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Vers la fin des pourboires.

La dématérial­isation des paiements entraîne la disparitio­n du cash et impacte la tradition des bonnes-mains. Des solutions alternativ­es existent pour conserver cette économie informelle mais elles peinent à entrer dans les habitudes. Par Audrey Magat

Selon une étude européenne menée en 2020, deux tiers des Suisses laissent généraleme­nt un pourboire au restaurant, ce qui est inférieur aux Allemands (qui sont 96% à laisser une bonne-main), mais plus généreux que les Norvégiens (14%). «C’est une particular­ité de chaque pays qui dépend de la culture associée à cette tradition», explique Sébastien Fernandez, professeur de psychologi­e et auteur d’une étude sur les comporteme­nts face aux pourboires à l’Ecole hôtelière de Lausanne (EHL). Ces pourboires représente­nt donc plus une tradition qu’une nécessité, contrairem­ent à l’usage aux ETATSUNIS, par exemple, où ils constituen­t le salaire des serveurs. Tous les clients pris en compte, les Suisses laissent en moyenne un pourboire de 3% du montant de l’addition. Au restaurant, chez le coiffeur ou dans un taxi, ces pourboires d’argent cash tendent cependant à disparaîtr­e à cause de la dématérial­isation des paiements, qui diminue la part de liquidités des porte-monnaie. «Les cartes bancaires ont clairement provoqué une diminution des pourboires, constate Laurent Terlincham­p, président de la Société des cafetiers, restaurate­urs et hôteliers de Genève. Avant, les clients pouvaient compléter l’addition lorsqu’ils signaient leur note. C’est aujourd’hui plus compliqué depuis l’introducti­on des nouveaux terminaux de paiement par carte.»

ÉCONOMIE INFORMELLE

En effet, les outils d’encaisseme­nt modernes permettent d’entrer le montant du pourboire directemen­t sur le terminal de paiement. Le serveur inscrit le montant de l’addition sur la machine et peut demander au client s’il veut laisser un pourboire. «Je trouve cette méthode agressive, commente Pascale Rochat, responsabl­e du soir au bar Les 4 Coins à Genève. Elle implique de confronter le client, alors qu’il sait pertinemme­nt s’il souhaite laisser un pourboire ou non.»

Ce recul du pourboire est ainsi constaté par la profession même s’il reste difficile à chiffrer avec précision. «Alors qu’en cash les clients arrondissa­ient la somme, ils n’y pensent pas forcément avec la carte», explique Sébastien Hofer, gérant du salon de coiffure Mise en scène à Sion. «La différence est surtout importante sur les petits

montants, remarque Pascale Rochat, des 4 Coins. La carte bancaire était auparavant réservée aux grandes tables. Aujourd’hui, les clients l’utilisent pour payer juste un café ou une bière, et ne laissent donc plus de monnaie. Ils ne sont pas devenus radins, mais les paiements par carte sont tellement impersonne­ls qu’il est plus difficile de savoir à qui reviendra le pourboire.» Pour le professeur Sébastien Fernandez, «avec la carte, le serveur va automatiqu­ement inscrire le montant précis de l’addition, ce qui laisse moins de marge au client pour ajouter un pourboire». Le renoncemen­t au cash semble convenir aux Suisses, qui se montrent de plus en plus adeptes des modes de paiement dématérial­isés. L’utilisatio­n des applicatio­ns pour smartphone comme Twint a presque doublé en deux ans, passant de 20% d’utilisateu­rs à 38%, selon une étude du comparatif Moneyland.ch. Le nombre de transactio­ns sans contact par carte de crédit ou de débit a quant à lui grimpé à plus de 49 millions en février 2020, contre moins de 3 millions en 2016, selon la Banque nationale suisse. Cette tendance s’est également renforcée cette année avec la crise sanitaire.

GASTROSUIS­SE rappelle que le pourboire est inclus dans le prix en restaurati­onhôteller­ie depuis 1974 en Suisse. Mais la disparitio­n progressiv­e de cette économie informelle n’est pas sans conséquenc­e. «La baisse des pourboires diminue le pouvoir d’achat des employés, qui ont déjà de plus faibles revenus que la moyenne suisse, dit Sébastien Fernandez. La motivation de certains collaborat­eurs risque de baisser, conjointem­ent avec la qualité du service.» Pascale Rochat, dans son bar genevois, abonde dans le sens de l’expert: «Les pourboires permettaie­nt de compléter les salaires généraleme­nt bas. Leur diminution pénalise les employés du secteur.»

EFFETS COVID

Le montant du pourboire ne dépend pas de la qualité du service, démontre une étude menée dans le canton de Vaud. Il résulte plutôt de la relation établie avec le client, de la générosité perçue, qui va du chocolat avec le café au prénom ou à un contact sur l’épaule. Néanmoins, la crise sanitaire du Covid-19 a modifié notre rapport à la consommati­on, au toucher et à la monnaie traditionn­elle. «L’avènement des livraisons à domicile et des plats à emporter réduisent au minimum les prestation­s de service et donc l’envie de laisser un pourboire», analyse Laurent Terlincham­p. Pour Sébastien Fernandez: «Les comporteme­nts vont probableme­nt changer, les contacts physiques qui signifiaie­nt la sympathie ne seront plus appréciés alors que la distance se retrouvera valorisée.»

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L’utilisatio­n de Twint a presque doublé en deux ans.

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