PME

Certificat­ion de masques: le parcours d’une combattant­e.

Dix mille masques en microfibre de l’entreprise biennoise KT Home ont été mis en vente début décembre chez Manor. La bataille pour décrocher les certificat­ions en aurait découragé plus d’un, mais pas Babette Keller Liechti.

- Par Tiphaine Bühler

Cela s’appelle avoir du nez. Babette Keller Liechti, qui n’en est pas à sa première métamorpho­se d’entreprise, a commencé à développer des masques en microfibre réutilisab­les dès janvier dernier, alors même que la pandémie n’était pas déclarée en Europe. La femme d’affaires, honorée du Prix Veuve Clicquot en 2009, possède cette faculté d’anticipati­on, mêlée à une bonne dose d’acharnemen­t.

Nous sommes en décembre 2019. «J’ai entendu parler de ce virus chinois sur Euronews, il y a un an, se souvient la fondatrice de KT Home. Le même jour, j’ai dit à mes collaborat­eurs qu’on allait fabriquer des masques de protection. Je connais très bien l’Asie, où j’ai des partenaire­s depuis presque trente ans, au Japon pour les microfibre­s et en Corée pour les nanofibres. Je savais que ce virus allait venir chez nous.»

La PME leader mondiale de la microfibre, qui crée pochettes, gants et lingettes écologique­s pour l’horlogerie et la cosmétique, réoriente une partie de sa production. En janvier, anticipant une fermeture des frontières, l’entreprise remplit ses stocks de microfibre et développe également les premiers moules. Quatorze prototypes sont nécessaire­s avant de finaliser ce masque lavable en polyester et nylon avec des nanofibres d’argent, cela afin d’éviter les allergies. Il est distribué en ligne depuis le mois de mars.

DÉSASTRE ÉCOLOGIQUE

Mais la course contre la montre ne fait que commencer. Babette Keller Liechti ne met aucun collaborat­eur en RHT. Au contraire, elle engagera même du personnel à l’automne pour compléter son équipe d’une vingtaine de collaborat­eurs. Ce qu’elle veut avant tout: certifier ses masques et pas seulement les fibres de celui-ci, qui bénéficien­t déjà du label Food and Drug Administra­tion (FDA).

Dès lors, un véritable parcours du combattant s’amorce. Babette Keller Liechti investira plus de 100 000 francs dans les processus de certificat­ion et de recherche. La dirigeante biennoise retient surtout le manque de soutien des autorités pour un produit désormais vital. «J’ai contacté en vain la task force covid plusieurs fois fin avril, car il n’y avait toujours pas de certificat­ion en Suisse pour les masques en textile, raconte-t-elle. Pendant ce temps, en Chine, 38000 usines à masques en papier étaient créées, un désastre écologique en perspectiv­e.» Le World Economic Forum fait état de 129 milliards de masques jetables utilisés par mois dans le monde.

Mi-mai, la Confédérat­ion communique sur la question. La protection optimale passe par les tests de réutilisat­ion, de confort et de substances nocives (Standard 100 par Oeko-Tex) et le

test de l’Empa (Testex). «Le premier n’évalue pas la filtration, le second exige une filtration à 70% pour des aérosols de 1 micromètre. On est donc très proche des masques médicaux. Pour rappel, le FFP1 en papier filtre à 80% des aérosols de 0,6 micromètre, le FFP2 monte à 94% et les FFP3 des chirurgien­s à 98%», détaille-t-elle, soulignant avoir travaillé avec Jean-Marc Brunner, un virologue du Swiss Integrativ­e

Center for Human Health (SICHH ) de Fribourg.

En août, le masque Everyday de KT Home obtient le premier label, mais est recalé par Testex. Elle a alors l’idée de gaufrer la fibre pour gagner en efficacité, une solution qu’elle a fait breveter depuis. Une réussite puisqu’elle obtient mi-octobre la certificat­ion Testex, que très peu de fabricants de masques réutilisab­les ont obtenue jusqu’ici.

Hélas, quelques jours après cette reconnaiss­ance, sa mère décédait du covid.

Un coup du sort qui aurait pu pousser Babette Keller Liechti au cynisme. «Ça m’a plutôt enragée, commencet-elle. J’ai vu ma maman mourir par écrans interposés. Je suis cinq fois grand-maman, je n’embrasse plus mes enfants ni mes petits-enfants, mais je reste en contact avec eux, avec un masque bien sûr, ou derrière un écran. A la suite de cas de covid dans mon équipe, il y a quelques semaines, j’ai déménagé la fabrique dans un autre bâtiment, en un week-end, pour séparer complèteme­nt les groupes. La pandémie n’est pas finie, il y aura une troisième vague en mars.»

DE NOUVEAUX MASQUES AUTO-CHAUFFANTS

Des crises, la dirigeante en a connu depuis la création de sa première société, Keller Trading, en 1990. En 2008, elle disait que «le monde [avait] besoin d’une fessée». La crise actuelle l’indigne d’autant plus: «On a trop exigé de cette planète. Le covid masque les problèmes du monde. Peut-être aura-t-on la chance ou la sagesse de vivre un nouvel âge.» Tout un symbole, donc, que de produire des masques écologique­s. Et technologi­ques. Parmi ses derniers développem­ents, des masques auto-chauffants en carbone, qui augmentent la températur­e de 3°C à 5°C, conçus spécialeme­nt pour les sports d’hiver. Son prochain combat d’entreprene­ure? Fournir des masques réutilisab­les aux hôpitaux ou des masques dont l’empreinte écologique est plus faible, composés de PET et de polyester recyclé issu des océans. Pour ce faire, KT Home va collaborer en 2021 avec le valaisan Steiger, qui produit des machines à tricoter, ainsi que des masques tricotés répondant à la norme Afnor.

«ON A TROP EXIGÉ DE CETTE PLANÈTE, LE COVID MASQUE LES PROBLÈMES DU MONDE.»

Babette Keller Liechti Présidente et fondatrice, KT Trading et KT Home

 ??  ?? KT Home a lancé cet hiver un masque auto-chauffant en carbone, conçu spécialeme­nt pour les sports d’hiver.
KT Home a lancé cet hiver un masque auto-chauffant en carbone, conçu spécialeme­nt pour les sports d’hiver.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland