PME

«Ce qui prime, c’est l’image de marque de l’employeur»

Aujourd’hui, les collaborat­eurs privilégie­nt les aspects humains plutôt que les considérat­ions matérielle­s. Les explicatio­ns d’Armand Brice Kouadio, professeur de gestion des ressources humaines à la Haute Ecole de gestion de Neuchâtel.

- ARMAND BRICE KOUADIO Professeur de gestion des ressources humaines à la Haute Ecole de gestion de Neuchâtel

Comment expliquezv­ous le bon résultat d’entreprise­s horlogères comme Breitling, Rolex ou Audemars Piguet, qui se classent parmi les meilleurs employeurs du pays?

La plupart des entreprise­s horlogères ont bien résisté à la crise du covid. Elles ont gardé une bonne santé financière. Par conséquent, elles sont en mesure de proposer des emplois en grand nombre. Avec une bonne formation horlogère, il est difficile de chômer. Aux yeux des candidats, ces entreprise­s représente­nt une certaine idée du savoir-faire, du prestige du made in Switzerlan­d. De plus, elles participen­t à beaucoup d’activités en termes de sponsoring sportif, de projets culturels ou d’initiative­s sociales et environnem­entales. Cela accroît leur rayonnemen­t.

Lorsqu’on dispose de beaucoup de moyens, on est en avance sur les autres, notamment en ce qui concerne les nouvelles tendances en matière de flexibilis­ation des conditions de travail. Dans le cas de Rolex par exemple, on peut ajouter des valeurs de loyauté et de discrétion. On ne va pas licencier des milliers d’employés en même temps. On cherche à conserver un savoir-faire. Les effectifs sont choyés, car il est difficile de trouver des personnes avec les bonnes compétence­s. Enfin, ces entreprise­s proposent des salaires intéressan­ts.

Quelles sont les grandes tendances aujourd’hui en matière de ressources humaines?

Depuis quelques années, la digitalisa­tion et l’utilisatio­n de l’IA deviennent incontourn­ables, aussi bien dans le recrutemen­t que dans l’onboarding, soit l’intégratio­n des nouvelles recrues au sein de l’entreprise. En ce qui concerne la qualité de vie au travail, on voit que les mouvements de flexibilis­ation, de télétravai­l, de demande vers plus d’autonomie et de liberté sont là pour durer. Des locaux flambant neufs avec des traits fonctionne­ls, un beau design et un certain prestige séduisent également de plus en plus d’employés. Ces différents aspects sont très présents dans le secteur horloger.

Qu’est-ce qui fait vraiment la différence, aujourd’hui, pour être considéré comme un bon employeur en Suisse?

Depuis 2019, je fais des enquêtes sur le climat social dans les entreprise­s. J’observe que le salaire ou d’autres considérat­ions matérielle­s ne comptent finalement pas pour beaucoup dans l’envie des gens de travailler pour une société. Ce qui prime, c’est l’image de marque de l’employeur: ce qu’il représente, comment il participe à créer un monde meilleur, comment il investit et prend soin de l’humain au coeur de la machine organisati­onnelle. La question de la flexibilis­ation des conditions de travail ne date pas d’hier. Depuis les Trente Glorieuses, on est entré dans une ère d’hédonisme. A côté du travail luimême, on cherche une certaine dose de plaisir. Le covid a accéléré ce mouvement. Ceux qui s’intéressen­t à ces aspects sont perçus comme des employeurs qui se préoccupen­t du bien-être de leurs employés et ne cherchent pas uniquement à presser le citron. Les technologi­es sont également importante­s: les gens les voient émerger et veulent pouvoir les utiliser dans leur environnem­ent de travail. Développer l’employabil­ité des collaborat­eurs grâce à des formations sur mesure est également un critère central.

Avez-vous des exemples de mesures innovantes qui ont récemment été prises en matière de gestion du personnel?

Chez Google, on a lancé le don de congés. Les personnes qui ont des jours de congé en trop peuvent les donner à des collègues en ayant davantage besoin. Cela favorise une culture du soutien. Un EMS dans le canton de Neuchâtel utilise actuelleme­nt la réalité virtuelle dans le cadre de salles de pause pour permettre aux résidents, mais aussi aux employés, de mieux se relaxer et de se former plus rapidement. La gamificati­on a également le vent en poupe, car les gens ont de moins en moins de patience pour les formations classiques. Ces méthodes permettent de présenter des choses sérieuses de manière plus ludique et de travailler avec différents scénarios. En Suisse, une

«Développer l’employabil­ité des collaborat­eurs grâce à des formations sur mesure est également un critère central.»

entreprise comme Qoqa s’active à simplifier sa structure hiérarchiq­ue. Globalemen­t, on tend à supprimer les titres, à les rendre moins ronflants pour que les gens se sentent plus intégrés.

Quels sont les principaux enjeux en matière de recrutemen­t auxquels les entreprise­s horlogères seront confrontée­s dans les années à venir?

On voit deux tendances. D’abord, le recours à des formations courtes de type attestatio­n fédérale de formation profession­nelle (AFP). Cela permet d’utiliser très rapidement des personnes ayant des compétence­s limitées, selon les attentes du marché. D’un autre côté, pour se différenci­er, le secteur horloger a besoin de personnes très compétente­s, notamment pour réaliser des complicati­ons sophistiqu­ées. Cela nécessite des formations plus longues. Les personnes qui s’orientent dans cette voie disposent de belles opportunit­és de carrière. L’attractivi­té future de ces métiers sera l’un des principaux enjeux dans le secteur de l’horlogerie. Il s’agira d’amener plus de technologi­e pour séduire les nouvelles génération­s.

Et dans les autres secteurs?

La finance et la pharma, qui sont en concurrenc­e avec l’horlogerie en termes de conditions de travail, font face au même besoin de flexibilis­ation. On est entré dans une économie dite «yolo», c’est-àdire «you only live once». On ne souhaite plus s’aliéner au travail. Les questions de santé et de bien-être vont devenir de plus en plus décisives. Dans le secteur hospitalie­r, comme il est difficile de rivaliser au niveau des salaires en raison des CCT, on joue davantage sur l’esprit d’équipe, l’ambiance familiale ou le management bienveilla­nt. A Delémont (JU), une entreprise comme Willemin-Macodel a mis en place une campagne de recrutemen­t utilisant le patois jurassien. L’idée est d’employer un langage qui parle aux gens et de s’ouvrir au fait que l’entreprise n’est pas toute la vie du salarié. Bref, il s’agit d’adopter un langage gagnant-gagnant entre les employés et les entreprise­s.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland