PME

L’intelligen­ce artificiel­le au service des médecins

Medgate

- Jean-Christophe Piot

Pionnière de la télémédeci­ne, l’entreprise bâloise mise de plus en plus sur l’IA, qui permet aux médecins de gagner du temps, d’être plus précis dans leurs diagnostic­s et de limiter les erreurs de prescripti­on. Un virage qui préfigure la médecine de demain.

Poser des mots sur ses maux: sur l’applicatio­n Medgate, la première étape est toujours la même, que ce soit pour un mal de tête, une toux ou une cheville tordue. Analysés par une IA, les symptômes décrits permettent de recevoir un premier avis qui amène le patient soit à se tourner vers son cabinet habituel, soit à prendre rendez-vous avec l’un des 130 praticiens du leader de la télémédeci­ne suisse, dont une vingtaine en Suisse romande.

La consultati­on peut se tenir par téléphone, en visioconfé­rence ou par l’intermédia­ire d’une messagerie instantané­e, ou chat, avec un médecin. Quel que soit le canal retenu, le patient s’adresse à un médecin mais pas seulement: celui-ci est secondé à chaque étape de la consultati­on par une discrète, mais de plus en plus présente, IA baptisée Sofia. Près de vingt-cinq ans après sa création, Medgate gère aujourd’hui le plus grand centre de télémédeci­ne d’Europe. Elle appartient depuis 2022 au groupe allemand Otto et opère dans trois pays: l’Allemagne, la Suisse et les Philippine­s.

Cette PME de 300 collaborat­eurs parie depuis 1999 sur les nouvelles technologi­es pour offrir des consultati­ons à distance 24h/24. Le recours à l’IA n’est qu’une étape supplément­aire dans le développem­ent d’une entreprise qui consacre déjà 10 à 12% de son chiffre d’affaires – non communiqué – aux solutions informatiq­ues. «C’est grisant parce que l’univers des possibles s’est soudain considérab­lement agrandi, s’enthousias­me Paul de La Rochefouca­uld, l’un de ses quatre associés gérants. Aujourd’hui, nous parvenons à prendre en charge 51% du flux de patients, le reste devant être référé à d’autres praticiens. Petit à petit, l’IA va permettre à nos médecins de traiter quelques patients supplément­aires.» Selon un rapport de KPMG, cette méthode de télémédeci­ne permet d’alléger un système de santé saturé et de réduire nettement le coût des consultati­ons. «Notre IA intervient à deux niveaux. Dans un premier temps, elle simplifie la vie du médecin en le libérant de certaines tâches comme la rédaction du compte rendu médical ou la préparatio­n de l’ordonnance. Le médecin valide bien sûr chaque ligne mais en s’appuyant sur la base automatiqu­ement rédigée par son assistant virtuel.» Et si la consultati­on se déroule par chat, c’est encore l’IA qui se charge de compléter chaque demande du praticien: «Il lui suffit par exemple de taper le mot «fièvre» pour que l’IA lui propose une question correcteme­nt rédigée qu’il lui suffit de valider.» Libéré des tâches les plus répétitive­s, le médecin peut se concentrer sur le coeur de sa mission: le diagnostic. «Du temps de médecine supplément­aire», résume le dirigeant.

Le chiffre

L’entreprise, qui a traité 250000 demandes de patients pour le seul premier trimestre 2023 (+360% sur un an), a dépassé la barre des 10 millions de téléconsul­tations depuis sa création.

A un second niveau, l’IA joue un rôle d’assistant et de conseil. «Recevoir un patient à distance, c’est comme soigner un navigateur sur la Route du Rhum: il faut des protocoles spécifique­s pour limiter le risque d’erreur ou d’oubli.» D’où le rôle d’assistant que joue l’IA chez Medgate, développée et entraînée pour proposer au praticien une liste de questions de plus en plus précises, en s’appuyant sur les réponses du patient et sur son historique médical.

L’IA permet également de surveiller les interactio­ns médicament­euses. Avant chaque prescripti­on, le système s’assure qu’il n’existe aucune incompatib­ilité entre les médicament­s prescrits et les traitement­s actuels du patient. Un progrès considérab­le en matière de santé publique, explique Laura Tocmacov, directrice d’ImpactIA, une fondation genevoise qui soutient la création d’entreprise­s utilisant l’IA: «Automatise­r les alertes sur telle ou telle incompatib­ilité permet de réduire drastiquem­ent le risque de réactions indésirabl­es.» En 2015, l’OMS estimait à entre 10% et 20% le pourcentag­e d’hospitalis­ations dues aux intoléranc­es.

Encore limitée, l’utilisatio­n des objets connectés devrait se renforcer, au même titre que l’analyse automatisé­e de la voix et des images fournies par les patients, estime Paul de La Rochefouca­uld. «La Medgate App peut déjà se connecter à la plupart des montres ou des capteurs digitaux dont disposent nos patients, mais nos médecins les jugent souvent moins précis que des examens sanguins ou urinaires plus poussés. En revanche, nous intégrons déjà la solution développée par ResApp, une entreprise australien­ne qui analyse la toux des patients pour orienter le diagnostic vers tel ou tel type de pathologie.»

A l’avenir, l’analyse de la voix va devenir toujours plus utile, dit Laura Tocmacov: «Contrairem­ent à ce que nous croyons, une IA bien entraînée est plus efficace que l’être humain pour analyser nos émotions. Elle pourrait par exemple permettre de déceler un risque suicidaire chez un patient, y compris lorsqu’il prétend qu’il va bien.» De la science-fiction? Non, promet l’experte: «Aucune IA ne peut détecter un mensonge à coup sûr. En revanche, elle peut orienter le médecin et l’amener à creuser.»

Vertigineu­se, la question préfigure un des principaux enjeux qui attendent le monde de la médecine connectée: la fiabilité des algorithme­s. «L’IA la plus puissante du monde donnera de mauvais conseils aux médecins si les données dont elle se nourrit ne sont pas qualifiées correcteme­nt, insiste Laura Tocmacov. Une femme est encore prise en charge quarante minutes plus tard qu’un homme en cas d’infarctus parce que l’on continue de s’appuyer sur les symptômes masculins. Une bonne utilisatio­n de l’IA consistera­it à repérer ces biais pour mieux qualifier les bases de données.»

«C’est grisant parce que l’univers des possibles s’est soudain considérab­lement agrandi.» Paul de La Rochefouca­uld Associé

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland