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«On n’a jamais eu autant besoin de profils atypiques.»

Alors que les carrières linéaires semblent en voie de disparitio­n, l’entreprene­ur et auteur Alexandre Pachulski défend le concept de singularit­é et l’intérêt des parcours profession­nels originaux.

- Par Vincent Bresson

Un ancien comptable qui candidate à un poste de monteur vidéo, une ingénieure qui se reconverti­t dans le marketing, les profils atypiques conquièren­t les entreprise­s. Par leurs parcours alternatif­s, ils enrichisse­nt les équipes de leurs expérience­s profession­nelles variées et de leurs points de vue originaux. Lorsqu’il fonde Talentsoft en 2007, Alexandre Pachulski souhaite valoriser cette diversité des profils profession­nels.

Du recrutemen­t à la gestion de carrière, sa société est aujourd’hui le leader européen dans le développem­ent de logiciels et d’outils de ressources humaines. Elle compte quelque 2200 clients et 11 millions d’utilisateu­rs. L’entreprene­ur français est également l’auteur d’Unique(s), un livre dans lequel il expose la façon dont la société brime à tort les particular­ités humaines. Entretien avec un auteur projeté dans les RH de demain.

Dans votre livre «Unique(s)», vous mettez en avant la singularit­é. Pourquoi est-elle si importante?

Alexandre Pachulski: Je crois qu’on n’a jamais eu autant besoin de profils atypiques. Aujourd’hui, les problèmes à résoudre sont d’une grande complexité, on le voit avec la situation sanitaire mondiale actuelle. Notre seule option pour s’en sortir est de faire comme certains super-héros de comics qui, face à une grosse menace, se disent qu’ils ne sauveront pas le monde tout seuls: il faut associer les talents pour faire émerger de nouvelles solutions. Ainsi, il est nécessaire de s’appuyer sur des idées différente­s. Je suis convaincu que nous devons prendre cette voie: comme il n’y a plus de solutions toutes faites, nous avons besoin de nouveaux regards. Et donc de singularit­é!

Pourquoi les parcours originaux sont-ils mal considérés?

Les profils singuliers ne sont pas suffisamme­nt valorisés dans les entreprise­s. Par leurs différents parcours, leurs expérience­s de vie, les collaborat­eurs avec un profil atypique réfléchiss­ent différemme­nt et apportent de nouvelles perception­s, ce qui s’avère bénéfique pour l’ensemble de l’entreprise. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai créé Talentsoft. J’ai constaté que, souvent, les sociétés donnaient une fiche de poste avec un descriptif et il fallait chercher une personne qui puisse simplement remplir les critères. Dans ces cas de figure, on ne cherche pas des gens qui veulent contribuer à une communauté, et c’est bien dommage. Les profils atypiques doivent impérative­ment être intégrés dans la société et l’économie, on constate d’ailleurs un réel appel aux talents aujourd’hui. A partir du moment où 85% des jobs de 2030 n’existent pas encore, on ne sait pas ce qui sera requis demain.

Nos singularit­és individuel­les sont-elles complément­aires avec celles des autres?

Elles ne sont pas assez complément­aires, car on a tendance à standardis­er les élèves dans les écoles. Particuliè­rement en France, même si c’est moins vrai dans d’autres pays comme le Danemark. On formate des gens, ce n’est pas très loin de Smith dans le film Matrix. J’exagère un peu mais, d’une certaine façon, nous n’en sommes pas si éloignés! Avec le conditionn­ement scolaire, quand on atteint 25, 35 ou 50 ans, on ne se dit pas «je suis singulier», mais plutôt «je suis différent». Et ce n’est pas un compliment. La singularit­é est le versant positif de la différence. Nous sommes tous une pièce du puzzle, l’enjeu reste de trouver sa place.

Le système global de l’école vise à former pour un métier et non à se découvrir. De nombreux professeur­s font ce métier avec passion et il serait injuste de les accuser personnell­ement, mais l’éducation, aujourd’hui, ne semble servir qu’à développer les compétence­s qui correspond­ront à un métier défini qui permettra de gagner de l’argent. Le problème réside dans le fait que cette posture ne favorise pas la collaborat­ion, alors que c’est justement ce qu’il faut pour surmonter les crises de notre siècle. Copier en classe, c’est en soi déjà un peu de la collaborat­ion: un élève qui ne sait pas se fait aider par celui qui a la connaissan­ce. Pourquoi ne valorise-t-on pas un élève qui en aide trois autres? Pour pallier les difficulté­s de beaucoup d’enfants, notamment liées aux contextes social et familial, l’école doit servir de jardinier pour faire pousser chez les enfants la graine de leur singularit­é. Et je pense que la technologi­e peut aider à engager cette transforma­tion profonde.

De quelle manière?

L’intelligen­ce artificiel­le (IA) nous force à promouvoir la créativité. Puisque les machines sont capable de faire les mêmes choses que les humains, que nous reste-til? Le développem­ent de l’IA permet de comprendre l’essence de nos capacités et contraint à valoriser ce qui rend l’humain unique: sa capacité à entrer en relation avec les autres et sa créativité.

Vous parlez du sentiment de contributi­on à la société, en quoi est-ce important?

Depuis une quinzaine d’années, on constate une quête de sens de plus en plus importante dans le monde du travail. Depuis la crise de 2008, ce qui paraissait sûr et solide a volé en éclats. Alors, puisque tout est risqué, autant avoir un travail qui a du sens, étant donné qu’on ne peut pas se reposer sur la stabilité. La

«COMME IL N’Y A PAS DE SOLUTIONS TOUTES FAITES, NOUS AVONS BESOIN DE NOUVEAUX REGARDS.» Alexandre Pachulski Fondateur, Talentsoft

notion de contributi­on est alors essentiell­e. Le titre de mon livre, Unique(s), est aussi au pluriel, car le but n’est pas d’être singulier pour être individual­iste, mais de trouver sa particular­ité pour contribuer au bien-être de tous. Ces profils sont de plus en plus nombreux, car ils cherchent une voie dans laquelle s’épanouir et pas forcément une carrière pour gagner de l’argent. A Talentsoft, beaucoup ont quitté des postes de management à fortes responsabi­lités pour des emplois sans commandeme­nt, où ils sont davantage libres de leur temps et seuls maîtres de leur travail et de leurs rendus.

A l’image de votre démarche ou des discours d’Elon Musk, on entend de plus en plus d’entreprene­urs évoquer leurs idéaux, sans savoir s’il s’agit toujours de marketing ou d’une réelle ambition…

Si mon projet est seulement du marketing, on ne pourra pas m’enlever que j’ai au moins une certaine constance! Cette démarche que nous avons avec les entreprene­urs, ce n’est pas parce que nous sommes cools ou altruistes. Je crois qu’un entreprene­ur est juste quelqu’un qui essaie de réparer quelque chose dans un domaine qui le concerne suffisamme­nt pour qu’il y consacre sa vie. Moi, je suis concerné par le travail, parce que j’ai vu tout le monde autour de moi être écrasé par la pression profession­nelle. Il n’y a rien d’altruiste, j’ai juste été intéressé par cette question du travail et de la singularit­é. Et je pense que je peux faire quelque chose pour améliorer la situation.

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Pour Alexandre Pachulski, l’IA nous contraint à valoriser ce qui rend l’homme unique: sa créativité et sa capacité à entrer en relation avec les autres.

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