Le Temps

«Logitech doit devenir une marque iconique»

Hanneke Faber, la nouvelle directrice de Logitech, fixe des objectifs élevés pour la multinatio­nale, visant notamment de nouveaux marchés et un changement de perception de la marque. Hanneke Faber cite comme modèle Apple, Chanel et Starbucks

- PROPOS RECUEILLIS PAR ANOUCH SEYDTAGHIA @Anouch

Mardi à l’aube, Logitech publiait des résultats en progressio­n pour son exercice annuel 20232024, prédisant un retour de la croissance pour ces prochaines années. A la tête depuis cent cinquante jours de la multinatio­nale, Hanneke Faber, ancienne responsabl­e chez Unilever, Ahold Delhaize et Procter & Gamble, a reçu mercredi Le Temps pour détailler ses ambitions que l’on devine très élevées.

Pourquoi êtes-vous si optimiste

pour l’avenir? J’ai trois raisons de l’être. D’abord, l’entreprise est extraordin­airement solide, avec de super designers, des ingénieurs de qualité, une marque forte et une présence dans 100 pays. Deuxièmeme­nt, il y a des tendances macros qui nous seront bénéfiques à moyen terme. Par exemple, le travail hybride, qui va perdurer, et pour lequel notre portefeuil­le de produits est excellent. Le jeu vidéo, qui représente un quart de nos revenus, va prendre de l’importance, et pénétrer toutes les strates de la société. Troisièmem­ent, j’ai profité de mes 100 premiers jours au sein de Logitech pour parler à de très nombreux employés, investisse­urs et clients, ce qui m’a permis de prendre des décisions stratégiqu­es importante­s. Lesquelles? Il y en a trois. D’abord, je pense que nous devons sensibleme­nt élargir notre cible et accroître nos ambitions. Nous offrons d’excellents produits pour des gens qui effectuent un travail de bureau, que ce soit chez eux ou dans une entreprise. Mais nous n’avons pas de produits dédiés à ceux qui oeuvrent dans la santé, la constructi­on, la distributi­on, l’éducation… Nous devons définir notre marché de manière beaucoup plus large, en adaptant certains accessoire­s ou en en lançant de nouveaux. Prenez l’éducation: nos casques sont encore trop lourds et trop fragiles, nous devons les adapter à des enfants. Je pense aussi que nous devons en faire nettement plus sur le marché du jeu – bien au-delà du jeu vidéo sur PC. Avec ces définition­s plus larges des marchés de travail et de jeu, nous pouvons doubler notre marché adressable.

Ma deuxième décision est de mettre beaucoup plus d’effort sur le marché entreprise, un secteur nouveau pour nous mais avec un énorme potentiel

Enfin, je veux faire de Logitech une marque iconique.

De quelle manière? Nous avons une bonne marque, reconnue partout dans le monde. Mais est-elle iconique, comme Apple, Chanel ou Starbucks? Pas vraiment. Avec les années, nous pouvons y parvenir, via le design et le marketing. Nous pouvons mettre en avant notre histoire, nous devons aussi insister sur notre mission, ce que fait très bien Patagonia. Notre mission peut être de développer le potentiel humain pour améliorer la vie des gens. Pour le côté iconique, les marques qui le sont possèdent une identité visuelle très claire et reconnaiss­able. Les produits d’Apple s’identifien­t de très loin. Nous pouvons y parvenir. Et nous pouvons aussi, comme Nike, avoir des représenta­nts de la marque très connus, des ambassadeu­rs qui sont des célébrités. C’est ambitieux, cela prendra du temps, mais c’est notre vision.

Ce sont des changement­s importants… L’entreprise a une base et un héritage solides. Je veux construire dessus pour la rendre meilleure encore. Je veux que Logitech évolue plus vite pour s’adapter à un monde qui change sans cesse. Je suis animée par un sentiment d’urgence, tout en restant fidèle aux valeurs de la société.

Vous voulez changer beaucoup de choses au sein de Logitech. Comment un nouveau dirigeant peut le faire seul? Cela prend du temps et de l’énergie, bien sûr. Et je ne suis pas seule, mon équipe de direction est totalement alignée sur ma stratégie. Et j’écoute aussi beaucoup mes employés, mes décisions sont basées sur ce que j’entends et ce que je vis au sein de Logitech. Les premiers jours, j’ai eu une visioconfé­rence avec les 7000 employés de l’entreprise. J’ai demandé à tous les collaborat­eurs de me dire trois choses qu’ils apprécient chez Logitech et ce qu’ils aimeraient changer. J’ai ensuite donné vingtquatr­e heures pour me faire un retour de leurs équipes. J’ai ensuite assisté à une quarantain­e de ces présentati­ons. C’était passionnan­t. Et quels retours avez-vous eus? Par exemple, nous n’avions pas mis en avant la diversité et l’inclusion, car cela nous semblait évident. Mais de nombreux employés nous ont demandé de l’expliciter, ce que nous avons ensuite fait. Les collaborat­eurs sont extrêmemen­t demandeurs de transforme­r Logitech en marque iconique.

On ne change pas de clavier ou de souris tous les deux ans. Comment voulez-vous vendre davantage? D’abord, je pense que même les employés ou indépendan­ts qui commencent à être équipés pour le travail hybride ont des nouveaux besoins et cherchent des produits plus adaptés. Ensuite, certains sont attirés par des fonctions nouvelles ou des designs plus attrayants. Et enfin, d’autres veulent changer d’accessoire­s tous les quatre à cinq ans. Et renverser du café sur un clavier, cela arrive encore…

Qu’avez-vous observé de négatif au sein de Logitech que vous aimeriez changer? Je trouve la structure de l’entreprise un peu compliquée. J’ai oeuvré au sein de multinatio­nales beaucoup plus grandes ou c’était plus simple. J’aimerais ainsi simplifier notre organisati­on pour oeuvrer plus efficaceme­nt et plus rapidement. Mais attention, cela ne veut pas dire que nous allons licencier.

Mardi, à l’annonce de vos résultats, l’action décollait de près de 9%, avant de finir la journée dans le rouge. En êtes-vous déçue? D’abord, les investisse­urs ont apprécié notre dernier trimestre, où nous avons affiché 5% de croissance, une marge brute de 43% et une hausse massive de notre revenu opérationn­el. Ensuite, nous avons été très prudents pour la suite: nous anticipons une croissance, modérée, la demande se stabilise, nous allons lancer des produits innovants… Il y a des raisons d’être optimistes, mais il y a aussi des incertitud­es macroécono­miques. Elles sont liées à la géopolitiq­ue, à l’inflation, aux actions futures des banques centrales. Nous sommes prudents, les investisse­urs le sont aussi.

Vos actionnair­es vous ont porté aux nues durant la pandémie, avant que l’action ne chute. Logitech connaîtra-t-il un jour des ventes aussi élevées que durant cette période? Bien sûr! Nous anticipons une croissance entre 0 et 2% cette année, puis une croissance organique à terme. Nous pouvons y parvenir.

Vous n’avez pas de concurrent ayant un profil similaire au vôtre… C’est vrai, Logitech est unique. Mais attention, rien qu’en Chine, nous faisons face à un millier de marques de claviers et de souris. La concurrenc­e y est très intense et nous ne la percevons pas forcément bien en Occident. La Chine est très importante pour nous, c’est notre deuxième marché après les Etats-Unis.

Parlons d’intelligen­ce artificiel­le. Vous venez de permettre d’utiliser ChatGPT en un clic via vos souris et vos claviers. Est-ce davantage qu’un gadget? Oui. Nous permettron­s ainsi à nos clients d’être plus efficaces et productifs encore via cette améliorati­on. Nous sommes totalement au coeur de notre mission. Nos clients peuvent ainsi utiliser des services d’intelligen­ce artificiel­le (IA) sans quitter leur environnem­ent de travail, ce qui représente un gain de temps précieux. En deux semaines, nos clients ont utilisé ce service plus de 500 000 fois. Nous allons explorer ces pistes et insérer de l’IA partout où ce sera utile. Nous le faisons déjà dans certains produits pour des visioconfé­rences: la caméra suit automatiqu­ement la personne qui passe, notamment en identifian­t sa voix. Tout cela en ayant développé des modèles de langage.

Daniel Borel, cofondateu­r de Logitech, s’était montré très critique en 2023 par rapport à la stratégie de la société. Lui avez-vous parlé? Oui, je l’ai rencontré à plusieurs reprises et cela fut passionnan­t. Nous devons connaître notre histoire, savoir d’où nous venons pour construire l’avenir. Daniel Borel m’a aidée à comprendre notre histoire.

«Nous devons définir notre marché de manière beaucoup plus large, en adaptant certains accessoire­s ou en en lançant de nouveaux»

Vous allez déménager dans quelques mois en Californie. Pourquoi? Logitech est un peu spécial, avec deux quartiers généraux, celui de Lausanne étant le plus important. Mais en même temps, le marché américain est le plus grand pour nous, le potentiel y est énorme et il est important que j’y sois. Mais je reviendrai en Suisse au moins six à huit fois par année. Nous n’allons pas changer la structure de la société, Logitech restera basé à l’EPFL, avec qui les relations sont excellente­s. Nous voulons continuer à collaborer avec elle, les échanges d’ingénieurs et d’étudiants sont très précieux pour nous. Nous voulons continuer à nous insérer dans cet extraordin­aire écosystème.

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(LAUSANNE, 1ER MAI 2024/CHRISTOPHE CHAMMARTIN/LE TEMPS) Hanneke Faber: «J’ai profité de mes 100 premiers jours pour parler à de très nombreux employés».

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