PME

Licencieme­nts

-

Réduction des effectifs: les écueils à éviter.

En raison de la pandémie de Covid-19, les licencieme­nts risquent de se multiplier dans les mois qui viennent. Un processus douloureux pour les salariés concernés, mais aussi pour les chefs des petites et moyennes entreprise­s. Par Jean-Christophe Piot

En matière d’embauches comme de licencieme­nts, les décisions ont été différées à cause de la crise sanitaire.» Comme de nombreux observateu­rs, Anne Donou, du cabinet de conseil RH genevois Von Rundstedt, craint «un effet retard» de la pandémie sur le marché de l’emploi. D’autant plus que les premiers signes de ralentisse­ment économique datent d’avant la pandémie de Covid-19. Ainsi, en 2019, la croissance n’avait pas dépassé 0,9% après une hausse de 2,8% en 2018, selon les chiffres du Secrétaria­t d’Etat à l’économie (Seco).

Sur le terrain de l’emploi, les mauvaises nouvelles risquent donc de s’accumuler dans les mois qui viennent. «Les procédures simplifiée­s de réduction des horaires de travail (RHT), qui ont permis d’éviter ou de retarder des licencieme­nts, ont été prolongées jusqu’à la fin de l’année par le Seco», explique Françoise Favre, cheffe du Service de l’emploi du canton de Vaud. Les dispositif­s destinés à amortir les conséquenc­es économique­s de la crise sanitaire ont certes bien joué leur rôle, mais beaucoup d’entreprise­s ont vu leur trésorerie sérieuseme­nt mise à mal. De plus, certains cantons romands montrent déjà une hausse du taux de chômage de 0,9 à 1,7 point en comparaiso­n avec l’année dernière. Ainsi, il s’élevait, début septembre, à 3,3% dans le Valais et à 5,2% à Genève.

Les multinatio­nales sont habituées à mettre en place des mesures de réduction d’effectifs, mais dans les PME, où la proximité entre salariés et dirigeants est plus grande, la situation est très différente, en particulie­r sur le plan humain.

RESPECTER LES ÉTAPES

Administra­tivement, mettre fin à une relation de travail peut sembler simple. «Le grand principe du droit du travail suisse pose que tout employeur est libre de licencier un salarié. La seule contrainte tient aux délais de congé à respecter», rappelle Sandra Gerber, avocate au sein du cabinet lausannois Wilhelm Gilliéron (lire encadré). Sauf demande écrite de l’employé, l’employeur n’a même pas à motiver sa décision. Et, sauf dispositio­n particuliè­re, rien ne l’oblige à mettre en place une quelconque forme d’accompagne­ment.

Mais attention: «Le droit suisse est certes peu contraigna­nt, mais il est impératif de bien respecter certaines étapes, surtout en cas de licencieme­nt collectif, avertit Christian Oberson, président de l’Associatio­n des profession­nels en ressources humaines (RH) de Genève. Dès qu’une entreprise compte plus de 20 collaborat­eurs, il faut alors prévenir l’Office cantonal du travail et lancer une procédure de consultati­on auprès des représenta­nts des salariés.» Dès lors, toute la difficulté consiste à savoir à partir de quand un licencieme­nt est considéré comme collectif. Tout est affaire de seuil, décrypte Sandra Gerber: «Les articles 335 et suivants du Code des obligation­s indiquent qu’on se situe dans le cadre d’un licencieme­nt collectif lorsqu’on se sépare de 10 collaborat­eurs en moins d’un mois dans les entreprise­s qui comptent moins d’une centaine de salariés. De 100 à 300 salariés, le seuil est atteint au-delà de 10% des effectifs touchés.»

D’où la tentation pour les employeurs de simplifier la procédure en étalant les annonces sur plusieurs mois pour éviter d’entrer dans le cadre d’un licencieme­nt collectif et s’épargner cette phase de négociatio­n. Une erreur, estime Françoise Favre, cheffe du Service de l’emploi du canton de Vaud: «Cela revient à contourner le droit. Si cette situation se précise, l’idéal est évidemment que l’entreprise nous contacte en amont; notre rôle consiste précisémen­t à les accompagne­r pour s’assurer que le processus se déroule dans le strict respect du Code des obligation­s.»

ASSUMER ET EXPLIQUER

Au-delà du droit, reste l’aspect humain – une dimension sans doute plus aiguë dans le monde des PME que dans celui des multinatio­nales, estime Mehdi Guessous, directeur adjoint du cabinet de conseil RH lausannois Vicario Consulting: «Dans les grandes sociétés, les managers qui licencient restent eux-mêmes des salariés, chargés de réduire des coûts. Ce n’est pas l’oeuvre de leur vie, ce qui change tout.»

Alors, comment annoncer une mauvaise nouvelle? «Il faut assumer, rappeler que le licencieme­nt est une option par temps de difficulté­s et faire en sorte que la décision soit

Au-delà du droit, reste l’aspect humain, une dimension sans doute plus aiguë pour les PME, où l’entreprise représente parfois l’oeuvre d’une vie pour un patron.

le moins possible une surprise lorsqu’elle tombe, poursuit Mehdi Guessous. Il ne faut pas avoir peur d’avancer les motifs qui amènent à un licencieme­nt, d’autant que cette crise est d’abord sanitaire et que ce n’est le plus souvent pas la compétence du chef d’entreprise qui a conduit à cette tension sur l’emploi.» Un point de vue que partage Christian Oberson, pour qui le pire danger consiste à «perler» les mauvaises nouvelles: «Faire deux annonces puis trois le mois suivant – cela crée une anxiété invraisemb­lable.» Le reste relève de l’humanité la plus élémentair­e, selon lui: «Il est important de procéder aux annonces avec le plus de respect possible en bannissant tout licencieme­nt par e-mail ou par SMS. Sans parler des salariés qui découvrent ce genre de décisions dans la presse.» Avant de souligner que le marché romand de l’emploi est petit: «Autant éviter de mal se comporter.» Traiter les salariés avec respect, donc, mais sans s’éterniser, estime Shantidas Annen, dont la société SAN Consulting propose depuis Lully (VD) un service personnali­sé d’accompagne­ment aux licencieme­nts. Tout en rappelant un principe évident, mais souvent difficile à respecter lorsque les liens humains sont forts: «On ne peut pas consoler celui qu’on licencie.» D’après lui, il faut aller droit à l’essentiel et le temps consacré à l’annonce doit être court: «Il faut dire clairement et simplement qu’on annonce la fin d’une relation de travail. Cela prend un quart d’heure, une vingtaine de minutes tout au plus, de quoi prendre quelques instants pour permettre à la personne concernée d’encaisser le choc. Faire durer ne fait qu’allonger un moment de souffrance.»

SYNDROME DU SURVIVANT

Les dirigeants qui ont déjà vécu de tels moments le savent: au lendemain d’une série de licencieme­nts, souder les équipes encore en place et maintenir une atmosphère de travail positive n’est pas simple. Un phénomène que Shantidas Annen connaît bien, après plusieurs années passées à accompagne­r les dirigeants. «Ce syndrome du survivant s’apparente à une forme de culpabilit­é: ceux qui restent se demandent pourquoi ils ont été épargnés. Il n’est d’ailleurs pas rare d’en voir certains quitter volontaire­ment l’entreprise dans l’année qui suit. Or, choisir de conserver untel plutôt qu’untel lorsqu’on réduit les effectifs est le résultat d’un choix rationnel, pas du hasard.» Comment passer ce cap difficile? En appelant dirigeants et salariés à revenir aux faits, conseille Christian Oberson. «Si on a licencié, ce n’est pas par plaisir mais pour sauver l’entreprise. La meilleure manière de gérer cette période reste de garder le contact, de trouver des temps collectifs, de partager un repas ou un petit-déjeuner. C’est un peu comme lorsque tout le monde se retrouve au sortir d’un enterremen­t. Il faut sortir d’une atmosphère de deuil permanent et marquer le fait que la vie continue.» Le grand défi consiste donc à éviter de couper tout contact, sans faire l’économie des discussion­s désagréabl­es: «Le rôle d’un dirigeant de PME, c’est de rester présent, d’assumer, d’accompagne­r et de répondre aux questions sans se cacher.»

LE DOUBLE DEUIL DU DIRIGEANT

Reste un personnage qu’on oublie souvent de prendre en compte: le dirigeant lui-même. Or, souligne Mehdi Guessous, les patrons de PME sont souvent proches des salariés, avec qui ils travaillen­t parfois depuis longtemps. «Ils se sentent responsabl­es de leurs salariés et coupables de les licencier. Il faut absolument qu’ils ne s’oublient pas et qu’ils se protègent.» Comment? En évitant de rester seuls, insiste Christian Oberson. «La solitude, c’est la maladie d’un dirigeant d’une PME. Lorsqu’il est amené à licencier, il fait un double deuil, celui du projet dans lequel il est profondéme­nt impliqué et celui de la relation tissée au fil du temps avec ses équipes. Il faut impérative­ment casser cet isolement en abordant le sujet avec des personnes capables de comprendre ce qu’il traverse: consultant­s, organisati­ons profession­nelles ou encore confrères.»

Relativeme­nt simple à mener sur le papier, un licencieme­nt ne s’improvise donc pas, estime Shantidas Annen: «Dans les petites PME, c’est bien souvent le dirigeant qui se renseigne tout seul sur les procédures à respecter. Or un licencieme­nt est compliqué, que ce soit en termes d’annonce, de procédure légale ou d’accompagne­ment. Une erreur peut retarder le processus, voire amener l’employeur devant les prud’hommes.»

Se faire accompagne­r par un profession­nel a un double avantage, estime Christian Oberson: sécuriser le processus et gérer aussi bien que possible l’aspect humain. «Lorsqu’on se sépare d’un collaborat­eur, il faut éviter les deux écueils: la trop grande froideur et la trop grande émotion. Au-delà des aspects techniques, c’est aussi ce que peut apporter un tiers.» Cela aussi dans l’optique de préparer au mieux la reprise – et de futures embauches.

 ??  ?? «IL FAUT ÉVITER LES DEUX ÉCUEILS: LA TROP GRANDE FROIDEUR
ET LA TROP GRANDE ÉMOTION.» Christian Oberson
Associatio­n des profession­nels en ressources humaines, Genève
«IL FAUT ÉVITER LES DEUX ÉCUEILS: LA TROP GRANDE FROIDEUR ET LA TROP GRANDE ÉMOTION.» Christian Oberson Associatio­n des profession­nels en ressources humaines, Genève

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland