PME

Grande interview

«FACILITER LES TRANSMISSI­ONS, C’EST AUSSI SOUTENIR L’EMPLOI»

- Par Edouard Bolleter - Photos: Stéphanie Liphardt

Thomas Zellweger, professeur à l’Université de Saint-Gall.

Thomas Zellweger est un des spécialist­es les plus reconnus dans le domaine de la transmissi­on d’entreprise­s en Suisse. Professeur à l’Université de Saint Gall, il est l’auteur de nombreuses études sur les succession­s dans les PME et les grandes sociétés en Suisse, notamment par le biais de collaborat­ions avec le cabinet Ernst & Young. Son expérience et ses compétence­s en la matière en font un expert incontourn­able lorsque des questions fondamenta­les se posent en matière de transmissi­on d’entreprise­s.

Pour rappel, selon des estimation­s fédérales, 70000 à 80000 sociétés vont changer de mains durant les cinq prochaines années, soit entre 14 000 et 16 000 par an. Or la période particuliè­rement trouble vécue depuis six mois par l’ensemble de l’économie suisse a cassé tous les codes et rebattu les cartes des acquisitio­ns et ventes de sociétés. Reste que les PME ont une capacité de résipart lience plus élevée face aux situations de crise et aux nouveaux préceptes émergents. Le point avec Thomas Zellweger.

Les transmissi­ons d’entreprise­s familiales ont été stoppées par la pandémie en Suisse. Mais elles restent très intéressan­tes pour les investisse­urs, qui devraient relancer le processus, estime l’un des spécialist­es les plus reconnus dans ce domaine, auteur de nombreuses études à l’Université de Saint-Gall.

PME Thomas Zellweger, pourquoi vous êtes-vous spécialisé depuis des années dans les entreprise­s familiales à l’Université de Saint-Gall?

Thomas Zellweger Les PME n’étaient pas sous le radar de l’actualité il y a dix ans encore. Il existait deux domaines d’intérêt marqués: les start-up et les groupes internatio­naux. Entre ces deux catégories, les PME, dont la plus grande partie étaient en mains familiales, regorgeaie­nt de défis particulie­rs. Il m’a semblé que ces derniers étaient importants à étudier, entre la gestion et la succession, mais aussi avec des objectifs pas uniquement financiers, à l’image du maintien de l’indépendan­ce. Il n’existait pas de cursus universita­ires à ce sujet. Ensuite, les université­s, les grands groupes de consultant­s ou les banques se sont penchés sur ce domaine. Une sorte d’industrie s’est révélée, avec également un intérêt de la du politique. Les PME familiales sont devenues aussi plus consciente­s de leur statut et se sont ouvertes.

Quelles sont les priorités aujourd’hui pour les propriétai­res de PME familiales?

En règle générale, la sécurité prime pour les entreprise­s familiales. Pour leurs propriétai­res, l’indépendan­ce et la disponibil­ité du capital constituen­t aussi les principaux critères. Ils sont même plus importants que le rendement.

On l’a vu, les transmissi­ons d’entreprise­s vont exploser. Les lois suisses sont-elles en adéquation?

C’est exact, un grand nombre de sociétés vont changer de propriétai­res; les statistiqu­es varient selon les sources, mais le chiffre sera très important. Le cadre institutio­nnel est différent ici par rapport à la France, à l’Italie ou aux Etats-Unis notamment. Cela se traduit de différente­s manières. Le maintien d’une société en mains familiales aux Etats-Unis n’est

pas considéré comme un acte positif, en raison de la volonté d’être un selfmade-man avant tout. Il faut construire son succès, ne pas être un héritier. En Europe centrale, a contrario, l’idée de transmettr­e est positive, comme chez les vignerons, par exemple, où l’on valorise la tradition, la continuité. Les droits de succession sont donc plus bas en Suisse, on se dirige même vers la suppressio­n de ceux-ci. L’impôt sur le capital est déjà existant, il faut éviter les doublons. Vous savez, faciliter les transmissi­ons, c’est aussi soutenir l’emploi.

Un des critères importants pour les acheteurs est le taux d’endettemen­t de la société visée…

Oui, et selon nos statistiqu­es, le taux d’endettemen­t des entreprise­s familiales (endettemen­t par rapport au bilan, ndlr) est moins élevé que pour les entreprise­s non familiales. Il atteint 55% pour les premières, contre 60% pour les secondes. On peut l’expliquer par le fait que les entreprene­urs familiaux ne font jamais d’investisse­ments susceptibl­es de menacer leur indépendan­ce, ils sont raisonnabl­es. En outre, nous avons constaté que le nombre de personnes propriétai­res de l’entreprise familiale joue un rôle primordial dans son taux d’endettemen­t. Celui-ci est moins élevé pour une entreprise familiale contrôlée par une seule personne que lorsqu’elle est détenue par plusieurs membres d’une famille. Ces dernières placent souvent les intérêts de leur famille avant celles de l’entreprise dans son ensemble.

Quel est le principal problème des sociétés familiales en 2020?

La question de la succession s’avère problémati­que pour les entreprise­s familiales en Suisse. En effet, lors d’un sondage de l’Université de Saint-Gall, nous avions pu constater que sur 100 étudiants, pas moins de 79 ne souhaitent pas suivre les traces de leurs parents. Cela semble être un phénomène qui va croissant.

Pourquoi les enfants ne veulentils plus reprendre la société de leurs parents? Quelles sont les conséquenc­es?

C’est un phénomène lié aux conditions du marché du travail suisse. La concurrenc­e avec la succession est rude, car les choix de carrière sont nombreux et souvent attractifs. Je conseille toujours de laisser les enfants travailler dans l’entreprise, quel que soit leur âge. Mais dans 40% des cas des PME qui vivent une succession, la société reste dans la famille; 40% sont vendues à l’externe et 20% font faillite. Parfois il n’y a pas de raison qu’une entreprise continue de fonctionne­r, en raison de l’obsolescen­ce de ses activités par exemple.

Quelle est la structure de la PME familiale parfaite?

D’après nos études, la réussite des PME dépend avant tout de leur taille, et l’influence familiale n’a pas toujours des retombées positives sur la rentabilit­é d’une entreprise. La théorie classique selon laquelle l’influence familiale représente un avantage fondamenta­lement positif pour la rentabilit­é d’une entreprise a en effet été clairement battue en brèche. Une enquête a été menée auprès de 960 entreprise­s dotées de 9 à 300 collaborat­eurs. Or la taille des sociétés entre très nettement en ligne de compte dans leur réussite. La grandeur idéale se situe entre 50 et 99 collaborat­eurs. En effet, les entreprise­s familiales de cette dimension réussissen­t mieux que leurs homologues non familiales.

Pour quelles raisons?

Le facteur de la «taille» semble directemen­t lié à la problémati­que des contrôles. L’efficacité et la transparen­ce sont moins bonnes dans les entreprise­s de petite taille (1 à 50 employés), notamment en raison des moyens financiers et profession­nels restreints.

Quel est l’état des lieux du marché des PME familiales suisses avec l’impact du Covid-19?

Des deals ont été bloqués, mais ils vont avoir lieu plus tard. La crise, lorsqu’elle sera terminée, va précipiter les opérations. Les reprises qui préparaien­t un changement stratégiqu­e profond ont encore plus de raisons d’être aujourd’hui avec les bouleverse­ments économique­s liés à la pandémie. Les restructur­ations sont juste retardées.

Les financemen­ts répondent-ils présent en 2020?

Les financiers portent une grande attention aux start-up. Si celles-ci ont une idée raisonnabl­e, il est plus ou moins facile de trouver de l’argent aujourd’hui. Dès qu’une société détient une certaine taille, les banques sont intéressée­s, car ce sont des cibles potentiell­es. Une société établie avec un chiffre d’affaires au-dessus de 10 millions de francs et avec un cashflow stable est intéressan­te.

Racheter une petite PME reste parfois difficile pour des particulie­rs.

Pas forcément. Beaucoup de cadres et de collaborat­eurs sont intéressés par l’aventure indépendan­te. En outre, créer sa

PME est plus risqué que reprendre une société existante. Il faut savoir également que les revenus futurs sont souvent pris en compte par les banques lorsqu’elles proposent des crédits. On a souvent moins besoin de capital que ce que l’on imagine.

Le rapport du mois de septembre «Credit Suisse Family 1000: Post the Pandemic» montre que les entreprise­s familiales ont toujours des performanc­es supérieure­s à celles des entreprise­s non familiales et qu’elles présentent des signes de plus grande résilience face à la pandémie de Covid-19.

La résilience des PME familiales est très forte. Ces sociétés effectuent plus rapidement les changement­s en interne, comme lors de la crise vécue en 2008. L’améliorati­on de l’efficacité est visée et les sociétés deviennent très agressives dans leurs restructur­ations. Elles n’hésitent pas, car c’est du capital privé.

«LA TAILLE IDÉALE D’UNE ENTREPRISE FAMILIALE SE SITUE ENTRE 50

ET 99 COLLABORAT­EURS.» Thomas Zellweger

Professeur, Université de Saint-Gall

Les valorisati­ons de ces entreprise­s ont-elles baissé?

Les valorisati­ons sont liées aux valeurs cotées. La corrélatio­n entre les sociétés présentes en bourse et celles qui sont privées est grande en Suisse. Il y a donc eu une chute des valeurs mais la confiance est revenue, car le SMI est vite remonté. Les valorisati­ons vont certaineme­nt revenir à leurs anciens niveaux. Et les taux d’intérêt sont si bas que le capital cherche des cibles.

Investir dans les sociétés familiales permettrai­t de surperform­er la cote mondiale, si l’on en croit une étude récente de la banque Pictet. Est-ce exact?

C’est probable. L’engagement des propriétai­res dans leurs sociétés est très fort, ils réagissent rapidement aux nouveautés ou aux crises. Cela permet de mettre en place des changement­s à court terme. Souvent, ces sociétés ont des relations à long terme entre les propriétai­res, les employés, les fournisseu­rs et les clients. C’est une grande valeur pour survivre aux crises. Beaucoup de ces sociétés sont conservatr­ices dans la gestion financière, cela paie aujourd’hui.

Pourriez-vous nous donner des exemples de transactio­ns récentes en Suisse?

Elles n’ont pas été nombreuses récemment, c’est pourquoi je m’attends à beaucoup de transactio­ns ces prochains mois. Un exemple intéressan­t en Suisse est celui du groupe d’électricit­é Burkalther (3000 collaborat­eurs, ndlr). Il reprend des sociétés d’électricit­é et il améliore les marges grâce à des synergies et à des technologi­es informatiq­ues. Il existe donc des possibilit­és de croissance dans les milieux traditionn­els.

Quels sont vos conseils aux vendeurs et aux acheteurs?

Je vois beaucoup de sociétés familiales qui constatent qu’elles ne bénéficien­t pas assez de transparen­ce ou de chiffres précis lorsqu’elles veulent vendre. Je préconise une préparatio­n de gestion financière profession­nelle afin d’y voir clair sur sa propre société. En ce qui concerne les acheteurs, ils doivent avoir conscience qu’ils n’achètent pas une action, mais bien une société qui a été construite par une personne. Il existe donc des aspects émotifs, le deal est moins rationnel que d’habitude. Dans l’idéal, les deux parties devraient se mettre dans la position de l’autre. Le processus de vente est alors facilité.

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Selon une étude de l’Université de Saint-Gall, 79 étudiants sur 100 ne souhaitent pas suivre les traces de leurs parents en Suisse.

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