L’odyssée helvétique de la fille de Staline
Au printemps 1967, Svetlana Allilouyeva Stalina, fille unique du tyran soviétique fuit L’URSS et se retrouve bloquée plus d’un mois en Suisse, avant de pouvoir rejoindre les Etats-unis. Classés «secret» jusqu’en 2011, des documents révèlent un séjour roca
«C’était du James Bond», se souvient Cornelio Sommaruga, ancien président du Comité international de la Croix-rouge. Celui qui à l’âge de 34 ans occupait alors la fonction de second secrétaire de l’ambassade de Suisse à Rome se rappelle, dans les moindres détails, du 10 mars 1967, quand il a permis le passage à l’ouest de Svetlana Allilouyeva Stalina (1926-2011), fille de Joseph Staline. Une histoire qui commence quelques mois plus tôt.
En décembre 1966, Svetlana Allilouyeva obtient exceptionnellement du gouvernement soviétique l’autorisation de quitter L’URSS pour se rendre en Inde. Elle veut y rapporter les cendres de son troisième mari, Brajesh Singh, un aristocrate indien membre du parti communiste qu’elle avait rencontré à Moscou en 1963 et avec lequel elle s’était mariée clandestinement, les autorités soviétiques n’ayant pas autorisé cette union avec un «étranger». Une fois en Inde, elle s’y sent tellement bien qu’elle n’a plus envie de retourner en URSS, où sont pourtant restés ses deux enfants nés de deux mariages précédents. Elle souhaite se consacrer à l’écriture et continuer l’oeuvre philanthropique de son défunt époux à Kalakankar, son village natal. Elle fait alors appel au neveu de ce dernier, Dinesh Singh, ministre des Affaires étrangères, et rencontre même Indira Gandhi, Premier ministre de la République. Mais elle se rend vite compte que ceux-ci n’ont pas envie de lui prêter main forte, de peur de se brouiller avec L’URSS et aussi parce que l’inde est en pleine campagne d’élections législatives. Elle se tourne alors vers ses seuls contacts à l’étranger, à Paris: Emmanuel d’astier de la Vigerie et son épouse d’origine russe Liouba Krassine. Emmanuel d’astier, fondateur de la première mouture du journal Libération, écrivain et homme politique, a écrit une biographie de Joseph Staline ( Sur Staline, Paris, 1963), pour laquelle il avait rencontré en catimini Svetlana Allilouyeva à Moscou quelques années plus tôt. Ils ne peuvent pas non plus l’aider. Ayant épuisé toutes les possibilités de prolonger son séjour en Inde, la fille
de Staline reçoit l’ordre de rentrer à Moscou sur le vol Aeroflot du 8 mars 1967.
Le soir du 6 mars, Svetlana Allilouyeva réussit à tromper la vigilance de ses compatriotes et se rend à l’ambassade américaine à Delhi pour solliciter la «protection» des Etats-unis. Surpris, l’ambassadeur Chester Bowles se fait confirmer son identité par le quartier général de la CIA (Central Intelligence Agency) qui détient un dossier sur elle. Le décalage horaire entre l’inde et Washington ne lui laisse malheureusement pas le temps de prendre l’avis des hauts responsables américains. La situation étant potentiellement critique (Svetlana Allilouyeva emporte avec elle un manuscrit dans lequel elle raconte sa vie en Union soviétique), Chester Bowles prend l’initiative de la faire embarquer durant la nuit sur le seul avion quittant l’inde pour l’occident: un vol Delhi – Washington, avec escale à Rome. Dans l’appareil, le second secrétaire de l’ambassade américaine, Robert Rayle, un membre de la CIA sous couverture, lui explique qu’il ne lui sera pas si simple d’obtenir l’asile aux Etats-unis, «pour des raisons politiques et de sécurité».
A son arrivée à Rome, le lendemain, Svetlana Allilouyeva est en effet bloquée. La Suisse officielle entre alors en jeu, bien malgré elle. En atteste un rapport secret, intitulé Svetlana Allilouyeva en Suisse, rédigé par Antonino Janner, chef adjoint du secteur Est du Département politique fédéral, l’ancien Département fédéral des affaires étrangères, et publié par les Documents diplomatiques suisses. Selon ce document inédit, le 7 mars 1967, le conseiller fédéral Willy Spühler, chef du Département politique fédéral, est sollicité pour une audience urgente par l’ambassadeur américain en Suisse John Hayes, qui reçoit ses ordres du Secrétaire d’etat américain Dean Rusk. Le représentant de Washington « demande avec insistance que la Suisse accepte de donner l’asile à Mme Allilueva-staline. Si cela n’est pas possible, le State Department sollicite la coopération de la Suisse pour qu’elle accueille au moins temporairement Mme Allilueva-staline, jusqu’à ce que les autorités américaines aient pu lui trouver un lieu de séjour». Les Etats-unis invoquent les «traditions humanitaires» helvétiques et soulignent «qu’il n’y a pas d’autre solution pour le moment».
Pris de court, le Département politique fédéral demande des éclaircissements. Le lendemain, John Hayes remet aux autorités helvétiques la déclaration fournie par Svetlana Allilouyeva à Delhi expliquant pourquoi elle veut déserter L’URSS. Il précise que l’italie n’entend pas lui accorder l’hospitalité «pour des raisons de politique intérieure» et que les Etats-unis trouvent le moment inopportun en raison de «l’accord consulaire actuellement en cours de négociation et de l’accord de non-prolifération». Le temps presse, ajoute l’ambassadeur américain, car la fuite de Svetlana Allilouyeva va être découverte après son retour avorté à Moscou prévu le 8 mars. Le département répond qu’il va soumettre l’affaire au Conseil fédéral… Un gouvernement suisse qui délibère finalement le 10 mars. C’est là que Cornelio Sommaruga entre en scène. «J’ai reçu un coup de fil d’antonino Janner, le chef adjoint du Département politique fédéral, à 17 heures. Il m’a dit: “Je suis dans l’antichambre du Conseil fédéral. Annule tous tes rendez-vous, tiens-toi à disposition pour une affaire importante. Je te rappelle.” Son agitation était palpable. Il me rappelle peu de temps après pour m’annoncer que j’allais devoir rencontrer la fille de baffone (le surnom italien de Staline est «moustache», ndlr): “Tu dois lui demander si elle veut venir en Suisse, si elle souhaite une protection de la Police fédérale et lui faire signer un papier dans lequel elle déclare renoncer à toute activité politique en Suisse. Tu lui feras remplir un formulaire de demande de visa touristique et tu lui fourniras son visa. Ce soir, elle s’envolera vers la Suisse avec le dernier vol de Swissair à 20 h 40. Elle sera accompagnée d’un employé de l’ambassade américaine qui te contactera.” J’étais très surpris, car ce n’est qu’après le téléphone de Janner que j’ai vu un article de la presse italienne du jour qui titrait: La fille de Staline à Rome? »
Cornelio Sommaruga est donc chargé de lui délivrer un visa suisse. «Pourquoi moi et pas l’ambassadeur lui-même? Je ne sais pas vraiment. Je connaissais Antonino Janner parce qu’il était un ami de mon père. Peut-être a-t-il jugé que j’étais la personne la mieux à même d’accomplir cette mission? Il m’avait demandé de n’en parler à quiconque, même pas à mon chef. Mais je n’avais jamais délivré un visa de ma vie. J’ai donc demandé à une collègue de se tenir prête à m’accompagner avec les papiers et le sceau officiel. Par chance pour moi, je savais que l’ambassadeur était indisponible ce jour-là. J’avais volontairement demandé à sa secrétaire de le voir, et elle a pu me confirmer son absence. Ainsi, j’ai pu apaiser ma conscience en justifiant que j’avais essayé de lui en parler le jour même. Plus tard, l’ambassadeur m’a confié que ni lui-même ni son homologue américain n’avaient été mis au parfum de cette affaire.» Vers 20 heures, Cornelio Sommaruga reçoit un appel d’une personne anglophone, se déclarant diplomate, pour choisir un mode de rendez-vous avec Svetlana Allilouyeva. La rencontre est fixée au desk Swissair de l’aéroport Leonardo da Vinci de Rome. «Une fois sur place, j’aperçois deux hommes qui ressemblent à Laurel et Hardy! Un petit et un grand, tous deux vêtus de longs imperméables et coiffés de chapeaux. Manifestement des agents de la CIA. J’entends encore l’un d’eux me lancer: “Mister Sommaruga? Let’s go!” Ils voulaient que je monte dans leur voiture. Mais dans de telles situations, j’avais appris qu’il fallait se mettre en protection diplomatique. Et j’ai exigé qu’ils m’accompagnent dans ma propre voiture de fonction. C’était plus sûr, aussi vis-à-vis des Services italiens.» Le gouvernement transalpin avait en effet refusé d’accorder un visa de séjour à la fille de Staline. Il toléra apparemment son transit «touristique» jusqu’à ce qu’un autre pays se déclare prêt à l’accueillir. Séjournant «illégalement» en Italie, la Russe de 40 ans ne pouvait mettre le nez dehors et résidait dans un appartement mis à disposition par la CIA à Rome. «Nous sommes sortis de l’aéroport, poursuit Cornelio Sommaruga. Il faisait nuit. Au volant de ma Mercedes diplomatique dans laquelle se trouvaient aussi les agents de la CIA et ma collègue, je tournais en rond dans des ruelles sombres. Tout d’un coup, l’un des agents a baissé la vitre. Quelqu’un a sifflé très fort à l’extérieur et l’agent m’a aussitôt intimé l’ordre de stopper. Une autre voiture s’est arrêtée derrière nous. La fille de Staline en est descendue pour nous rejoindre. J’ai alors fait sortir les agents et bavardé avec elle, en anglais. Pendant environ dix minutes, ma voiture s’est transformée en bureau consulaire! Formalités d’usage, je lui ai demandé si elle souhaitait vraiment venir en Suisse. Elle m’a répondu: “Oui. Mon père m’a parlé très souvent de ce pays merveilleux. Et je ne peux pas aller aux EtatsUnis de toute façon”» Svetlana Allilouyeva remplit le formulaire de demande de visa et une déclaration par laquelle elle s’engage à renoncer à toute activité politique en Suisse. Le visa helvétique est ensuite apposé dans son passeport soviétique. Puis, tout s’accélère; l’un des agents revient vers la voiture diplomatique et crie: «Vite, il faut y aller. Donnez-moi les clés!» Svetlana Allilouyeva sort et retourne dans l’autre véhicule, tandis que les deux agents s’engouffrent dans celui de Sommaruga qui démarre en trombe. Soudain, l’un des agents hurle: «Ils sont derrière nous!» «Il n’a pas précisé de qui il s’agissait, mais je pense que c’était le KGB», complète Cornelio Sommaruga. Les agents roulent vers l’aéroport où Svetlana Allilouyeva doit prendre le dernier vol de Swissair pour la Suisse. Mais le départ est retardé
jusqu’à minuit. Cornelio Sommaruga est chargé par les agents de la CIA de demander au comptoir Swissair l’embarquement de « Miss Brown » , épouse de «Mr Brown», en fait Robert Rayle, l’agent de la CIA qui a déjà fait le vol depuis Delhi avec elle. «Je devais dire que Miss Brown, ne se sentant pas bien, monterait directement dans l’appareil sans passer par le desk.»
Le rôle actif du diplomate suisse s’arrête là, mais le transfert de la fille de Staline n’est pas terminé. «J’ai demandé aux Américains de me faire savoir quand l’avion partirait et j’ai appelé Antonino Janner en Suisse pour l’informer que Svetlana Allilouyeva avait bien reçu son visa, mais que l’avion aurait du retard.» Un peu avant minuit, Cornelio Sommaruga reçoit le coup de fil d’un employé de Swissair, qui lui fait savoir, sur un ton de reproche, que «Mr and Ms Brown» n’ont pas pris l’avion qui est parti sans eux. Plus tard dans la nuit, un Américain lui téléphone pour annoncer que leur départ a dû être différé, l’appareil étant bourré de journalistes et d’agents du KGB… Un avion de la compagnie Alitalia serait affrété spécialement à l’aube pour la fille de Staline.
Svetlana Allilouyeva atterrit finalement à Genève le 11 mars 1967, vers 9 heures du matin. Son arrivée aurait dû être tenue secrète mais, «pour des raisons incompréhensibles», la police italienne a communiqué l’horaire du vol Rome-genève indique Janner dans son rapport. La BBC répercute la nouvelle sur les ondes courtes; journalistes et photographes de Suisse et du monde entier accourent. Toute cette publicité «complique inutilement la prise en charge par la Police fédérale » . L’ambassadeur de L’URSS en Suisse demande aussitôt des comptes à Janner. Le Département fédéral de justice et police se voit contraint de publier un communiqué mensonger pour préserver la raison d’etat: «La fille de Staline est en Suisse pour des motifs touristiques et de repos, elle souhaite qu’on la laisse tranquille, et la presse est priée de ne pas tenter de la rencontrer.» En vain… Des reporters n’ont de cesse de retrouver sa trace. De Genève, elle est conduite à Beatenberg sur la rive droite du lac de Thoune, où elle loge sous un faux nom dans le petit hôtel de montagne Jungfraublick. Le 13 mars 1967, après avoir été reconnue dans un magasin, elle est transférée dans une «villa privée» des bords du lac de Thoune. Cette demeure qui n’a jamais identifiée a accueilli plusieurs rencontres avec de hauts représentants de gouvernements étrangers venus discuter de sa situation. Puis, le soir du 14 mars, elle est emmenée à Sankt Antoni, un petit village alémanique du canton de Fribourg, dans la maison de repos des soeurs catholiques de Saint-canisius (devenue depuis le Centre de formation catholique Burgbühl). Svetlana Allilouyeva y séjourne sous le nom de Miss Carlen, Irlandaise qui arrive d’inde, jusqu’au 3 avril. Cornelio Sommaruga se souvient même de l’avoir croisée une fois dans une rue de Fribourg: «Nous nous sommes salués brièvement. Elle était accompagnée d’une femme. Je n’ai pas vu de gardes du corps autour d’elle. Elle donnait l’impression de se promener librement.» Dans l’ouvrage 25 Jahre Bildungszentrum Burgbühl (paru en 1997 en allemand seulement à l’occasion des 25 ans du Centre de formation), on peut lire: «L’hôte la plus célèbre de tous les temps fut la fille de Staline, Svetlana Allilouyeva. Sur demande de l’évêque et de la Police des étrangers du canton de Fribourg, elle vécut à Burgbühl en mars-avril 1967. Personne à l’extérieur ne savait qu’elle logeait ici. C’est seulement après son départ que la presse rapporta son séjour à Sankt Antoni. Cette femme élevée dans l’athéisme découvrit ici le chemin du christianisme. Elle avait du plaisir à venir prier dans la chapelle de Burgbühl.»
Au début de son séjour en Suisse, la liberté de mouvement de Svetlana Allilouyeva est restreinte; elle passe son temps à lire et écrire. Deux jours après son arrivée à Sankt Antoni, elle a quand même droit à une distraction. «Le 16 mars, deux policiers du canton
Sous surveillance à Fribourg
de Fribourg, en civil, viennent me demander si je veux visiter les environs. Nous partons en voiture et la randonnée s’avère fort agréable. Retrouvant dans ma mémoire mon allemand et mon français universitaires, je peux expliquer à mes compagnons que le téléphérique du Moléson, à 2’000 mètres d’altitude, me donne le vertige et que je préférerais un paysage plus plat. Nous plaisantons, prenons du café avec des skieurs dans un petit bar, et on me promet que la prochaine promenade sera dans la plaine. Pour finir, on me permet de conduire la petite Volkswagen, et nous nous quittons en bons amis.» Une autre
1 sortie est organisée à sa demande, le 26 mars, pour le dimanche de Pâques: «Je me rends à la cathédrale Saint-nicolas avec mon “ange gardien” en civil, fervent catholique, qui chante tous les hymnes en français et en latin. L’évêque de Fribourg prononce son sermon en français: des paroles éternelles, adressées à tous les hommes, paroles de paix et de fraternité. Le souffle puissant de l’orgue, les voix argentées des choeurs, les fleurs, les cierges… La foule agenouillée… Je prie avec les autres.»
2 Toutes ces mesures de protection et d’isolement ont été élaborées par les autorités fédérales en concertation avec le chef de la Police des étrangers et deux commissaires de la Police fédérale. Mais c’est un civil – et un fonctionnaire d’élite – qui est chargé de rester en contact avec la Russe et de faciliter son séjour: le juriste bâlois Antonino Janner, alors chef adjoint du secteur Est du Département politique fédéral. Sa première tâche est de tenir à l’écart les journalistes, les agents et les éditeurs qui cherchent à recueillir le témoignage de la fille de Staline. Il tente également de rendre son séjour aussi agréable que possible. Il l’invite dans sa maison familiale à Berne, fait l’intermédiaire avec les personnalités officielles qu’elle rencontre le plus souvent dans la discrète villa au bord du lac de Thoune. C’est lui qui rédigera le rapport final, estampillé «secret», sur le séjour de Svetlana Allilouyeva en Suisse. Elle-même le décrira en ces termes: «Arrivée en Suisse et rencontré le jour même Antonio (sic) Janner. Il parle parfaitement
l’anglais, le français, l’allemand et l’italien; à un moment donné, il a représenté la Suisse auprès du Vatican. Une sympathie réciproque, un contact spontané s’établissent entre nous; Janner m’explique que le visa touristique me permet de me reposer et de visiter le pays, mais exclut toute activité politique de quelque tendance qu’elle soit. Pour l’instant, cela m’arrange bien.»
3 Pour être exact, ce n’est pas le visa touristique qui pouvait empêcher la Russe de mener une hypothétique «activité politique», mais la clause annexée au visa qu’elle a dû signer à Rome avant son transfert en Suisse. Dans sa séance du 10 mars, le Conseil fédéral a en effet décidé de lui accorder un visa touristique à une entrée, valable trois mois, «aux motifs de santé, tourisme, lieux de séjour divers». En contrepartie, elle doit renoncer à une demande d’asile, de même qu’à toute activité politique et tentative d’entrer en contact avec la presse durant son séjour en Suisse. De plus, son accueil a été assorti par la Suisse de la promesse que le gouvernement américain lui trouverait un lieu de séjour avant l’expiration de son visa touristique. C’est la transfuge elle-même qui a émis le souhait de se rendre aux Etats-unis, mais le Département d’etat américain temporise autant que possible. Pour le Conseil fédéral, la situation est inconfortable, puisqu’une touriste lambda a le droit de circuler et de s’exprimer librement en Suisse. Les procès-verbaux montrent que le gouvernement helvétique a débattu à plusieurs reprises de cette question, décidant à chaque fois de maintenir l’omerta sur la véritable raison de la présence de Svetlana Allilouyeva sur territoire national. Et ce jusqu’à son départ, organisé par le gouvernement de Lyndon B. Johnson. La Russe est mise au courant de l’évolution de son dossier par son cicérone. Le 15 mars, elle note par exemple dans son «Journal suisse»: «Janner me téléphone dans la soirée pour me dire que je ne dois pas perdre espoir d’aller en Amérique. Le Département d’etat a fait savoir que ce n’était pas exclu. En attendant, le gouvernement helvétique a annoncé aux journalistes que je refuse de rencontrer la presse, en demandant aux reporters de cesser leurs recherches et poursuites.»
4 Le 3 avril, «il y a danger», inscrit Antonino Janner dans son rapport. Svetlana Allilouyeva risque d’être découverte dans sa retraite de Sankt Antoni. Un nouveau déménagement s’impose, cette fois en ville de Fribourg, dans le monastère de la Visitation. Paradoxalement, c’est dans ce couvent qu’elle pourra vivre de façon plus indépendante, jusqu’à son départ pour les Etats-unis le 21 avril. Si la mère supérieure et la soeur qui lui a servi d’interprète sont depuis décédées, une partie de la communauté religieuse se souvient de cet événement. L’une de ses membres, jeune soeur à l’époque, a accepté de nous donner des précisions tout en souhaitant préserver l’anonymat monastique: «Svetlana nous avait été présentée comme une simple retraitante, mais nous remarquions bien que son statut était particulier. Nous ne la voyions pas beaucoup. Elle est venue, une fois ou l’autre, assister à nos eucharisties dans le choeur. Elle était en recherche de Dieu. La communauté se souvient d’une femme d’une discrétion parfaite. Seule la mère supérieure était au courant de sa véritable identité.»
La Russe relate elle-même ce séjour dans son autobiographie: «Je dois quitter l’hospice de San-Antoni (sic) pour un couvent à Fribourg, où je peux être plus indépendante. La supérieure, Mère Marie-Marguerite, me confie trois clés servant à ouvrir trois portes si je rentre après 8 heures. Cela arrive souvent, quand je vais à Berne, et je me glisse alors dans le noir, ma petite lampe de poche à la main, craignant […] de faire peur à quelqu’un du pensionnat dont j’ai à traverser les couloirs interminables. L’après-midi, je me promène dans les rues de Fribourg, je vais à la banque, dans les magasins […] Le vieux Fribourg est très pittoresque. Ruelles étroites, passerelles enjambant la Sarine et arcs légers des ponts à double étage s’accordent bien avec la cathédrale gothique, ne rompent pas l’ensemble. Les nombreuses chapelles invitent à y entrer, à se recueillir: leurs portes restent toujours ouvertes…»
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On peut s’étonner que la fille de Staline ait été transférée dans un couvent en pleine ville, et de la relative liberté de mouvement dont elle jouit. Cela n’est pas dû à la résolution de son cas, car le Conseil fédéral maintiendra la loi du silence avec la presse jusqu’à la fin de son séjour. Ses déplacements sont probablement surveillés discrètement et rendus possibles par le fait qu’elle n’a quasiment jamais été médiatisée dans la presse occidentale: «A part ma déclaration écrite à l’ambassade des Etats-unis et quelques données biographiques fragmentaires, l’occident ne savait rien de moi.» Il est aussi fort
6 probable que le choix de Fribourg eut été lié à l’assurance que la presse locale n’en parlerait pas. Les autorités fédérales en charge de l’affaire peuvent en tout cas compter sur un réseau d’influences politiques et religieuses bien installé dans ce canton à dominante catholique-conservatrice. Comme le rédacteur en chef du quotidien fribourgeois La Liberté de 1951 à 1970, Roger Pochon, ancien secrétaire de Pax Romana, l’association des étudiants catholiques de Suisse et du monde entier. Ce colonel de la justice militaire présidait également l’association de la presse fribourgeoise et, avant d’entrer à La Liberté, avait été juge cantonal. Autre appui avéré, celui de François Charrière, directeur de La Liberté de 1941 à 1945 avant de devenir Monseigneur Charrière, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, qui a joué un rôle actif dans le «placement» de Svetlana Allilouyeva à Fribourg. Le journaliste François Gross (décédé depuis), alors responsable du Téléjournal romand à Zurich, se souvient d’une anecdote concernant la fille de Staline: «Les journalistes croyaient tous qu’elle était quelque part en Suisse centrale, racontet-il. Un soir, j’avais rendez-vous avec Mgr Charrière à l’evêché de Fribourg, qui m’a reçu avec beaucoup de retard, essoufflé et visiblement soucieux. C’était le 27 mars 1967, à 17 h 30 (soit pendant le séjour de Svetlana Allilouyeva à Sankt Antoni, ndlr). Ce n’est qu’après son départ de Suisse qu’il a pu me révéler qu’il était préoccupé, à ce moment-là, de lui trouver un autre lieu d’hébergement discret.» Malgré cela, aucune trace n’est à relever dans la correspondance de l’évêque ni dans les archives épiscopales.
Il y a une autre difficulté que doit gérer le mentor de Svetlana Allilouyeva. En fuyant L’URSS, celleci a de fait abandonné à Moscou ses deux enfants: Joseph, né en 1945, et Iekaterina, née en 1950. Elle cherche à les contacter depuis la Suisse. Antonino Janner se montre compréhensif et, le 4 avril, lui propose de leur téléphoner, moyennant certaines précautions: « Il me conduit en voiture à l’hôtel Murten, près de Fribourg, note la fille de Staline dans son journal. Nous louons un salon avec un téléphone et demandons mon numéro à Moscou, donnant un nom d’emprunt. L’attente ne dure que vingt minutes […] Dans une cage, une pie noire ne cesse de répéter: “Comment ça va?” C’est intenable et nous portons la cage dans le couloir.» Le téléphone sonne en retour et Svetlana Allilouyeva peut parler à son fils pendant une demi-heure. Elle lui répète: « Je ne suis pas ici en touriste, tu comprends? » « Le retour est impossible, tu comprends? » Puis la ligne est coupée. «Janner était ému presque autant que moi.» Le 14 avril, elle réessaie, en vain, de parler
7 à ses enfants depuis le même hôtel. Dans son rapport, Antonino Janner ne mentionne pas ces appels téléphoniques. A-t-il agi de sa propre initiative, sans en informer sa hiérarchie?
Durant son séjour, Svetlana Allilouyeva reçoit, par l’intermédiaire d’une adresse fédérale, de nombreuses lettres de demande en mariage de la part de parfaits inconnus qui lui proposent leur nationalité! Elle s’en amuse. A la mi-avril, elle obtient enfin l’assurance qu’elle partira pour les Etats-unis, avec un vol fixé au 21 avril. Et semble presque déroutée par ce départ annoncé qu’elle a tant souhaité: «Cette brusque décision me surprenait d’autant plus que l’incertitude avait duré aussi longtemps. J’avais eu loisir de parcourir à pied tout Fribourg, d’aller plusieurs fois me recueillir à la cathédrale Saint-Nicolas, de me promener sur le Murtensee, de flâner au bord du lac de Neuchâtel, de visiter le château Gruyère (sic), d’aller à Zurich et à Berne, à Montreux
et à Vevey. Près de Vevey, j’ai pu voir de loin la villa de Chaplin, ce grand acteur et cet humaniste de notre temps.» Parmi ces balades dans différentes
8 régions de Suisse, certaines ont un but bien précis, autre que touristique. En effet, la fille de Staline a rencontré en Suisse des éditeurs, des avocats, et le célèbre diplomate américain George F. Kennan. Au coeur de leurs discussions: un manuscrit qui contient ses souvenirs d’enfance et de jeunesse, toute son histoire familiale, rédigé en 1963 à Moscou et emporté dans sa fuite. Dès le 11 mars 1967, jour même de l’arrivée en Suisse de Svetlana Allilouyeva, Emmanuel d’astier de la Vigerie cherche à la rencontrer rapidement. Un document retrouvé dans les Archives fédérales suisses (AFS) le prouve. Le 15 mars 1967, d’astier lui adresse une lettre en passant par le Conseiller fédéral Willy Spühler. Comme tout le monde, le ministre des Affaires étrangères ignore où est cachée la transfuge soviétique. «Monsieur le Conseiller fédéral, ma femme et moi sommes de grands amis de Svetlana Allilueva dont la quiétude et le repos nous tiennent à coeur. Nous souhaitons que cette lettre lui soit remise et qu’elle puisse, si elle le désire, communiquer avec nous.» La note manuscrite sur le document indique: «Lettre remise le 18.3.67. Confirmer à Mme Blancpain que S. écrira à M. d’astier.» [Signé] «J.» Cette initiale est caractéristique de la signature d’antonino Janner. C’est donc lui qui va se charger de remettre la lettre en mains propres. Quand Svetlana Allilouyeva la reçoit, le 18 mars, elle est cachée dans la maison de repos des soeurs de Saint-canisius à Sankt Antoni, dans le canton de Fribourg. Mais pourquoi Antonino Janner a confirmé à «Mme Blancpain» que S. [vetlana] répondra à Emmanuel d’astier? Tout simplement parce que Bertrande Blancpain, Française d’une grande famille de résistants (les Astier de la Vigerie), est la nièce d’emmanuel d’astier de la Vigerie. Ayant fui la France pendant la guerre, elle s’est réfugiée à Fribourg où elle a épousé Claude Blancpain. Svetlana Allilouyeva a répondu aux sollicitations d’emmanuel d’astier, comme en témoigne son article consacré à la fille de Staline, «Mes journées avec Svetlana Staline» qui paraîtra en mai 1967 dans le mensuel L’evénement, qu’il a également fondé: «Elle nous écrivait à la mi-mars: “Comme c’est intéressant de voir le monde. Pour vous, c’est peut-être difficile de me comprendre. Mais pour les gens soviétiques qui vivent encore isolés du monde, c’est une découverte importante. J’ai vu beaucoup aux Indes, j’ai vu un peu les alentours de Rome, enfin la Suisse”»
Emmanuel d’astier et sa femme, Liouba Krassine, sont alors les seules personnes que Svetlana Allilouyeva connaisse en Europe. Quelques années auparavant (entre 1962 et 1964), le journaliste l’avait rencontrée à plusieurs reprises chez elle à Moscou, souhaitant obtenir de la documentation et l’approbation de la fille du dictateur pour sa biographie de Joseph Staline. Ces rendez-vous ont eu lieu grâce à la femme russe d’emmanuel d’astier: fille d’un révolutionnaire bolchévique, ancien bras droit de Lénine lors des événements de 1905 à Saint-pétersbourg et premier ambassadeur des Soviets pour le commerce extérieur en France et en Angleterre après la Révolution de février 1917, Liouba Krassine avait été une camarade d’école de la mère de Svetlana, Nadejda Allilouyeva.
Le 15 avril, Emmanuel d’astier revoit finalement la fille de Staline en Suisse. Les retrouvailles ont eu lieu dans la demeure de la famille Blancpain, près de Fribourg. A ce moment-là, le départ de Svetlana Allilouyeva pour les Etats-unis était déjà planifié; pour la Confédération, il n’y avait plus aucun risque qu’elle rencontre le journaliste. Un homme se souvient de ces visites: François-dominique Blancpain, le fils de Claude et Bertrande Blancpain, qui vivait alors à Genève. Malgré son jeune âge, 21 ans à l’époque, il s’est retrouvé aux premières loges. «Mon oncle Manny vient nous rendre visite. Il sera accompagné
Chez les Blancpain
d’une amie. Et il y aura aussi mon frère (Jean-annet d’astier, ndlr). Tu dois absolument rentrer», lui annonce sa mère par téléphone. Selon François-dominique Blancpain, cette rencontre a probablement été facilitée par les relations militaires, voire politiques, de son père, Claude Blancpain, officier supérieur de l’armée suisse. Il avait notamment été détaché auprès de la Police fribourgeoise des étrangers pour interviewer les réfugiés politiques et avait probablement travaillé pour les Services de renseignement. « Le connaissant, je suppose que cela s’est passé ainsi: Emmanuel d’astier a téléphoné à ma mère à Fribourg – sa nièce donc – pour lui demander de lui arranger une rencontre avec Svetlana. Ma mère en a parlé avec mon père. Ce dernier a intercédé discrètement auprès de quelques relations à Berne et a obtenu que Svetlana puisse rencontrer Emmanuel d’astier chez nous. Mais c’est bien sûr Emmanuel d’astier qui a provoqué cette rencontre. Il a certainement usé de son prestige pour parvenir à ses fins auprès de ma mère qui lui vouait une grande admiration depuis l’époque de la Résistance.»
Parmi les documents déclassifiés des Archives fédérales suisses figure une simple facture qui atteste des dates de ces visites. Ce document, qui provient de la Police de sûreté du Canton de Fribourg et concerne les frais de séjour de Svetlana Allilouyeva dans le canton de Fribourg devant être remboursés par la Confédération, indique tous les lieux dans lesquels elle s’est déplacée dans le pays – hormis les quelques rencontres secrètes avec des personnages officiels placées sous la supervision du haut responsable de la Confédération Antonino Janner. C’est donc le samedi 15 avril 1967 que Svetlana Allilouyeva s’est rendue dans la demeure de la famille Blancpain, accompagnée du chef de la Sûreté fribourgeoise Louis Chiffelle. Et le mardi 18 avril. Elle est cette fois-ci prise en charge par la Police fribourgeoise, représentée par l’inspecteur Arnold Tinguely. D’après ladite facture, une seconde voiture de police les accompagnait chaque fois. Entre ces deux dates, une autre sortie a eu lieu le 17 avril à Morat-lyss «avec E & B», initiales qui correspondent vraisemblablement à «Emmanuel» (d’astier) et «Bertrande» (Blancpain). François-dominique Blancpain se souvient d’une de ces après- midi: « L’assemblée comptait mes parents Claude et Bertrande Blancpain, Svetlana Allilouyeva, Emmanuel d’astier avec sa femme russe Liouba Krassine, Jean-annet d’astier et moi-même. Il y avait aussi un accompagnateur de la police, qui ne participait pas aux discussions et qui se faisait discret. Hormis son arrivée en voiture avec des gardes du corps, rien ne me laissait supposer qu’elle était une personnalité. D’apparence, elle était plutôt commune. On ne m’avait pas informé de son identité. J’ai compris plus tard que c’était la fille de Staline. Je me souviens qu’elle a passé quelques heures dans le salon. Puis elle s’est promenée dans le jardin. Mon père a pris des photos avec son Rolleiflex. Et il en a donné une partie à Emmanuel d’astier.»
Des photos qui illustreront son article sur Svetlana. Curieusement, l’une d’elles a atterri dans Paris Match (N°942, 29 avril 1967) qui s’est approprié le scoop: «Elle avait disparu depuis six semaines. Nos reporters l’ont découverte dans cette mystérieuse retraite suisse que des dizaines de journalistes recherchaient en vain depuis plus d’un mois et qui était située aux confins du canton de Berne et de Fribourg!» En réalité, personne ne l’avait découverte en Suisse. Aucun reporter n’a pu entrer en contact avec Svetlana Allilouyeva durant son séjour helvétique, hormis le franc-tireur Emmanuel d’astier. Est-ce lui qui a laissé filtrer cette photo avant même de publier son propre article? Même les journalistes suisses accrédités au Palais fédéral n’ont eu droit qu’à une conférence de presse, le 25 avril 1967, pour les informer de la situation réelle de la Russe en Suisse – transfuge du régime soviétique et non pas touriste en cure de santé. Mais c’était quatre jours après son départ pour les Etats-unis! Durant cette conférence de presse, dont le procès-verbal est conservé aux Archives fédérales, Antonino Janner évoque les visites de Svetlana Allilouyeva chez les Blancpain, accompagnée de ses anges gardiens: «La rencontre eut lieu relativement
Le manuscrit de toutes les convoitises
tard, et la maison des Blancpain s’est présentée tout naturellement comme lieu de rendez-vous [...] A Fribourg, deux Messieurs de la Sûreté s’occupaient d’elle et s’efforçaient d’accéder à ses voeux particuliers. Elle les appelait toujours the two nice gentlemen. » Leur identité sera divulguée au mois d’août 1967 par deux journalistes américains, John Kobler et Peter Wyden, du magazine Ladie’s Home Journal. Dans leur article «The real Svetlana Stalin Story», ils révèlent «beaucoup de choses qui n’ont pas été publiées jusqu’ici». En effet, c’est l’enquête la plus complète et informée sur son séjour en Suisse, les journaux helvétiques se montrant beaucoup moins diserts, même après son départ pour les Etats-unis et la levée – très relative – du secret entourant l’«opération Svetlana». Photos à l’appui, ils nomment les deux policiers qui l’ont accompagnée dans la demeure des Blancpain: Arnold Tinguely, 57 ans, surnommé le «détective courtois», et Louis Chiffelle, le chef de la Sûreté fribourgeoise. Les deux reporters ont aussi obtenu une interview d’antonino Janner. De manière un peu comique, celui-ci divulgue certaines de ses «méthodes de James Bond» pour éviter d’être suivi… Les journalistes ont interrogé plusieurs témoins ou acteurs directs. Ainsi, Louis Chiffelle croyait que «quelqu’un pourrait peutêtre essayer de faire taire Svetlana», car rien n’avait été dit publiquement encore au sujet du manuscrit biographique qu’elle avait écrit en 1963 et qui aurait pu contenir des éléments embarrassants sur la famille du dictateur. «Les tentatives de kidnapping ou de meurtre, éventuellement par un groupe extrémiste quelconque, étaient une hypothèse réaliste», confirme Janner.
Cependant, quand Antonino Janner découvre que cet article a été revendu à un magazine européen et à un magazine suisse, il prend la plume pour protester. Il remercie d’abord Peter Wyden, le rédacteur en chef du Ladie’s Home Journal, d’avoir bien interprété le sens et l’esprit de leur entretien. Puis il lui manifeste son mécontentement, en lui rappelant qu’il n’avait accepté, sans grand enthousiasme, cette interview qu’à condition que la parution reste confinée à l’amérique du Nord, dans l’idée que Svetlana Allilouyeva serait ainsi mieux connue dans son pays d’accueil: «Si j’avais su que cette histoire paraîtrait aussi en Suisse, j’aurais dit niet tout court.» Si Emmanuel d’astier de la Vigerie éprouve une profonde amitié pour Svetlana Allilouyeva, il provoque aussi ces retrouvailles pour une autre raison: il veut la dissuader de se rendre aux Etats-unis, il se méfie d’une exploitation politique de son cas et croit que ce pays ne conviendrait pas à sa personnalité. De leur côté, les Renseignements américains le soupçonnent d’avoir d’autres motivations dont ils font part aux autorités suisses. D’après eux, d’astier souhaiterait mettre la main sur le manuscrit autobiographique que Svetlana Allilouyeva a rédigé en 1963 à Moscou et emporté dans sa fuite vers l’occident. Si pour elle, il ne s’agit que d’une confession littéraire, ce document de 80’000 mots suscite des convoitises politiques de part et d’autre du Rideau de fer. Sans conteste, ce recueil représente une opportunité commerciale pour l’éditeur qui en acquerrait les droits en Occident. Imaginez: la fille de Staline, parfaitement inconnue à l’ouest, dévoilant sa vie de famille avec un tel dictateur! «Je ne puis écrire sur ce que je ne connais pas et n’ai pas vu de mes propres yeux», confie Svetlana Allilouyeva dans ce texte. Il ne lui avait fallu que trente-cinq jours pour l’écrire, dans le petit village de Joukovka, près de Moscou, indique-t-elle dans sa préface à l’édition qui paraîtra en anglais sous le titre Twenty letters to a friend (Vingt lettres à un ami) le 2 octobre 1967.
Svetlana Allilouyeva en avait donné quelques copies à des «amis littéraires» et confié l’original à l’ambassadeur d’inde en URSS en lui demandant de le conserver chez lui, à Delhi. Quand elle se rend en Inde, elle récupère son manuscrit et le garde
constamment sur elle. Le 6 mars 1967, alors qu’elle se trouve à l’ambassade américaine avec l’intention d’échapper à L’URSS, le précieux document se trouve dans sa valise. Elle racontera plus tard l’avoir laissé quelques instants entre les mains d’un employé de l’ambassade qui l’a vraisemblablement photocopié et transmis à Washington. D’une façon ou d’une autre, le texte arriva aux Etats-unis un mois avant son auteur, ainsi qu’elle le raconte dans son autobiographie: «Je leur parlai […] de mon manuscrit, que j’espérais pouvoir publier à l’étranger. Je répétais plusieurs fois que j’allais le faire sans faute, quelles que soient les circonstances. J’ai tout de suite dit que ce manuscrit était l’histoire de ma famille et non un document politique. On me demanda de le montrer et on l’emporta dans une autre pièce.» D’après Martha Schad, la biographe de Svetlana Allilouyeva, «six copies furent mises en circulation, consultables par tous les membres du Département d’etat qui lisaient le russe.» Le 10 mars 1967, le secrétaire
9 d’etat américain Dean Rusk en confie la lecture au diplomate George F. Kennan, grand connaisseur de L’URSS, auteur de la fameuse thèse du containment ou «endiguement», cette stratégie de politique étrangère adoptée par les Etats-unis après-guerre qui visait à stopper l’extension de la zone d’influence soviétique au-delà de ses limites atteintes en 1947 et à contrer les Etats susceptibles d’adopter le communisme. George F. Kennan avait servi comme jeune agent à Moscou sous la présidence de Franklin D. Roosevelt, puis comme ambassadeur à Moscou jusqu’à la mort de Staline.
Pour éviter que d’astier ne s’empare du document, les Américains s’emploient sans relâche à acquérir ses droits d’édition. Initialement, un accord secret passé entre le gouvernement suisse et les officiels américains prévoyait que Svetlana Allilouyeva pourrait rester trois mois maximum en Suisse, les Américains s’engageant à trouver une solution dans ce délai. Or George F. Kennan est envoyé en mission secrète en Suisse du 22 au 27 mars 1967. Le choix de ce retraité de l’administration américaine n’est pas anodin: en employant Kennan comme négociateur, le Département d’etat pourra toujours affirmer qu’aucun fonctionnaire américain n’est impliqué dans cette affaire, puisqu’il est un diplomate à la retraite, donnant des cours à l’université de Princeton… En réalité, l’affaire demeure sous le contrôle étroit de l’establishment américain. Le fonctionnaire suisse Antonino Janner le confirme en deux endroits. Dans son rapport: «George F. Kennan ne travaille plus au service diplomatique aujourd’hui, mais entretient des liens très étroits avec le Département d’etat.» Et dans une note secrète du 28 mars 1967 à son supérieur, le Conseiller fédéral Willy Spühler: «Le prof. Kennan a persuadé Svetlana – selon nous à bon escient – qu’elle a besoin d’un avocat comme conseiller et intermédiaire. Il a recommandé un cabinet d’avocats de tout premier plan, établi de longue date à New York, dont le chef (M. Greenbaum) est un vieil ami de Kennan et membre également de la direction de l’université de Princeton.» Kennan, de son côté, s’assure de garder la maîtrise totale du processus en s’octroyant les services de ce «vieil ami» qui dirige le cabinet d’avocats Greenbaum, Wolff & Ernst à New York. Et de ceux de la traductrice chargée de rédiger un résumé en anglais du manuscrit de la fille de Staline destiné aux éditeurs non-russophones, Priscilla Johnson-mcmillan, une informatrice présumée de la CIA d’après des documents d’archives déclassifiés aux Etats-unis en 1993.
Au moins Svetlana Allilouyeva a-t-elle le sentiment d’avoir son mot à dire. Les archives révèlent que de nombreux éditeurs, certains prestigieux et d’autres moins connus, lui ont fait des propositions pour éditer ses mémoires, en livre ou en série: les magazines Life et Stern, par exemple, lui en offrent 500’000 dollars. En France, l’agence de presse Opera Mundi se hâte de manifester son intérêt par télégramme pour la «rédaction et diffusion mondiale des mémoires de Svetlana», en garantissant «une somme élevée à faire valoir sur la moitié des recettes». Loin derrière, avec sa promesse de garantie à 100’000 dollars et une répartition des gains 50/50, l’éditeur
zurichois d’origine hongroise, Ferenczy Verlag… Flairant le bon coup, prêts à mettre la main à la poche, les éditeurs usent de périphrases obséquieuses pour prouver leurs bonnes intentions. Les enchères grimpent! La directrice des Editions Bucher Publishing Company à Lucerne présente une offre «bien au-dessus de 500’000 dollars» au nom de l’éditeur new-yorkais Mcgraw-hill, qui «n’hésitera pas à augmenter encore cette offre» car il souhaite acquérir les droits de toute publication dans le monde entier, tandis que la maison d’édition Bucher se contenterait de gérer les droits pour l’allemagne. De nombreuses autres propositions parviennent à Svetlana Allilouyeva, comme celle du Sunday Times à Londres qui souhaite «qu’elle écrive ses mémoires». Il faut comprendre qu’aucun de ces éditeurs ne sait qu’elle a déjà un ouvrage prêt à être publié. Certains n’y vont pas par quatre chemins: le directeur de la filiale européenne du grand groupe américain The Hearst Corporation se fait insistant, arrose de lettres et de références les autorités suisses, dans l’espoir de décrocher une entrevue. Pour toute réponse, Svetlana Allilouyeva fait parvenir à son avocat new-yorkais une liste d’éditeurs qui lui paraissent intéressants. En fait, l’éditeur a été choisi en amont par George F. Kennan en concertation avec son ami, l’avocat Edward Greenbaum, le New-yorkais Harper & Row qui est aussi l’un des plus gros clients du cabinet Greenbaum, Wolff & Ernst…
Cet interventionnisme américain transparaît dans la note secrète d’antonino Janner: «Concernant le choix d’un éditeur, le prof. Kennan a recommandé à Svetlana de se décider pour Harper & Row, au moins pour l’édition en anglais, et de laisser aux avocats le soin de conclure d’autres contrats pour les publications en d’autres langues.» Quand George F. Kennan est dépêché en mission secrète en Suisse pour «conseiller» la citoyenne soviétique dans ses démarches éditoriales, il sait donc pertinemment ce qu’il veut lui proposer. L’enjeu consiste à lui donner l’impression qu’elle a le choix, sans brusquerie. A vrai dire, il s’agit aussi de la tirer de la situation de clandestinité où elle se trouve en Suisse: aucun pays n’est prêt à lui accorder l’asile politique, quand bien même les Etats-unis se sont engagés auprès des Suisses à trouver une solution. Les deux affaires vont de pair: l’acquisition des droits d’édition de son manuscrit entraînera le règlement de son cas politique aux yeux des gouvernements impliqués dans la guerre froide. Cette condition apparaît très clairement dans le récit que fait Svetlana Allilouyeva de sa première rencontre avec Kennan en Suisse, le 24 mars 1967: «Si je tiens à aller en Amérique, et non dans un pays d’europe, il a déjà un éditeur éventuel.»
10 Le gouvernement américain prépare donc sa venue aux Etats-unis, mais veut s’assurer des intentions de la transfuge et éviter tout impair diplomatique avec L’URSS. Raison pour laquelle la visite de Kennan en Suisse doit passer inaperçue: «En accord avec le Département d’etat, rapporte Antonino Janner, il ne rencontrera que des officiels suisses et évitera tout contact avec l’ambassade américaine.» Afin de ne pas être repéré, il prendra un avion à New York qui atterrira à Milan, puis rejoindra la Villa Serbelloni à Bellagio, dans la province de Côme en Lombardie. Il se rendra ensuite par ses propres moyens à Lugano où Janner le «cueillera» pour le conduire à Cavigliano, commune du Tessin, près de Locarno, afin de mener les premières discussions. Pour le cas où sa présence en Suisse serait découverte, George F. Kennan fait parvenir aux autorités helvétiques une justification écrite en anglais ainsi que le révèle Antonino Janner dans son rapport secret: «Le séjour de Kennan en Suisse dût-il être révélé, il serait maladroit, de son avis et de celui des Américains, de nier le rapport avec Svetlana. Dans ce cas, il ferait une déclaration. » Conservée dans les Archives fédérales suisses, voici sa traduction: «Quand j’ai pris conscience de la situation, j’ai dit au gouvernement américain que je serais prêt à aider, de quelque manière que ce soit, dans la mesure de mes moyens, et cette offre a été acceptée. Svetlana a été consultée et elle a convenu qu’il serait utile pour elle de me rencontrer pour
une discussion à propos de ses plans d’avenir. Je pense que vous connaissez tous suffisamment mon parcours pour en déduire que mes motivations sont purement humanitaires.» Svetlana Allilouyeva n’a en réalité jamais été consultée, seulement informée de l’arrivée de Kennan en Suisse d’après son propre témoignage: «Janner me téléphone comme d’habitude pour me demander de mes nouvelles et me dit qu’il a une bonne nouvelle pour moi: George Kennan arrive la semaine prochaine. Je réponds que je ne sais pas qui c’est. Janner en paraît étonné: Kennan a longtemps vécu à Moscou, il y était ambassadeur des Etats-unis! C’est un grand honneur et une grande chance pour vous de rencontrer cet homme. Il est de ceux qui connaissent le mieux la Russie. Je vous apporterai ses livres.» Svetlana Allilouyeva
11 le rencontre deux jours d’affilée, les 24 et 25 mars. Le 29 mars, elle signe deux procurations conférant tout pouvoir aux avocats américains choisis par George F. Kennan pour traiter des questions relatives à son manuscrit, ainsi que des conditions d’octroi de son visa américain. Le 31 mars, l’avocat Greenbaum, de retour à New York, lui écrit pour lui annoncer qu’il négocie avec l’éditeur «dont il lui a déjà parlé» (Harper & Row). Elle avouera plus tard n’avoir rien compris aux tractations financières et juridiques qui en découlaient. Tout ce à quoi elle aspirait était de ne plus retourner en URSS et d’être libre de publier son ouvrage. La partie n’étant pas encore gagnée pour les Américains, ils envoient en Suisse la traductrice désignée du manuscrit, Priscilla Johnson-Mcmillan, pour rencontrer Svetlana Allilouyeva entre le 9 et le 12 avril 1967.
Les autorités helvétiques, bien qu’embarrassées par ces négociations entreprises par les Américains sur leur territoire, ne s’en mêlent pas. Elles se contentent de jouer un rôle d’intermédiaire, à certaines conditions: Svetlana Allilouyeva est autorisée à négocier librement des contrats d’édition, pour autant que son manuscrit ne soit pas publié en Suisse ni ailleurs avant son départ du territoire helvétique. Les Services spéciaux soviétiques s’en mêlent et tentent de faire pression sur les Suisses: le 31 mars, Alexandre Gratchev, deuxième secrétaire auprès de l’ambassade de L’URSS à Berne, s’entretient avec le colonel brigadier Pierre Musy, chef de la subdivision Renseignements et Sécurité de l’etat-major général suisse. Le gouvernement soviétique préférerait à tout prendre que la fille de Staline obtienne l’autorisation de vivre en Suisse, plutôt que de partir pour les Etats-unis. Il serait mieux encore «que le gouvernement suisse exerce son influence» pour lui faire comprendre que «la seule solution raisonnable, c’est qu’elle rentre en URSS». Car «sa présence prolongée ou définitive dans notre pays serait à même de troubler les bonnes relations qui existent entre L’URSS et la Suisse», rapporte Musy dans une note secrète destinée aux autorités. L’affaire est si sensible que Pierre Micheli, secrétaire général du Département politique fédéral, transmet la note du colonel Musy au chef du département, Willy Spühler, précisant que le colonel n’aurait pas accepté l’entretien avec l’agent soviétique s’il avait su que ce dernier lui parlerait de la fille de Staline. «Le col. brig. Musy n’a en effet jamais eu à s’occuper de cette affaire et est attentif à ne pas se mêler de questions politiques. Il s’est borné à écouter M. Gratchev sans faire de commentaires.»
Les tensions ne s’apaisent que le 14 avril 1967. Ce jour-là, les avocats américains, munis de la procuration signée par Svetlana Allilouyeva, concluent un accord d’édition formel avec l’éditeur new-yorkais Harper & Row. Cette dernière reçoit l’assurance qu’elle pourra s’installer aux Etats-unis. La date de son départ de Suisse est fixée au 21 avril. Plus rien ne s’oppose, du point de vue des Américains, à une rencontre avec Emmanuel d’astier, laquelle aura lieu dès le lendemain. Vingt ans plus tard, dans un livre où elle retrace en détail le cheminement de son manuscrit, elle confirmera ce scénario: «Dès que les papiers importants furent signés, les avocats repartirent pour les Etats-unis. Je fus autorisée à rencontrer Emmanuel d’astier et sa femme, qui attendaient déjà dans la maison de sa nièce,
près de Fribourg » . Certes, elle s’illusionne sur
12 le fait que ses problèmes sont définitivement réglés, car elle n’a reçu qu’un visa touristique de non-immigrant, valable six mois et renouvelable. Ce qui n’est pas synonyme d’asile politique.
Quand Svetlana Allilouyeva rencontre Emmanuel d’astier chez les Blancpain, à Fribourg, l’affaire est donc pliée. Mais ce dernier semble encore nourrir des espoirs comme en témoigne la Russe dans son autobiographie: «Dans les derniers jours, Liouba et Emmanuel d’astier – les seules personnes que je connaissais déjà en Europe – étaient venus à Fribourg. Je suis allée les voir chez leur nièce. Ce fut une réunion bruyante, où l’on parlait à la fois le russe, le français et l’anglais. Le salon était plein de monde, les questions fusaient de toute part, je n’avais pas le temps d’y répondre, car déjà on m’en posait d’autres, oubliant les précédentes, tant il y avait de choses que l’on voulait savoir. Il m’était pourtant clair que d’astier avait déjà un plan tout prêt à me proposer. Ce plan consistait en ceci: ne pas aller aux USA (“vous échangerez une prison contre une autre”), différer d’un an la publication du livre (“en ce moment, cela risque de provoquer une vive réaction de la part du gouvernement soviétique”) et rester en Suisse (“vous pouvez compter sur l’hospitalité de ma nièce”) Je l’en remerciai, mais lui expliquai néanmoins que je voulais, avant toute chose, faire paraître mon livre, que j’avais déjà mon visa pour les Etats-unis et que je me fichais éperdument de la “réaction” du gouvernement soviétique, ayant définitivement rompu tant avec celui-ci qu’avec l’union soviétique en général.» Il n’est donc pas exclu, comme le soupçonnaient les Américains, qu’emmanuel d’astier ait eu en tête de faire éditer le manuscrit sous ses auspices en Europe. Singulièrement, il n’évoque pas publiquement cet intérêt et ne produit qu’une seule phrase sur la question du manuscrit dans son article du mois de mai 1967 où l’on devine la déception: «Peut-être ce premier livre de souvenirs qu’elle a déjà envoyé en Amérique l’a-t-il délivrée?» Son autre souhait, clairement exprimé celui-ci, n’aboutira pas davantage: «Je venais en Suisse pour revoir Svetlana, écrit-il, une amie, une personne, pour la dissuader de se rendre aux Etats-unis.»
Svetlana Allilouyeva a porté un jugement ambivalent sur l’attitude de ses amis français. Dans son autobiographie, elle relève à deux reprises que ses demandes d’assistance à ceux-ci sont restées lettre morte: «J’écrivis à Liouba Krassine, la femme d’emmanuel d’astier que j’avais rencontrée trois fois à Moscou. Je lui écrivis en russe, lui disant que je me trouvais en Inde, que je ne voudrais pas retourner en URSS, et je lui demandais s’il était possible d’éditer le livre à l’étranger […] Un télégramme très bref arriva quelques jours plus tard […] suivi d’une lettre de Liouba en russe me disant qu’elle me comprenait très bien. Sa lettre ne contenait aucun conseil pratique. Pouvais-je me confier à des gens que je connaissais à peine? » Une deuxième réponse la fait rire jaune: «Un télégramme de Liouba d’astier m’attendait: “Serions heureux de vous voir à Paris”. Je ne pus m’empêcher de rire: on pouvait aussi bien m’inviter sur la Lune…» Et elle ajoute, fière: «C’est à Delhi que j’ai moi-même fait le pas décisif. Personne ne m’a aidée ni conseillée, et nul ne savait ce que je faisais.» A ce moment-là, Svetlana Alliouyeva sait déjà parfaitement qu’elle ne confiera pas son manuscrit à Emmanuel d’astier. Cela ne l’empêche évidemment pas d’éprouver de la sympathie pour celui-ci. Mais Emmanuel d’astier n’avait, semble-til, pas les moyens d’aider la Russe à faire choix des circonstances qu’elle ne maîtrisait pas elle-même, jouet d’intérêts internationaux plus puissants.
Selon François-dominique Blancpain, «Emmanuel voulait qu’elle reste en Suisse ou qu’elle vienne en France. Il était convaincu qu’elle se perdrait en allant aux Etats-unis. Comme il avait des bonnes relations avec le général de Gaulle, il avait cru que rien ne s’opposerait à ce qu’elle trouve asile en France. Mais l’opération a échoué.» Il faut dire que George F. Kennan et les avocats américains ont été particulièrement efficaces dans cette affaire, secondés par leurs homologues suisses.