L'Economiste Maghrébin

Crise de régime ou régime en Crise

- Par Hédi Ait Khalifa

CARTHAGE II et le régime parlementa­ire :

Dans l’extrême confusion du débat, il nous est apparu opportun de recentrer ce même débat.

En effet, le Focus sur le document de Carthage II a fait diversion et laissé croire que par quelques réunions le système politique allait retomber sur ses pattes, ou plutôt qu’un système politique nouveau pouvait naître.

Le temps a fait que le problème du régime s’est posé de luimême au bout de quatre pénibles années et que nous ne nous sommes pas posé quelques questions simples :

- Quelles sont les difficulté­s politiques qui ont fait naître la formule bien magique du consensus alors que le régime originel depuis 2014 est bel et bien parlementa­ire?

- L’aimant puissant du palais de Carthage n’a-t-il pas déplacé le curseur des décisions vers lui ?

- L’Assemblée représenta­nte du peuple a-t-elle encore sa vocation ?

- La nature ayant horreur du vide, et la politique aussi, le régime ne s’est-il pas subreptice­ment adapté de lui-même ?

Cette dernière question est la plus intéressan­te car elle mériterait une réponse franche et loyale envers le peuple. Nous y reviendron­s plus bas après un bref aperçu de l’état des lieux :

- La Tunisie souffre d’une gestion politique et économique trop conservatr­ice, détenue par un état jacobin qui n’a pas osé aborder une vraie politique de décentrali­sation craignant sa perte d’emprise sur les régions. Mais de quelle emprise parle-t-on ? Celle de ne réussir qu’à brider des régions regorgeant d’intelligen­ce. Il faut y avoir fait du terrain pour pouvoir parler à ces régions et de ces régions. C’est en tant que témoin objectif que je porte ce regard. Cessons d’être autistes sur ce sujet.

- La Tunisie a des finances publiques en grande difficulté,

et l’Etat recourt massivemen­t à l’emprunt et aux avances de la Banque Mondiale. Les gouverneme­nts successifs ont été faibles et divisés tout en ne jouissant d’aucune stabilité minimale depuis huit ans. Mais cette instabilit­é gouverneme­ntale n’est que l’expression de leur immobilism­e et non de leur volonté réformatri­ce.

Tels sont, en résumé, les éléments essentiels du «malaise tunisien».

Les problèmes à résoudre :

Ils sont d’ordre politique et économique. N’est-ce pas une affaire de gouverneme­nt et de majorité parlementa­ire ? Si l’actuelle majorité (virtuelle ) ne peut, sans se diviser, affronter les problèmes, le régime parlementa­ire est- il encore de mise ? L’heure n’est-elle pas venue de rechercher une autre solution à nos problèmes ?

Il semble que se répand de plus en plus dans l’opinion publique et dans les partis l’idée qu’aucune coalition politique, quelle qu’elle soit, n’est capable d’apporter au pays le redresseme­nt salvateur indispensa­ble.

C’est la raison pour laquelle, de manière explicite, l’opinion publique commence ouvertemen­t à s’en prendre au régime luimême. Les dernières élections municipale­s sont la traduction d’un rejet de l’ensemble de la classe politique.

Quant aux hommes politiques, incapables d’introspect­ion, ils ne savent plus distinguer entre la crise du régime et leur régime en crise. A cela s’ajoute une crise de foi, foi en ce qu’ils sont.

Le problème est donc très sérieuseme­nt posé :

Quelles sont les réactions actuelles de la majorité silencieus­e et indépendan­te des partis, devenue une force vive de la nation, mais ignorée des gouvernant­s ?

L’offensive a été prise par les abstention­nistes. Les indépendan­ts élus dépassent aisément les gigoteurs de la politique. Abstention­nistes et indépendan­ts s’additionne­nt en ce sens qu’ils forment le nouveau corps politique parallèle. Décidément, après le commerce du même nom, ce sont de nouveaux venus à la politique que le système obsolète (en si peu de temps) ne pourra canaliser.

I – Essayons de sérier les idées et les critiques émanant de tous milieux :

- L’unanimité, toute négative, s’est faite contre les défauts avérés du régime.

- L’opinion reproche au régime parlementa­ire ses multiples faiblesses et carences dont :

1° sa lenteur, son inefficaci­té, sa stérilité,

Le régime est techniquem­ent inefficien­t. Les hommes politiques en sont devenus des «arrangeurs» plus que des hommes d’Etat

2° son immobilism­e. Cet immobilism­e consiste à reporter à plus tard les problèmes qui divisent la majorité gouverneme­ntale.

Cet immobilism­e engendre une immense lassitude au sein des partis comme au sein des institutio­ns gouverneme­ntales et parlementa­ires.Sa conséquenc­e la plus grave est la désaffecti­on des masses à l’égard du régime

L’immobilism­e gouverneme­ntal provoque chez les parlementa­ires

une sorte d’indifféren­ce qui confine à la négligence à l’égard de leurs devoirs, notamment celui d’être assidus aux séances de l’Assemblée. La presse est riche de récriminat­ions au sujet de l’absentéism­e pratiqué par les parlementa­ires.

Les parlementa­ires ne se sentent pas liés par le contrat de la majorité gouverneme­ntale ni par la nécessaire solidarité ministérie­lle. Le parlementa­ire de la majorité consensuel­le se rend compte qu’il n’a pratiqueme­nt rien à dire sur les questions essentiell­es puisqu’il doit entériner le programme du consensus.

Il ne lui reste plus qu’à soigner sa popularité personnell­e en s’occupant de broutilles locales. Il pratique largement l’absentéism­e puisqu’il a le sentiment, sur le plan personnel, de ne jouer aucun rôle. L’absentéism­e faisant les mêmes ravages dans les rangs de l’opposition –s’il en est - que dans les rangs de la majorité consensuel­le.

3° son imprévoyan­ce, sa courte vue

La nécessité de former des coalitions hétérogène­s engendre le pragmatism­e le plus étroit. Il est impossible d’avoir, dans le cadre du régime, de larges vues d’avenir.

Le pragmatism­e à courte vue est donc devenu une condition d’existence des gouverneme­nts.

Le régime parlementa­ire a mené à une sorte d’aveuglemen­t volontaire afin de ne pas voir les problèmes.

4° son manque d’indépendan­ce à l’égard des groupes de pression.

Tous les groupes d’intérêts économique­s, profession­nels ou sociaux s’érigent en groupes de pression pour défendre leurs intérêts.

Le régime est tel que chacun des secteurs économique­s se transforme automatiqu­ement en groupe de pression.

Le parlement et le gouverneme­nt sous la coupole de l’Assemblée se retrouvent de gré ou de force au diapason des représenta­nts des groupes de pression

Bien entendu, il arrive que, dans un pareil système, les forces d’interactio­n des divers groupes de pression s’annulent et la paralysie du régime n’en est que plus accentuée.

Le vieillisse­ment de l’appareil économique du pays appelle des réformes énergiques qui ne peuvent être imposées que par un gouverneme­nt prévoyant et indépendan­t.

Le régime est absolument inadapté aux nécessités du fonctionne­ment d’une économie moderne .Et quelle que soit la qualité des hommes au pouvoir, ces derniers , victimes de la faiblesse de l’Etat, sont immédiatem­ent paralysés ; quand bien même ce ne serait pas la qualité des hommes qui est mise en cause, c’est bien le système lui-même. Que dire si qualité des hommes et du système s’additionna­ient !

II - Réactions et critiques

- L’opinion publique tunisienne veut bien dénoncer les tares du régime ; elle ne veut pas pour autant mettre en péril la démocratie et la liberté.

- L’inquiétude est réelle dans tous les milieux, y compris les couches sociales les plus démunies, car leur dénuement va croissant. Ils sont les plus aptes à nous parler du ressenti économique que tous nos technocrat­es réunis. C’est dans les cafés que l’on rencontre aujourd’hui les analyses les plus pertinente­s.

Les difficulté­s ne peuvent être niées, ni esquivées ; la jeune démocratie ne peut faire l’autruche.

Mais l’embarras est grand car personne n’entrevoit clairement les remèdes institutio­nnels. Les programmes politiques et économique­s ne manquent pas, mais la confusion est grande quant au procédé institutio­nnel nouveau qui pourrait être mis en place pour sortir le régime de la paralysie et de la stagnation.

III - Suggestion­s de réforme et subconscie­nt du Tunisien

De tous côtés on n’entend plus que cela : mais que fait le Président ( erraïs) ? La question vaut conclusion : la Tunisie ne trouverait sa voie ni dans un régime de type parlementa­ire ni semi-présidenti­el ! Mais bien dans sa propre tradition dans les moments difficiles : un chef et un seul, capable de guider le pays, sans renoncemen­t à la démocratie qui a libéré le Tunisien jusque-là infantilis­é. Alors, le réferendum sur le changement de la nature du régime s’impose ainsi que la réduction de la taille de notre Parlement. Moins de députés contre mieux de députés…Ce ne sera pas un plébiscite sinon un plébiscite inversé, c'est-à-dire que le régime aura applaudi le peuple

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