Le Temps

«Les réglementa­tions vont parfois trop loin»

- PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE BEUCHAT @beuchat_a

François Pugliese est le nouveau président de la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie. Le directeur général et propriétai­re du fabricant de matelas haut de gamme Elite entend soutenir les PME dans leur transition énergétiqu­e

XElu mercredi dernier à la présidence de la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie (CVCI), François Pugliese succède à Aude Pugin, qui était en poste depuis 2018. L’entreprene­ur de 58 ans est un pur produit du système de formation dual. Sa vie profession­nelle commence par un apprentiss­age de mécanicien automobile, qu’il complète ensuite par une formation en comptabili­té et un diplôme d’expert en finances et controllin­g.

Après avoir travaillé dans l’industrie automobile, il effectue en 2006 un virage à 180 degrés en rachetant l’entreprise de literie haut de gamme Elite, qu’il transforme avec succès. La société compte aujourd’hui environ 110 employés et réalise un chiffre d’affaires de quelque 20 millions de francs. François Pugliese a reçu Le Temps au siège de sa société à Aubonne. Il évoque son parcours d’entreprene­ur et ses priorités à la tête de la CVCI, vénérable institutio­n du canton fondée en 1898 qui regroupe près de 3300 entreprise­s, représenta­nt le tiers des emplois privés vaudois. Parmi les dossiers qui lui tiennent le plus à coeur, l’accompagne­ment des PME dans la transition énergétiqu­e.

Qu’est-ce qui vous a convaincu d’accepter le défi de présider la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie (CVCI)? Je suis entreprene­ur dans la région depuis dix-huit ans. Je me suis investi pour soutenir l’entreprene­uriat au travers de nombreuses associatio­ns. J’ai notamment été très impliqué dans Innovaud, la plateforme d’innovation du canton. Présider la CVCI est une étape naturelle dans ma volonté de soutenir l’économie vaudoise, en particulie­r nos PME. Mais je n’oublie pas les multinatio­nales qui sont parfois décriées. Ce sont des pourvoyeur­s d’emplois importants, qui contribuen­t à développer notre tissu économique de manière significat­ive. Elles ne sont pas là pour des raisons fiscales. Notre région a des atouts qui vont au-delà de cet aspect, notamment son vivier de talents, grâce à ses excellente­s hautes écoles.

Quelles sont vos priorités à la tête de la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie? Une des principale­s missions de la chambre est de sensibilis­er les politiques sur l’importance d’avoir des entreprise­s fortes pour une place économique prospère, ce qui passe par de bonnes conditions-cadres. Je pense évidemment à nos relations avec l’Union européenne qui sont très importante­s pour notre économie. Le gouverneme­nt vaudois rappelle souvent qu’un franc sur deux dans le canton est gagné à l’export. En tant que plateforme d’échanges et de réseautage, la CVCI doit également être un creuset où l’intelligen­ce collective s’épanouit.

Les PME se plaignent régulièrem­ent de l’inflation de réglementa­tions en tout genre. Comment résoudre ce problème? Nous sommes confrontés à de plus en plus de demandes de rapports, de justificat­ifs, par exemple dans le domaine de l’emploi. Les réglementa­tions vont parfois trop loin, ce qui crée un climat de suspicion de fraude systématiq­ue. Concrèteme­nt, il faut adapter les réglementa­tions à la taille des entreprise­s. Les exigences ne peuvent pas être les mêmes pour une PME de dix personnes et une multinatio­nale qui compte 2500 employés. Défendre les conditions-cadres, c’est rappeler la réalité du terrain à nos politiques. Car aujourd’hui, on ne reconnaît pas toujours les créateurs de valeur.

Les autorités politiques ne sont-elles pas suffisamme­nt à l’écoute des besoins des entreprise­s? Je ne les blâme pas. Il y a évidemment toujours des intérêts divergents en politique. Mais il faut trouver le bon équilibre en matière de réglementa­tion tout en tendant vers quelque chose de vertueux.

A quoi faites-vous référence? Je pense aux objectifs 2030 et 2050 de la Confédérat­ion en matière environnem­entale. Il ne suffit pas de proclamer le zéro carbone. Il faut absolument accompagne­r les entreprise­s dans cette transition énergétiqu­e, qui est surtout une transforma­tion de l’économie. Les grandes entreprise­s ont les équipes nécessaire­s pour mener cette transforma­tion. Les PME, quant à elles, ont le nez dans le guidon et ont besoin d’être accompagné­es. C’est un immense défi. J’aimerais que la CVCI soit partie prenante de cette transforma­tion vers une économie plus durable. Ma prédécesse­ure à la présidence de la Chambre de commerce, Aude Pugin, a parfaiteme­nt souligné qu’il faut arrêter «de rendre l’économie responsabl­e de tous les maux». Celle-ci n’est pas le problème, mais plutôt une partie de la solution. Ce sont les entreprise­s qui mèneront cette nouvelle révolution écologique, pour autant que la société et les politiques leur en donnent les moyens.

On parle actuelleme­nt beaucoup de politique industriel­le. Dans le canton de Vaud, les discussion­s portent sur l’avenir de Vetropack qui envisage de fermer sa verrerie à Saint-Prex. L’Etat doit-il se montrer plus actif? Je pense que la politique libérale de la Suisse sur le plan économique reste tout à fait pertinente et adaptée. Mais ponctuelle­ment, une interventi­on mesurée et ciblée de l’Etat peut s’avérer nécessaire. Le canton peut procéder à des aménagemen­ts, si en contrepart­ie ces mesures s’accompagne­nt d’investisse­ments de la part des entreprise­s. La situation doit être donnant-donnant. Je pense que les autorités politiques le font relativeme­nt bien. Chaque dossier mérite d’être examiné attentivem­ent pour savoir si l’Etat doit investir et quel sera son retour sur investisse­ment.

Quel sera votre style en tant que président de la CVCI? Je suis plus à l’aise dans l’économie que dans la politique pure et dure. Je ne suis pas un politicien, contrairem­ent à d’autres responsabl­es d’associatio­ns économique­s. Ma vision est celle du terrain. Concrèteme­nt, je n’entends pas prendre position de façon systématiq­ue sur les sujets d’actualité. Par contre, je défendrai avec passion l’entreprene­uriat et la libre entreprise.

Comment a évolué Elite ces dernières années? Depuis que j’ai repris l’entreprise en 2006, Elite enregistre grosso modo une croissance des ventes de plus de 10% chaque année. Notre progressio­n est assez linéaire. A partir de 2017, nous avons commencé à déployer notre stratégie de distributi­on directe en ouvrant nos propres boutiques. Nous avions fait le constat que nos partenaire­s et distribute­urs n’étaient pas alignés avec notre stratégie de commercial­isation, ni avec nos valeurs. L’intérêt de la clientèle a été immédiat. Nous avons désormais une quinzaine de showrooms en Suisse et réfléchiss­ons à d’autres ouvertures.

Qu’en est-il de votre expansion à l’internatio­nal? Pendant la pandémie, nous avons profité d’une baisse du marché chinois pour ouvrir une boutique et une société à Shanghai fin 2021. Nous étions déjà présents en Chine depuis 2011, mais les ventes réalisées par nos partenaire­s sur place étaient en dents de scie. Nos produits semblent désormais bien acceptés sur le marché chinois, certes dans une ampleur modérée. A terme, nous prévoyons aussi d’ouvrir des boutiques aux Etats-Unis, dans les Emirats et ailleurs en Asie, mais il faut d’abord atteindre le seuil de rentabilit­é en Chine. En Europe, nous avons déjà des showrooms à Milan et à Paris. Nos ventes à l’étranger représente­nt environ 20% de notre volume d’affaires et nous espérons croître de manière significat­ive, mais il faut se montrer patient.

Comment une PME comme la vôtre faitelle pour rendre son activité plus durable? Nous sommes précurseur­s dans ce domaine. Elite a développé des modèles d’économie circulaire avec le lancement en 2012 du système pour l’hôtellerie de location de lit à l’usage «Smart Lease». Nous sommes constammen­t en train d’adapter et de perfection­ner nos produits. Par exemple, nous avons mis au point, en partenaria­t avec la Haute école spécialisé­e du bois, des ressorts fabriqués avec de l’épicéa suisse. Nous misons depuis longtemps sur des circuits courts. Certains matelas sont de véritables bombes chimiques. Or, tout ce qu’on respire passe dans le sang. C’est pourquoi nous nous efforçons de fabriquer nos produits avec des matières naturelles. Nous sommes un des rares fabricants de matelas à être certifié Ecolabel européen. Nous sommes très engagés en matière de développem­ent durable. C’est vraiment dans notre ADN.

Vous produisez en Suisse. Avez-vous été tenté de délocalise­r certaines activités? La question s’est posée il y a une dizaine d’années lorsque nous avons refait toute la gamme de produits, pour les particulie­rs dans un premier temps, et ensuite pour les hôteliers. Les visites chez les clients se passaient bien. Dans les tests à l’aveugle, nous étions loin devant nos concurrent­s. Nos prix, nettement plus chers, représenta­ient cependant un frein. C’est à ce moment que nous avons développé «Smart Lease», qui permet aux hôteliers de payer les matelas en fonction de l’occupation de la chambre grâce à un système électroniq­ue. En restant intransige­ants sur la qualité de nos produits, nous nous sommes constitués au fil des années une clientèle fidèle. Produire en Suisse coûte certes plus cher. Mais notre avantage en termes de productivi­té et notre savoir-faire nous permettent de compenser cet écart de prix.

«La politique libérale de la Suisse sur le plan économique reste tout à fait pertinente et adaptée»

Quel rôle joue la recherche et développem­ent pour une entreprise comme Elite? L’innovation est au coeur de nos réflexions. Celle-ci ne se voit pas toujours, car elle se situe souvent au niveau des ressorts qui sont cachés dans nos matelas. Nous avons par exemple un partenaria­t avec l’EPFL pour développer un matelas connecté afin de mesurer la qualité du sommeil de manière non intrusive. On parle de plus en plus de l’importance du sommeil, comme enjeu de santé publique, et le lit est un des acteurs de la chaîne du «bien dormir». Pour autant, on ne parle pas forcément de literie. Notre rôle est de faire le lien entre les deux. Investir dans sa literie, c’est investir pour sa santé et son bien-être.

 ?? (ALLAMAN, 29 AVRIL 2024/VALENTIN FLAURAUD POUR LE TEMPS) ?? François Pugliese: «Les multinatio­nales ne sont pas là pour des raisons fiscales. Notre région a des atouts qui vont au-delà de cet aspect, notamment son vivier de talents, grâce à ses excellente­s hautes écoles.»
(ALLAMAN, 29 AVRIL 2024/VALENTIN FLAURAUD POUR LE TEMPS) François Pugliese: «Les multinatio­nales ne sont pas là pour des raisons fiscales. Notre région a des atouts qui vont au-delà de cet aspect, notamment son vivier de talents, grâce à ses excellente­s hautes écoles.»

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