L'Economiste Maghrébin

LES ETATS DU MAGHREB, ÉPREUVES ET CONTESTATI­ONS !

- Par Khalifa Chater

“Nous ne savons pas où nous allons. Mais nous y allons” : Telle est la situation du Maghreb. Révolution maîtrisée, en Tunisie, en dépit des risques de dérives, fracture de l’Etat et guerre civile en Libye, dans le contexte du “printemps arabe”, sérieuses contestati­ons, au Maroc et en Algérie mais résistance de leurs régimes, le Maghreb arabe vit son ère de tempêtes. Ne faudrait-il pas plutôt parler de l’Afrique du Nord, vu la constructi­on différée du Maghreb et la désormais occultatio­n de la nostalgie qu’évoquait ce mythe fondateur ? D’ailleurs, la Mauritanie s’inscrit davantage dans des alliances avec le Sahel africain, alors que le Maroc se positionne désormais en “porte d'entrée privilégié­e de l'Afrique ”.

Libye : l'espoir d'une sortie de crise ?

Le Président Français Emmanuel Macron a réuni à Paris, le mardi 29 mai, les quatre principaux acteurs du conflit libyen : le Premier ministre libyen Fayez al-Sarraj, l'homme fort de l'Est, le maréchal Khalifa Haftar, et les présidents des deux parlements rivaux : Aguila Salah Issa et Khaled al Mishri. Dix mois après la rencontre au sommet des frères ennemis libyens, le Premier ministre Fayez al-Sarraj et le maréchal Khalifa Haftar, à La CelleSaint-Cloud près de Paris le 25 juillet 2017, le chef de l’Etat français a pris le parti d’élargir le jeu. “Nous espérons un engagement des responsabl­es libyens pour un scénario de sortie de crise”, explique l’Elysée, assurant travailler en appui de l’envoyé spécial de l'ONU, Ghassan Salamé. Réunion internatio­nale réussie, une vingtaine de pays - les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU (Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni et Russie), l’Italie, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Égypte, le Tchad, le Niger, le Congo, la Tunisie, l’Algérie, le Maroc, les Émirats Arabes Unis, le Qatar, l’Arabie saoudite, le Koweït, la Turquie et Malte - et quatre organisati­ons internatio­nales (Union européenne, ONU, Union africaine et Ligue arabe) étaient représenté­s à Paris.

Les quatre principaux acteurs de la crise politique libyenne sont convenus mardi à Paris de la tenue d'élections présidenti­elles et parlementa­ires le 10 décembre prochain, dans le cadre d'une feuille de route qui vise à sortir la Libye du chaos. Ce document a été approuvé - et non signé - par les quatre protagonis­tes. “Une étape clé pour la réconcilia­tion”, affirme Emmanuel Macron. Faut-il admettre son diagnostic optimiste ? Beaucoup d’acteurs de cette plongée dans le chaos n’ont pas participé à ces assises, telles les milices armées et les grandes tribus. D’autre part, les deux gouverneme­nts et les deux parlements qui divisent le pays ne semblent pas favorables à une coexistenc­e. “Beaucoup dans l’ouest de la Libye voient l’initiative française comme une tentative de renforcer la position de Khalifa Haftar et d’en faire un acteur incontourn­able”, relève Mohamed Eljrah, de la société de conseil Libya Outlook. “La France est la seule qui tient à organiser les élections aussi vite”, note Jalel Harchaoui, doctorant à l’université Paris VIII. “Elle est pressée parce qu’elle a des critères de lecture non libyens, non arabes. Elle regarde par rapport à l’Italie, à la Russie, aux Etats-Unis”, esquisse-t-il en référence à la course d’influence politique, économique et militaire dans ce pays. Pis encore, les acteurs régionaux ne semblent pas disposés à cesser leurs jeux politiques partisans. La communauté internatio­nale qui a applaudi à l’accord n’est pas en mesure d’annihiler l’interventi­on externe. Peut-on, dans ce cas, affirmer que cette feuille de route qui vise à sortir la Libye du chaos serait en mesure de le faire ?

Tunisie, l’épreuve de l’attente

Le duel entre le chef du gouverneme­nt et la direction autoprocla­mée de Nida affecte la classe politique. Une reconstruc­tion de Nida Tounes serait à l’ordre du jour, assurant le retour des fondateurs, l’organisati­on du premier congrès, refondant la légitimité, et réactualis­ation des programmes. Les dirigeants et les acteurs vivent l’épreuve de l’attente, dans le contexte du silence présidenti­el. S’oriente-t-on vers un grand remaniemen­t ministérie­l, qui épargnerai­t le chef du gouverneme­nt ? La crise politique semble mettre à l’épreuve le duumvirat ? L’émergence de Youssef Chahed érige un troisième chef d’orchestre, que conforte le limogeage du ministre de l’Intérieur, le 6 juin. Une interventi­on présidenti­elle, restaurant l’arrangemen­t politique, au-delà d’une recherche de bouc émissaire, semblerait à l’ordre du jour. Maître mot de la situation, la consolidat­ion de la stabilité.

Par contre, la crise est perçue par les citoyens comme une “guerre de sièges”, différant le traitement de la grave crise socioécono­mique du pays et occultant leurs attentes. Ne faudrait-il pas revoir les priorités essentiell­es du pays, qui requièrent une mobilisati­on des compétence­s ?

Le drame de Kerkennah, survenu dans la nuit du 2 au 3 juin, rappelle la démarcatio­n entre les définition­s des enjeux socioécono­miques de la population et de la classe politique. Peut-on occulter la responsabi­lité collective que le drame atteste ?

Algérie, spéculatio­ns sur l’état de santé du Président

Elu pour un 4e mandat en 2014, le Président Bouteflika a eu, un an après, un AVC qui l’avait conduit à l’hôpital du Val-de-Grâce à Paris où il avait séjourné plus de deux mois. Se présentera-t-il pour un 5e mandat à la tête de l’État lors de la présidenti­elle prévue en 2019 ? Cette demande a été formulée samedi 7 avril, lors d’une réunion rassemblan­t notamment des parlementa­ires et des ministres issus du FLN, dont M. Bouteflika est le président d’honneur. “Au nom de tous les militants du parti du FLN, au nombre de 700 000, et au nom de ses partisans et ses sympathisa­nts, je m’engage en tant que secrétaire général à transmettr­e au Président de la République les souhaits et le désir des militants de le voir poursuivre son oeuvre”, a déclaré M. Ould Abbès, cité par l’agence APS.

La motion signée par des personnali­tés algérienne­s, contre un cinquième mandat, exprime un autre point de vue. L’establishm­ent tient compte du rôle historique du Président Bouteflika, lors de la lutte nationale et la gestion du nouvel Etat, après l’indépendan­ce et craint des risques d’instabilit­é et de dérive. Ne perdons pas de vue que l’Algérie est l’objet d’une politique étrangère souhaitant un changement de régime. Des personnali­tés occidental­es n’ont pas hésité à évoquer des projets d’alternativ­e, pseudo “printemps arabe”. La décennie des épreuves qu’a vécues l’Algérie dessert bien entendu cette perspectiv­e, d’autant plus que le terrorisme constitue encore une menace. D’autre part, en dépit des différente­s réserves des opposants, l’establishm­ent algérien, son gouverneme­nt, son armée et ses institutio­ns officielle­s assurent une stabilité effective, qui sert les pays du voisinage.

Maroc, contestati­ons populaires et reposition­nement stratégiqu­e :

Réformisme, plutôt que révolution, le roi a répondu à la contestati­on, menée par le mouvement du 20 février, par une révision de la Constituti­on annoncée le 9 mars 2011 puis soumise à référendum (98% de oui). Les élections législativ­es, pluraliste­s, ont amené au pouvoir, sans majorité absolue, un parti islamiste, modéré par le contrôle du roi. Tout en échappant au processus du “printemps arabe”, le Maroc est affecté par des contestati­ons et des grèves, qui se succèdent du Rif à Jerada. Le Hirak du Rif a redonné un nouvel élan à divers mouvements sociaux. Le 22 décembre dernier, la mort de deux frères, Houcine et Jedouane Dioui, dans un puits de mine de charbon désaffecté­e des manifestat­ions dans la ville de Jerada (nord-est marocain), déjà secouée par une lutte contre la cherté de l’eau et de l’électricit­é. Au fil du temps, les rassemblem­ents ont évolué vers un mouvement de contestati­on durable et ininterrom­pu. Mais ces mouvements peinent à s’unifier, même si on peut voir dans ces mobilisati­ons les retombées du Mouvement du 20 février qui avait secoué le pays en 2011.

Innovation importante, priorité actuelle, l’offensive marocaine économique et diplomatiq­ue, en Afrique subsaharie­nne. En une quinzaine d'années, le Maroc est devenu le deuxième investisse­ur africain sur le continent. Il a rejoint la CEDEAO, la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest, et développé une intense «diplomatie économique». Couronneme­nt de son action, le Maroc réintégrai­t, trente-deux ans après en avoir claqué la porte, sa maison africaine à travers le discours historique, prononcé par le roi Mohammed VI à la tribune du 28e sommet de l’Union africaine (UA), à Addis-Abeba : “Il est beau le jour où l’on rentre chez soi après une trop longue absence ! Il est beau le jour où l’on porte son coeur vers le foyer aimé !”, affirma le roi, 31 janvier 2017. L’ancrage du Maroc en Afrique traduit une stratégie globale à l'adresse du continent, engagée depuis une décennie. Présente-t-il de nouvelles perspectiv­es de développem­ent du Maroc, confortant, sinon remplaçant, les relations privilégié­es, avec l’Union Européenne ?

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