Sept

Pas une seule journée de liberté

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A peine arrivée aux Etats-unis, Svetlana Allilouyev­a apprend une triste nouvelle: ses hôtes en Suisse, Claude et Bertrande Blancpain, ont été victimes d’un terrible accident de la route. Claude est gravement blessé, son épouse n’a pas survécu. Elle envoie un télégramme de condoléanc­es le 24 avril 1967 au rescapé: «Je suis bouleversé­e par cette terrible nouvelle. Suis de tout coeur avec vous et vos enfants. Impossible à croire. Svetlana». Quelques jours plus tard, le 7 mai, elle lui écrit une lettre pleine de compassion, traversée par ce cri du coeur: «Pourquoi n’est-ce pas plutôt mon avion qui est tombé ce même jour? Ma vie ici est, et sera, inutile». Claude Blancpain lui répond le 30 juin, depuis son lit d’hôpital, pour lui évoquer les souvenirs heureux; il prévoit son retour à Fribourg: «Lorsque vous reviendrez, nous irons prier sur la tombe de Bertrande.» Six mois plus tard, le 19 janvier 1968, il lui écrit encore: «Je suis un peu triste d’être sans nouvelles de vous […] Je commence à me remettre de mes blessures […] Quand revenez-vous en Suisse? Ma maison vous sera toujours ouverte et je serais très heureux de vous y accueillir.» Puis la correspond­ance s’interrompt pendant une quinzaine d’années. Svetlana Allilouyev­a ne répondra qu’en 1981.

Parallèlem­ent, une autre correspond­ance s’instaure entre la fille de Staline et Jean-annet d’astier de la Vigerie, frère de Bertrande Blancpain et neveu d’emmanuel d’astier de la Vigerie. Elle lui écrit le 12 mai 1967 une longue lettre dans laquelle s’expriment le désir d’une relation plus étroite et la frustratio­n de n’y être parvenue: «Je voulais vous dire beaucoup plus de belles choses que je n’ai fait. Mais la vie est stupide – les gens doivent se hâter et partir au moment où ils rencontren­t quelqu’un avec qui ils se sentent si bien. » Faut-il attribuer cette proximité sentimenta­le à celle de deux personnes du même âge? A tout le moins, un puissant

sentiment religieux se dégage de ce texte, à la limite de l’effusion mystique et sensuelle, comme dans les Demeures de sainte Thérèse d’avila. «Prenez soin de vous, mon cher Jean-annet. Peut-être que personne ne comprend mieux que moi à quel point vous avez besoin de soin et d’attention, – je vous donne toujours la main affectueus­ement, reposez-vous sur mon épaule, vous vous sentirez mieux […] Savezvous prier, Jean-annet? Essayez de prier pour elle, et peut-être que cela vous apportera une étrange joie, – cela arrive parfois. Ne soyez pas effrayé par les larmes, – parfois on trouve une grande joie dans les larmes, et c’est très difficile de ne pas pouvoir pleurer. Les larmes emportent loin le lourd fardeau du coeur, mon cher Jean-annet. Je suis avec vous, je suis tout près de vous, Jean-annet, donnez-moi vos mains, reposez-vous sur mon épaule, laissons-nous pleurer ensemble, – vous comprenez que j’aimais Bertrande autant que vous, – je l’ai vue deux fois, mais j’ai tout compris de sa vie et de sa nature. Je l’aimais, comme on peut aimer au bout de seulement deux heures de conversati­on. ( J’ai aimé ainsi mon dernier mari – au bout de deux heures de conversati­on je connaissai­s tout de lui, et je ne me suis jamais trompée.)» Dans une seconde missive, datée du 23 juin 1967, elle évoque son installati­on douloureus­e aux Etats-unis: «Ma vie est devenue un enfer et ma seule consolatio­n, ce sont mes chers amis où qu’ils se trouvent – en Suisse, à Paris, et ici aussi». Puis, la correspond­ance avec Jean-annet d’astier cesse aussi. Ces quelques lettres de l’année 1967 à Claude Blancpain et à Jean-annet d’astier révèlent deux choses: Svetlana Allilouyev­a se languit de ses amis européens, mais elle a aussi une conscience claire de l’adversité qui l’empêche de revenir sur le Vieux Continent. Dorénavant, la Russe doit s’acclimater à sa nouvelle vie aux Etats-unis.

A son arrivée à New York, elle est emmenée à Long Island, dans la villa de Stewart Johnson. C’est un hébergemen­t intéressé, puisque la fille de ce dernier, Priscilla Johnson-mcmillan, n’est autre que la personne en charge de la traduction de son manuscrit en anglais. Après quelques jours de repos, Svetlana Allilouyev­a doit donner une conférence de presse et répondre aux questions des journalist­es. Elle est logée dans des hôtels à New York, puis elle séjourne chez des «amis» rencontrés en Suisse: le diplomate à la retraite George F. Kennan, en Pennsylvan­ie; l’avocat new-yorkais Alan Schwartz, dans le Massachuse­tts; l’autre avocat américain Edward Greenbaum, à Brooklyn. Elle sera également hébergée un moment par la fille de Léon Tolstoï (Alexandra Lvovna Tolstoïa). Durant cette période, elle aurait déjà été tentée de revenir en Suisse, selon sa biographe: «[George] Kennan avait rappelé à Svetlana son envie de retourner en Suisse. Mais l’administra­tion helvétique avait refusé. L’exilée avait déclenché trop d’agitation médiatique, lors de son précédent séjour.»

18 Entretemps, Svetlana Allilouyev­a apprend que son visa d’entrée aux Etats-unis n’est valable que six mois. Elle doit le renouveler, alors qu’elle croyait pouvoir rester sans condition dans ce pays. Ce n’est qu’après une année, en juin 1968 qu’elle obtiendra le statut d’immigrée (son arrivée sur le territoire américain sera postdatée). Victime de la Realpoliti­k, la Russe n’a jamais été considérée officielle­ment comme transfuge du régime soviétique. Les raisons? Il s’agit de ne pas envenimer les relations internatio­nales à cette époque de la crise des missiles interconti­nentaux… Enfin, Svetlana Allilouyev­a s’installe de manière autonome dans le New Jersey, à Princeton, où elle loue une maison et fréquente l’université. Là, elle s’amourache d’un certain Louis Fischer, ancien correspond­ant en Union soviétique, qui la décevra en la trompant et l’éconduisan­t. Elle écrit bientôt son deuxième livre, Tolko odin god (Une seule année). Se lie d’amitié avec Olgivanna Lloyd Wright, une danseuse originaire du Monténégro, veuve du célèbre architecte Frank Lloyd Wright. Adepte des théories théosophiq­ues et de la pensée mystique de Gurdjieff, Olgivanna imagine que sa propre fille, aussi prénommée Svetlana, morte dans un accident des années auparavant, lui est revenue! Elle invite

Svetlana Allilouyev­a à Taliesin West, en Arizona, dans le domaine de son défunt mari, où s’est établie une communauté de chercheurs, architecte­s et étudiants vivant selon des règles excentriqu­es. L’architecte Wesley William Peters, successeur de Frank Lloyd Wright, gendre d’olga et veuf, s’y trouve aussi. La fille de Staline en tombe amoureuse et se marie avec lui le 7 avril 1970. Ils vont s’installer à Taliesin East, la résidence d’été des Wright, dans le Wisconsin. A ce moment-là, Svetlana Allilouyev­a change de nom et s’appelle désormais Lana Peters. Elle donne naissance à Olga en 1971. Mais le mariage bat rapidement de l’aile. Ne supportant plus le style de vie communauta­ire de Taliesin et de la famille Wright, la Russe divorce de Wesley William Peters et retourne à Princeton avec sa fille en 1972. Elle voyage beaucoup aux Etats-unis et noue des amitiés avec des célébrités, telles que l’écrivain et critique littéraire Edmund Wilson, le philosophe Sir Isaiah Berlin et le producteur-réalisateu­r de films Nikita Mikhalkov. Puis elle déménage à nouveau, avec sa fille, en Californie. Avant de revenir une fois de plus dans le New Jersey, à Pennington. Svetlana Allilouyev­a s’occupe essentiell­ement de sa fille et veut lui donner la meilleure éducation possible: cours de musique, éducation sportive, écoles privées… Malgré des difficulté­s d’argent, elle lui consacre de grands moyens.

Après quinze ans de silence, elle reprend la plume pour écrire à Claude Blancpain le 2 décembre 1981. Mais le ton n’est plus du tout le même que dans les lettres de 1967. A l’enthousias­me se substituen­t l’amertume et le regret. Elle se plaint beaucoup de sa situation: « Nous ne sommes pas heureux ici. Emmanuel d’astier avait vu juste; il avait raison. Moi, j’étais une idéaliste […] Je voulais vous dire que je songe [à venir en] Europe.» Claude Blancpain lui répond le 14 janvier 1982: «J’ai été content de recevoir votre lettre après un si long silence […] Si vous venez en Europe, vous viendrez nous voir.» Cinq mois plus tard, le 20 juin 1982, Svetlana Allilouyev­a réplique, longuement, en s’efforçant d’écrire en français dactylogra­phié, pour partager ses déconvenue­s. «J’étais en train de me renseigner au sujet des pensions de jeunes filles, les meilleures en Suisse pour y envoyer ma fille. J’essayais d’apprendre aussi, de manière discrète, par l’intermédia­ire de «soi-disant» amis quelles étaient mes propres chances d’obtenir un permis de séjour en Suisse française. Je ne vous ai pas écrit plus tôt, à cause des changement­s qui se produisaie­nt ici: de nouveaux obstacles apparaissa­ient, de nouvelles idées étaient considérée­s, et repoussées, etc. Je n’ai jamais passé un hiver aussi rempli d’incertitud­es en ce qui concerne nos vies. Enfin, après beaucoup de paperasser­ies, d’évaluation­s ainsi que de grosses dépenses de temps et d’argent, Olga a été acceptée à l’école de filles de St-georges près de Montreux (à Clarence) et aussi au Collège Aiglon, dans les montagnes et la même région. Les deux écoles sont anglaises, dirigées par des professeur­s anglais. Mais ces institutio­ns enseignent le français comme second langage, de sorte que les enfants arrivent à le parler couramment […] J’ai écrit d’abord pour me renseigner au Dr Hafter, un avocat de Zurich (avec la firme Staehelin & Hafter); je le connaissai­s depuis le printemps 1967. Je lui ai demandé quelles étaient mes chances d’obtenir un permis de résidence permanente en Suisse française (que je connais bien et que j’aime, autour de Fribourg et Montreux, etc.) Je voulais être près de l’école d’olga. J’ai écrit aussi au Dr Antonino Janner, qui “s’occupait” de mon cas dans le Foreign Office en 1967.» Dans cette longue missive, Svetlana Allilouyev­a revient sur les circonstan­ces de son séjour en Suisse et de sa fuite aux Etats-unis en 1967. Elle révèle que rien ne s’est déroulé selon sa propre volonté. De tels faits rendus publics en 1982 auraient pu encore causer un certain scandale internatio­nal: «J’aurais besoin d’être en Suisse. J’ai aussi d’excellents souvenirs de ce pays, où, au début je n’avais pas l’intention d’aller. Vous savez probableme­nt que c’est le U.S. State Dept qui m’a envoyée là. D’abord, au départ de l’inde, ils m’avaient mise dans un avion en direction des USA. Mais, ayant changé d’avis, ils m’ont déposée à Rome. Là, j’ai dû, illégaleme­nt, rester trois jours, pendant que les Etats-unis essayaient d’avoir

la permission de m’envoyer en Suisse. Le permis a été accordé, mais on m’a dit de ne pas parler à la presse. Les déclaratio­ns ont été faites par un porte-parole. Et même lorsque j’étais aux USA, en avril à ma conférence de presse, on m’a dit de ne pas dire pourquoi et de quelle manière j’étais allée en Suisse. Et que, au début, je ne voulais pas “demander l’asile”, puis enfin [que] j’avais changé d’avis et avais décidé de le demander aux USA afin d’aller dans ce pays pour y faire publier mon livre. Tout cela est un non- sens! Rien que des mensonges! Car JE CROYAIS qu’on m’offrait asile aux ETATS-UNIS et que j’allais y vivre d’une manière permanente.»

Quand la Russe parle des personnes auxquelles elle a demandé des renseignem­ents sur la manière d’obtenir un permis de résidence en Suisse, comme le haut fonctionna­ire fédéral Antonino Janner et l’avocat Peter Hafter, elle ne les considère plus aussi amicaux que dans son autobiogra­phie. Le ton est moins bienveilla­nt: «Ces deux personnali­tés (en 1967) savaient naturellem­ent tous les détails des longues négociatio­ns ainsi que le rôle crucial des avocats. C’était moi qui étais complèteme­nt dupée et de qui on prenait constammen­t avantage. On m’a fait taire jusqu’à ma conférence de presse aux Etats-unis, mais avant que je puisse ouvrir la bouche le gouverneme­nt avait donné sa propre version. Après cela j’ai passé des jours et des mois isolée de quiconque européen qui aurait pu mettre à jour la vérité. Les avocats ont aussi abusé de ma confiance quand je leur ai signé une procuratio­n lorsque j’étais encore en Suisse. Ils ont alors donné LEUR version des “volontés de Svetlana”» Les personnes en qui elle avait placé sa confiance en Suisse, Svetlana Allilouyev­a les voit devenir de simples exécutants, sans empathie, toujours aussi soucieux du devoir à accomplir et des règles à respecter, mais détachés de la situation de 1967: «Il leur a pris environ cinq longs mois pour arriver à me dire que, à leur avis, je n’aurais pas de chances d’être acceptée avant que j’aie 60 ans (J’en ai 56 maintenant). Ils m’ont fait remarquer que quand j’étais Svetlana Allilueva, déserteur de L’URSS, c’était légalement différent et ce serait probableme­nt plus aisé. Mais maintenant que je m’appelle Lana Peters, citoyenne des Etats-unis, mes chances étaient nulles. Et à 60 ans, ils ne sont pas même sûrs que j’y arriverais, car tout est décidé par l’administra­tion locale du canton.»

Si le gouverneme­nt suisse n’a jamais eu la moindre intention de lui accorder l’asile politique, il avait même posé comme condition – secrète – à son accueil que le gouverneme­nt des Etats-unis s’engageât à trouver une solution dans un délai de trois mois, Svetlana Allilouyev­a, devenue citoyenne américaine en 1978, ne pouvait techniquem­ent plus obtenir un permis de résidence permanent en Suisse sans motif valable (travail, asile, mariage avec un citoyen helvétique…). Sauf qu’elle n’était pas n’importe quelle requérante et que quantité d’obstacles lui avaient été imposés à cause de son ascendance, à son corps défendant. «J’étais bouleversé­e et scandalisé­e par cela. Deux compatriot­es déserteurs de L’URSS, un pianiste de renom V. As.*** et un champion d’échecs V. Ke.***, tous deux dans le même cas que moi, ont été acceptés et vivent tranquille­ment en Suisse allemande. Pourquoi eux et pas moi, ai-je demandé? Parce qu’ils sont déserteurs m’a- t- on répondu. Mais, ne suis-je pas déserteur moi-même,

après tout? – Non, à ce qu’il paraît! Parce que je ferais ma demande en tant que citoyenne américaine. JE NE VOIS PAS DE LOGIQUE EN CELA. J’aurais apprécié qu’on m’explique ces règles tout au début. Car nous avons passé des mois et des mois à faire des recherches et des demandes de toutes sortes. Quand on nous a annoncé la désagréabl­e nouvelle c’était la semaine de Pâques. Cela me serait impossible d’envoyer Olga en pension à Clarence [sic] et après être restée avec elle environ deux mois, aller en Angleterre et puis revenir trois fois par an pour l’emmener en vacances.»

Encore une fois, les aspiration­s de Svetlana Allilouyev­a sont contrariée­s. En fuyant L’URSS, elle croyait accéder à la liberté. Or elle n’est confrontée qu’à barrages, objections, restrictio­ns. «Je me suis très bien habituée à la Suisse, et maintenant et surtout pour le bien-être de ma fille, je voulais y vivre par choix et par désir. Je sentais et ressens toujours le besoin d’être dans un petit pays tranquille et neutre. Mais, avec des vues réalistiqu­es [sic] vis-à-vis-des événements mondiaux. Cette existence folle me rend malade! Je désirais vivre sans faire de politique (car même quand vous êtes citoyen, vous participez, vous devez avoir une opinion). Mon seul souci maintenant est 1) de revoir mon fils un jour et 2) d’élever ma fille comme il faut et de lui donner une bonne éducation européenne. En ce qui me concerne, je ne désire que paix, tranquilli­té et stabilité. Nous n’avons pas arrêté de déménager ces derniers 15 ans. Ici, ce n’est décidément pas un pays tranquille et paisible.»

Une réponse favorable de ses interlocut­eurs suisses aurait pu changer sa destinée. A la suite du refus essuyé au courant de l’année 1982, Svetlana Allilouyev­a décide de s’installer en Angleterre, à Cambridge, avec sa fille Olga. Durant cette période, elle se convertit au catholicis­me romain – elle était orthodoxe depuis son baptême secret en URSS en 1962. Puis un événement imprévu change une nouvelle fois la donne. En fuyant L’URSS, la fille de Staline avait abandonné ses deux enfants nés de deux mariages précédents, Joseph Morosov et Iekaterina Jdanova (Katia). Elle souffrait bien sûr de cette séparation. Or la situation avait évolué en Union soviétique avec l’accession au pouvoir de Youri Andropov. Fin 1983, elle reçoit un coup de téléphone de son fils, qui lui suggère de venir le voir à Moscou. Katia, elle, avait renié sa mère depuis longtemps. Communiste fanatique, elle la considérai­t comme une traîtresse à la patrie; devenue une volcanolog­ue réputée, elle vivait isolée dans la péninsule du Kamtchatka. Sur un coup de tête, Svetlana Allilouyev­a décide donc de retourner en URSS avec sa fille. Son départ en novembre 1984 fait la une des journaux: «La fille de Staline retourne en URSS!» Une conférence de presse est organisée à Moscou, durant laquelle elle houspille des journalist­es anglophone­s qui tentent de la filmer et de lui arracher quelques mots, et déclare: «Dans ce monde libre, je n’ai pas connu une journée de liberté.» Une phrase choc!

Svetlana Allilouyev­a et sa fille cadette reçoivent un passeport russe. Elles demeurent près de deux ans en URSS. Mais ce séjour ne se passe pas aussi bien qu’espéré. Sa fille Katia n’a donné aucun signe de vie, et son fils Joseph, alcoolique, a dû être hospitalis­é… Après quelques mois passés à Moscou, Svetlana Allilouyev­a et Olga partent s’installer à Tbillisi, en Géorgie, la région natale du tyran Staline. La mentalité collectivi­ste, les écarts de culture et la surveillan­ce dont elles font l’objet finissent par avoir raison de leur enthousias­me. Elle découvre également que le KGB a utilisé son fils pour la faire revenir en URSS. Elle écrit alors, à trois reprises, au tout nouveau chef du Parti, Mikhaïl Gorbatchev, nommé en mars 1985, pour lui demander la permission de quitter L’URSS. Elle recevra des mois plus tard cette autorisati­on, après bien des embrouille­s avec la Police politique, comme si rien n’avait changé depuis son premier départ en 1966. C’est alors qu’elle caresse à nouveau l’espoir de rejoindre la Suisse. A la fin du mois de mars 1986, une employée du Consulat américain à Moscou lui rend visite pour régler les formalités de son départ. Svetlana Allilouyev­a lui demande

pour sans-logis, où elle vit d’une petite allocation d’etat, ayant pris la nationalit­é anglaise. Toute la presse en parle en 1992. De 1993 à 1994, Svetlana Allilouyev­a alias «Soeur Lana» entame une période de noviciat dans un cloître, le couvent Saint-joseph de Rugby dans le comté de Warwickshi­re. Mais elle ne trouve pas la sérénité en ce lieu où, persifle-telle, «toutes ces vieilles femmes passent leur temps au téléphone, appellent leurs enfants, leurs petitsenfa­nts.»

Une dernière fois, elle cherche à trouver refuge en Suisse. «Elle rêvait de vivre dans un vieux cloître qui respire l’histoire et la tradition d’un couvent médiéval, confie la mère supérieure du couvent anglais. Elle m’a donc demandé la permission de se retirer en Suisse ou en Italie, dans un cloître dont les pierres sentiraien­t l’encens. » En abandon

21 nant le couvent, Svetlana Allilouyev­a se retrouve dans une grande misère matérielle, elle vit à nouveau de l’aide d’etat dans un petit village sur la côte de Cornouaill­es. A l’automne 1994, elle quitte la Grande-bretagne et, selon sa biographe, «Soeur Lana séjourna chez quelques amis dans une petite ville de la Suisse francophon­e. De là, elle se rendit plusieurs fois au cloître de la Visitation. La mère supérieure de ce cloître n’a pu cependant le confirmer. Svetlana n’était pas retournée au couvent de la Visitation depuis 1967.» La mère supérieure est

22 en effet décédée. Sa successeur­e, qui avait croisé la Russe en 1967 dans ce même couvent, ne nous a pas confirmé non plus cette hypothèse: «Si elle était venue chez nous en 1994, je pense que je l’aurais su.» Il semble tout aussi improbable que Svetlana Allilouyev­a ait séjourné «chez des amis dans une petite ville de la Suisse francophon­e » où elle ne connaissai­t que les Blancpain. François-dominique Blancpain nous a assurés n’avoir pas connaissan­ce d’une visite de Svetlana Allilouyev­a dans sa famille à ce moment-là… En revanche, la fille de Staline a bel et bien cherché à se rendre dans un couvent en Italie. Elle a écrit plusieurs fois au Vatican de même qu’à son directeur de conscience, un missionnai­re italien, le padre Giovanni Garbolino, pour qu’ils lui trouvent une retraite. Sans succès. Suite à toutes ces déconvenue­s, elle ne voudra plus entendre parler de religion institutio­nnelle. «J’en ai maintenant trop entendu sur la religion. Je n’ai pas besoin de l’eglise ni d’un prêtre. Dieu est ici, à mes côtés. Et je peux tout à fait être seule», écrit-elle à son directeur de conscience. Mal lui a en pris. Le père Garbolino la trahit: il révèle à la presse toutes les lettres qu’elle lui avait écrites durant des années.

A la fin des années 1990, après un passage par Londres, Svetlana Allilouyev­a retourne définitive­ment vivre en Amérique. Elle éprouve le besoin de revoir sa fille, Olga, installée dans la région du Wisconsin. Elle finit par rejeter aussi l’europe, qui lui a causé tant de déconvenue­s et mis des bâtons dans les roues. Elle termine sa vie le 22 novembre 2011 à Richland Center, une maison de santé réservée aux gens pauvres. Elle avait 85 ans. Le cancer a eu raison de cette femme qui aurait aimé vivre libre, en Suisse, et qui est finalement restée «une prisonnièr­e politique du nom de son père».

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