Scottish country dance et pas de côté
Jessica Cuerq Taillard pratique depuis onze ans cette danse très populaire en Ecosse, mais méconnue sous nos latitudes. Elle nous la présente en détail avant les cours ouverts, proposés ce dimanche 5 mai à Genève et à Bâle dans le cadre de la Fête de la danse
On pense découvrir une danse facile dans laquelle on peut se lancer en étant largement imbibé d’un bon whisky tourbé. Après avoir écouté et regardé Jessica Cuerq Taillard, trentenaire experte dans cette discipline que connaît tout bon Ecossais, on réalise l’ampleur de notre erreur.
Inspirée de la contredanse française, la Scottish country dance est si tactique et technique que chacune des mille et une combinaisons possibles est recensée dans une série de Books édités par The Royal Scottish Country Dance Society (RSCDS), société faîtière qui tient les rênes de la tradition d’une main ferme.
Ce qui n’empêche pas la joie. Et la sensualité des regards. Car, dans cette danse légère et vive, essentiellement sautillée sur les demi-pointes, les seuls contacts physiques consistent en des passements de bras rapidement négociés.
Ce qui frappe aussi dans la présentation de Jessica, passionnée par cette danse de groupe qui remonte au XVIIe siècle? Le protocole ou l’étiquette que les adeptes ne sauraient bousculer. Ainsi, pas question de choisir son partenaire. «On vient souvent aux bals en couple, mais ce serait très impoli de ne danser qu’avec son compagnon toute la soirée. Dans les formations en ligne, on se place à la suite les uns des autres et on danse avec qui est autour de nous, point.»
Par ailleurs, dans ces évolutions sautées, «il n’y a pas de leader». «Vu que chacune et chacun connaît ses pas et ses déplacements, il n’y a pas une personne qui conduit et une autre qui suit. C’est une danse démocratique!», sourit Jessica.
Démocratique et exigeante, donc. Car il en faut de la concentration pour accomplir les bons sauts muni de ses chaussons en cuir souple – avec des lacets pour les hommes, type ballerines pour les femmes.
A ce moment de l’interview, Jessica se lève et montre un «pas de basque», «sauté-jeté», plutôt sophistiqué à réaliser. De la même manière, chaque participant doit être bien à son affaire pour comprendre s’il faut passer devant ou derrière ses partenaires, se croiser en diagonale ou en ligne droite, accomplir une sorte de serpent, le snake pass, ou un moulin, formation de quatre personnes qui tournent en se donnant la main.
«C’est vrai, les figures et les combinaisons peuvent être assez compliquées, confirme la jeune femme, collaboratrice scientifique dans la vie. C’est pour cette raison qu’à chaque bal les clubs éditent des petits carnets dans lesquels les danses au programme de la soirée sont résumées à travers un texte et un schéma.»
Membre du Geneva Scottish Country Dancing Club depuis onze ans, Jessica assure cependant que chaque participant danse selon son niveau et que le groupe n’est jamais jugeant. «Quand on apprend de nouvelles combinaisons, on les marche tranquillement et suffisamment longtemps pour qu’on puisse les assimiler.» Et, puisque les chorégraphies sont très collectives, chaque adepte fait attention aux autres. «On ne peut pas danser la danse écossaise sans se synchroniser entre nous et bien savoir où l’on est par rapport à la musique. C’est cette attention au groupe qui m’a beaucoup plu dans cette discipline.»
Ainsi que, bien sûr, la vivacité et la convivialité de la musique souvent interprétée à l’accordéon et au violon. «En Ecosse, la country dance fait partie de la culture de base. Il est très courant de faire venir un groupe de danse à son mariage. Et pendant longtemps, elle était enseignée à l’école, chaque Ecossais d’environ 60 ans l’a apprise en classe.»
Plébiscitée au Japon
A propos, à quand remonte son apparition? «On trouve la mention de plusieurs «country dances» dans des pièces de théâtre anglaises du XVIe siècle, détaille Jessica. Un ouvrage publié en 1651 comprend
«On ne peut pas danser la danse écossaise sans se synchroniser entre nous et bien savoir où l’on est par rapport à la musique» JESSICA CUERQ TAILLARD, MEMBRE DU GENEVA SCOTTISH COUNTRY DANCING CLUB
déjà 105 descriptions détaillées de danses. Durant le XVIIIe siècle, la country dance se répand en Ecosse, du sud au nord, et se met à flamber. Il y a des écoles de danse et des maîtres itinérants qui se déplacent dans tout le pays pour l’enseigner. Au XIXe siècle, elle s’essouffle un peu en Europe, mais pas en Ecosse, puis reprend une place importante au XXe siècle, lorsque en 1923 est créée la Scottish Country Dance Society par Miss Milligan, enseignante d’éducation physique qui promeut cette discipline par la recherche, la collecte et la publication de ces danses dans des livres, sous une forme standardisée. Surtout, cette danse connaît un essor colossal quand, poussé par la princesse Elisabeth qui patronne cette société depuis 1946, son père, George VI, lui donne en 1951 le titre de Royal Scottish Country Dance Society ou RSCDS, désormais.»
Portée par l’enthousiasme des Ecossais, cette danse s’épanouit dans le monde entier, en particulier au Japon où elle est appréciée pour son côté très codé. En Suisse, elle est à découvrir à Genève, Lausanne, Zurich et Bâle. «Les structures étant animées par des bénévoles, le montant de la cotisation annuelle est très abordable. Il s’élève à 80 francs à Genève où l’on se retrouve tous les jeudis. Et comme ce n’est pas une danse cardio, on peut la pratiquer à tout âge. Par contre, on attend un certain investissement de nos membres, c’est-à-dire une régularité et une envie de progresser.»
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Scottish country dance, dimanche 5 mai, Genève, à l'ADEM Maraîchers (Ateliers d'ethnomusicologie), du 14h à 15h. Bâle, TanzRaum, Werkraum Warteck, de 13h30 à 14h30.