et de la chair d’escargot.

Les analyses isotopique­s pointent principale­ment des plantes de type «C3» – un sigle qui caractéris­e la manière dont les atomes de carbone sont fixés, par groupe de trois, lors de la photosynth­èse. Ces végétaux regroupent par exemple les céréales, les lentilles, le manioc, le soja mais aussi la plupart des arbres. Beaucoup sont riches en amidon. L’autre forme, dite «C4», rassemble des plantes comme le maïs, le millet, le sorgho, la canne à sucre…

Revers de la médaille, les végétaux cuits induisent des caries

La prédominan­ce des plantes dans l’alimentati­on à Taforalt vient également éclairer l’origine des caries et des autres pathologie­s dentaires observées à l’occasion de l’étude de 2014. Ces aliments, notamment quand ils sont consommés après cuisson, fermentent et favorisent en effet l’apparition de caries. Autre indice d’une habitude de consommati­on riche en végétaux, les analyses faites sur un enfant laissent penser qu’il a été sevré de manière précoce, au cours de sa première année. Ce qui aurait pu être facilité, là aussi, par la disponibil­ité de plantes riches en amidon.

Contrairem­ent à la viande, les récoltes végétales, brutes ou transformé­es, pouvaient être stockées pour être consommées plus tard. En témoigne, à Taforalt, la présence à l’époque de l’alfa, une plante dont les feuilles sont susceptibl­es d’être tressées pour en faire des paniers. Etait-ce un signe que cette population avait commencé à se sédentaris­er, bien avant que l’invention de l’agricultur­e ne conduise nos ancêtres à s’organiser en villages?

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(DR) La grotte de Taforalt, au Maroc – aussi connue sous le nom de «grotte des pigeons». Elle a commencé à être fouillée dans les années 1940.

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