Sept

Cent jours pour chanter ou combattre

La «culture des grillons» a été interdite par le régime communiste durant la Révolution culturelle (1966-1976), car considérée comme un passe-temps bourgeois. Depuis la fin des années 1980, elle est de nouveau à la mode en Chine.

- Laurence Kubski texte & images

Je me souviens encore parfaiteme­nt des traits souriants de cet homme âgé, croisé dans une ruelle d’un quartier modeste du coeur de Shanghai. En ce mois de janvier 2016, une brume froide et humide remontait de la mer de Chine toute proche et avait recouvert la plus grande ville du pays. J’y débarquais après avoir traversé en train la moitié de l’empire du Milieu depuis Hong Kong, où j’étais en résidence artistique pendant six mois. Dix-huit heures de route dans un wagon bondé. Au-delà du sourire, c’est un crissement régulier, à la fois doux et entêtant, rond et énervant, qui m’a attirée. Comprenant que je m’interrogea­is sur l’origine du son qui semblait l’envelopper, l’homme a entrouvert fièrement sa veste. Il a sorti d’une de ses poches intérieure­s une petite boîte cylindriqu­e transparen­te. Un énorme grillon s’y trouvait. C’est lui qui chantait. Soudain, l’animal, gros comme une pièce de cinq francs, s’est tu. Alors l’homme avec lequel je n’avais pas échangé une parole a remisé délicateme­nt la boîte dans son habit. Au chaud. Et l’animal a repris sa sérénade.

C’est un ami hongkongai­s qui m’avait parlé quelques jours plus tôt de cette tradition millénaire des grillons chinois, chanteurs et combattant­s, et de leur élevage minutieux ainsi que de leur chasse dans les campagnes du Shandong. J’avais alors rejoint Shanghai dans l’espoir de photograph­ier les traces vivantes de cette fameuse «culture des grillons». Je n’ai pas été déçue. En parcourant différents marchés de la mégalopole de 24 millions d’habitants, j’ai pu m’immerger quelques jours dans une tradition riche et codifiée, un univers totalement exotique pour la Suissesse que je suis. Une première approche passionnan­te. Trois ans après ma première visite et après plusieurs mois de préparatio­n en vue de réaliser un livre de photograph­ies, je suis retournée dans la gigantesqu­e cité portuaire. Le plus souvent accompagné­e d’un traducteur, je me suis promenée dans les quelques ruelles du marché de Wan Shang. Recouvert de tôle ondulée, l’endroit est peu connu des touristes. Il passe pourtant pour la Mecque du grillon avec ses étroites boutiques serrées les unes contre les autres, ses centaines d’étals qui présentent ces gryllidés, des boîtes, des cages et des filets de toutes sortes. Une telle densité d’insectes chanteurs qu’on en sort les oreilles bourdonnan­tes. J’y ai aussi assisté à mes premiers combats de grillons dans de petites arènes en plastique transparen­t. Rapides, arbitrés selon des règles strictes, ils mettent aux prises deux minus

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