Les dossiers (à charge) de l’écran
Que n’a-t-on pas déjà entendu qui nous vante les mérites et bienfaits des écrans de toute sorte! On voudrait fabriquer une génération de crétins qu’on ne s’y prendrait pas autrement!
Expérience vécue, que les lecteurs de cette chronique ont sans doute déjà connue aussi: au restaurant une famille avec des enfants en bas âge. Pour que les parents aient «la paix», les enfants (de deux à quinze ans) passent tout le temps du repas rivés à leur écran. Il est vrai qu’outre la tranquillité dont ils bénéficient de la sorte, les parents n’ont bien souvent aucune raison de croire que ce temps passé devant un écran nuira au développement et à la santé de leurs enfants: les médias, les pseudo«spécialistes» et «experts» autoproclamés font tout pour les rassurer, allant même jusqu’à leur faire croire que leurs enfants – les soi-disant digital natives – développeront ainsi de nouvelles «compétences» dont ils seraient eux-mêmes dépourvus. Ainsi, ô miracle du numérique, le cerveau humain, qui jusque-là mettait des dizaines de milliers d’années pour se modifier, se verrait en une seule génération fondamentalement transformé. En mieux, naturellement: plus rapide, plus réactif, plus, plus, plus… Il était temps qu’une synthèse rigoureuse vienne, d’un côté démentir les mensonges éhontés dont on nous bassine, de l’autre présenter les résultats des très nombreuses études scientifiques internationales à grande échelle qui démontrent les indiscutables et catastrophiques dégâts que provoque l’usage des écrans pour le développement de cerveaux pas encore formés. C’est chose faite grâce à la récente parution de
de Michel Desmurget. Docteur en neurosciences et directeur de recherches à l’inserm, Michel Desmurget n’en est pas à son coup d’essai dans la démystification: avant d’élargir son champ d’étude aux écrans en général, il avait déjà décrit les nuisances de la télévision sur les enfants dans il y a quelques années.
Le constat qu’il dresse dans ce nouveau livre est effarant. D’abord sur les heures passées en moyenne chaque jour devant un écran par les enfants des pays occidentaux: près de 3 heures dès deux ans, 4 h 45 de 8 à 12 ans et près de 6 h 45 entre 13 et 18 ans! Ensuite sur les conséquences de cette «assiduité numérique»: «sur la santé (obésité, développement cardio-vasculaire, espérance de vie réduite…) sur le comportement (agressivité, dépression, conduites à risque…) et sur les capacités intellectuelles (langage, concentration, mémorisation)» L’auteur commence par démonter le mythe de «l’enfant mutant» et la légende des digital natives. Cette introduction révèle déjà à quel point les médias sont au service de leurs annonceurs publicitaires, fabriquant de la réassurance, voire de la contre-information pour endormir le pékin. Les enfants sont les principaux influenceurs des achats de leurs parents. Capter cette «clientèle» est donc fondamental pour les marques, dans tous les domaines. Et cela passe par la publicité sur les écrans. Desmurget passe ensuite au crible les propos des prétendus «experts» (journalistes, chercheurs, institutions) et leur méthode du cherry-picking, expression anglo-saxonne inspirée d’un comportement normal de consommateur: devant l’étal, on choisit les plus belles cerises.
En d’autres termes, ces «experts» ne retiennent des études scientifiques que les éléments qui les arrangent. Autre méthode de manipulation: les études «boiteuses», iconoclastes, souvent commandées et/ou financées par les marques, qui viennent contredire toutes les autres études sur un sujet, et qui sont brandies comme des vérités. Après cette première partie qui nous permet de comprendre comment, sur quelles bases et avec quelles méthodes la propagande se déploie, la seconde partie est consacrée aux conséquences tous azimuts de cet usage des écrans sur les enfants, schémas et preuves à l’appui. Parfaitement documenté, avec près de huitante pages de notes de renvoi bibliographiques, Desmurget valide tous ses propos et conclusions par les études qu’il a consultées et sur lesquelles il s’appuie. Les schémas qui illustrent les résultats de certaines études sont criants et sans appel. Pour terminer, Desmurget propose sept «règles d’or» pour éviter la lobotomisation de nos chères petites têtes blondes: pas d’écran du tout (quel qu’il soit) avant six ans; après six ans: pas plus de trente minutes à une heure; pas d’écran dans la chambre d’un enfant; pas de contenus inadaptés; pas le matin avant l’école; pas le soir avant de dormir; un seul écran à la fois (pas de tablette à la main pendant que la télé est allumée). Et vous