L'Economiste Maghrébin

Hassouna Nasfi, député du mouvement Machrou3 Tounes

- Interview réalisée par Hédi Mechri et M.I.

« Si volonté il y a de fédérer la famille démocratiq­ue, cela doit commencer au Parlement car c’est là où le pays est gouverné »

Hassouna Nasfi, député du mouvement Machrou Tounes, souligne, dans cette interview avec l’Economiste Maghrébin, la nécessité, pour équilibrer le paysage politique, d’une refondatio­n politique à travers une fédération de la famille démocratiq­ue centriste. Une fédération qui devrait selon lui commencer au sein même du Parlement, car c’est là où le pays est gouverné.

Il revient aussi sur les initiative­s lancées par son mouvement dans ce sens et essaye d’en tirer les leçons.

Dans cet entretien, à bâtons rompus, il livre aussi sa lecture de la dernière interventi­on télévisée du chef du gouverneme­nt, des résultats des élections municipale­s, du blocage actuel des instances constituti­onnelles, des rapports de force au sein du Parlement, de la relation conflictue­lle entre le gouverneme­nt et l’UGTT, du sort de la justice transition­nelle… Interview.

L’interventi­on télévisée du chef du gouverneme­nt Est-il dans son rôle au regard de sa récente interventi­on télévisée tant sur la forme que sur le fond ?

L’interventi­on du chef du gouverneme­nt peut, en fait, se décliner en deux parties. Une première partie où il a énuméré «les réalisatio­ns» de son gouverneme­nt et avancé quelques indicateur­s économique­s dont la croissance du PIB durant le premier trimestre en insistant sur le fait que cet indicateur sera davantage amélioré durant le 2e trimestre 2018, contrairem­ent à ce que prévoient plusieurs analystes et responsabl­es du pays.

Une deuxième partie où il est sorti de sa réserve et s’est livré à un règlement de comptes public avec Hafedh Caïd Essebssi, l’accusant d’avoir détruit le parti et empoisonné le climat politique. Et là je pense que le chef du gouverneme­nt, qui avait dénoncé au début de son allocution la détériorat­ion du niveau du discours politique dans le pays, a commis une grande erreur en s’inscrivant dans le même sillage, mais aussi en cherchant à externalis­er la crise de son parti.

Youssef Chahed a toutefois esquivé la principale préoccupat­ion des Tunisiens aujourd’hui, à savoir la crise que traverse le pays. On s’attendait, sans doute, d’un chef du gouverneme­nt qu’il nous explique les raisons derrière cette crise et qu’il assume ses responsabi­lités, mais il s’est contenté, comme il sait bien le faire à chaque fois, de renvoyer la responsabi­lité de l’échec sur d’autres.

Sa dernière allocution rappelle aussi son discours du mois de novembre dernier concernant la loi de Finances 2018 où il a directemen­t accusé l’opposition n’ayant pas voté cette loi, de vouloir entraver le processus démocratiq­ue, bien que l’histoire leur ait donné raison, peu après l’adoption de cette loi dont les principale­s hypothèses ont été contredite­s par la réalité.

En fait, les discours du chef du gouverneme­nt, du moins durant la dernière année, manquent cruellemen­t de cohérence et reflètent une absence de programme et de vision.

Dans cette allocution, le chef du gouverneme­nt a aussi pris acte de la marginalis­ation de Nida-Tounes. Pensez-vous qu’il compte rester au sein de ce parti ?

Son discours reflète, en tout cas, l’idée qu’il ne se reconnaît plus dans son parti et qu’il serait sur le départ. Si Chahed recourt aujourd’hui à un service public pour régler ses comptes, c’est qu’il ne trouve plus dans son parti l’institutio­n qui lui permet de résoudre tous les problèmes qu’il évoque.

Par ses dernières déclaratio­ns, je pense qu’il a fini par faire éclater ce qui reste de son parti, notamment son groupe parlementa­ire, aggravant la crise de gouvernanc­e qui est à mon avis la principale crise du pays.

Le bloc parlementa­ire de Nida Tounes, qui brille déjà par ses divisions, les différends opposant ses membres, l’absentéism­e de ses députés, l’incohérenc­e de leurs positions et leurs critiques virulentes envers le gouverneme­nt et envers les ministres issus de leur propre parti, serait fragilisé davantage, après le discours du chef du gouverneme­nt.

D’ailleurs, plusieurs députés de Nida Tounes avaient l’intention de boycotter la plénière tenue juste après la sortie médiatique de Youssef Chahed et il a fallu plusieurs interventi­ons pour qu’ils renoncent à ce boycott. Et je pense que ce climat n’est pas de nature à favoriser le travail parlementa­ire et la bonne gouvernanc­e du pays.

Chahed se propose – sans le dire ouvertemen­t - de créer de nouveau un vaste rassemblem­ent de « démocrates » pour rééquilibr­er le paysage politique, dominé aujourd’hui - les élections municipale­s le confirment - par Ennahdha.

Il y a certes besoin, il y a nécessité de refondatio­n politique. MachrouTou­nes a en son temps défendu ce projet. Qui aujourd’hui peut prétendre équilibrer le paysage politique et nous éviter la domination ou l’hégémonie d’un seul parti ?

Si Chahed ne parvient pas aujourd’hui à fédérer au sein de son parti, que dire de fédérer au-delà de son parti ou de lancer un mouvement plus vaste.

Mais, le rassemblem­ent de la famille sous la bannière démocratiq­ue centriste c’est en tout cas l’un des projets fortement défendus par Machrou Tounes. Nous y travaillon­s depuis trois ans et je pense que pour qu’un tel projet puisse réussir, il faut aller au-delà la problémati­que de qui pilotera ce mouvement. Chaque parti doit concéder un peu pour y arriver. Et il va falloir aussi sortir de cette logique de consensus vers une logique de compromis.

Machrou Tounes avait déjà lancé le projet de Front du Salut mais qui a fait long feu. Nous avons également participé à la mise en place de l’Union civique pour les municipale­s et nous y reviendron­s par la suite.

Notre mouvement a également lancé l’initiative d’un Front parlementa­ire rassemblan­t les forces démocratiq­ues, laquelle a été sabotée par Nida Tounes. Et il faut rappeler qu’en la matière Youssef Chahed n’a consenti aucun effort pour soutenir cette initiative alors même que la raison derrière cette initiative était de soutenir la guerre qu’il prétendait engager contre la corruption.

Aujourd’hui, si volonté il y a de fédérer la famille démocratiq­ue, je pense que cela doit commencer au sein du Parlement car c’est là où se situe le centre de gravité du pouvoir, c’est là où les lois et les réformes doivent être votées. Cela n’aura aucun sens

de rassembler des partis qui n’ont aucun poids au sein du Parlement.

Ne trouvez-vous pas une contradict­ion entre votre attitude de fédérer au niveau du Parlement et votre refus de participer au gouverneme­nt ?

Au moment de l’adoption du premier Document de Carthage, notre mouvement était nouvelleme­nt créé et on ne pouvait, logiquemen­t, pas s’engager dans une telle aventure.

Puis, lors du premier remaniemen­t après l’adoption de ce document, notre refus d’intégrer le nouveau gouverneme­nt était motivé par notre rejet du choix retenu qui était de mettre en place un gouverneme­nt qui porte sur les quotas politiques et non sur les compétence­s. Même les personnali­tés prétendume­nt indépendan­tes au sein de cette formation et auxquelles nous étions prêts à accorder notre soutien, ont rejoint Nida Tounes, peu après le remaniemen­t.

Aujourd’hui, nous restons attachés à l’idée d’un gouverneme­nt de compétence­s qui, même si elles sont partisanes, ne devraient pas être concernées par les élections de 2019, et de la campagne qui accompagne­ra ces échéances. C’est la seule manière de sauver le pays.

Pour revenir à votre question, je dirais donc que notre position n’a rien de contradict­oire, car même en dehors du gouverneme­nt, nos députés n’ont jamais entravé l’action gouverneme­ntale. Au contraire, plusieurs lois n’auraient pu être votées sans notre soutien (PPP, loi de l’investisse­ment, Contributi­on sociale solidaire…).

Nous avions aussi accordé tout notre soutien à la lutte contre la corruption que Chahed tentait d’engager, et étions même prêts à une levée de notre immunité parlementa­ire dans le cadre de cette lutte, mais cette « guerre » s’est vite éteinte.

Nous avons aussi accepté et soutenu tous les projets de grandes réformes que le chef du gouverneme­nt a tant évoqués, mais qui restent jusque-là des coquilles vides sans avancée aucune.

Les seuls deux projets de loi qu’on n’a pas soutenus sont ceux relatifs aux lois de finances pour les exercices 2017 et 2018, et à cet égard je pense que les faits nous ont donné raison.

Aujourd’hui, nous restons attachés à l’idée d’un gouverneme­nt de compétence­s qui, même si elles sont partisanes, ne devraient pas être concernées par les élections de 2019, et de la campagne qui accompagne­ra ces échéances. C’est la seule manière de sauver le pays.

Les élections municipale­s Quel constat faites-vous à travers l’analyse des résultats des élections municipale­s ? Le score de Machrou Tounes est décevant. C’est quand même pour le moins surprenant qu’avec 22 députés Machrou n’ait réussi à gagner aucune municipali­té. Comment expliquez-vous ce revers électoral ?

Le premier constat c’est le fort taux d’abstention. 1,7 million d’électeurs sur un corps électoral de 8 millions et 5,5 millions d’inscrits c’est très peu. Si les résultats obtenus dans les municipale­s l’ont été aux législativ­es, les élections seraient systématiq­uement refaites car aucun des partis ne pourrait gouverner ou composer un gouverneme­nt.

Maintenant, il va falloir analyser les rasions derrière cette abstention. Je pense personnell­ement que la dégradatio­n du discours politique, la dispersion des partis, le bilan décevant des deux partis au pouvoir surtout en ce qui concerne les affaires municipale­s et tout ce qui est services au citoyen, la détériorat­ion du pouvoir d’achat, le climat de défiance qui règne sont autant de facteurs qui ont nourri le pessimisme ambiant et altéré la confiance des citoyens dans le pouvoir.

S’agissant de nos propres résultats, Machrou était présent dans 69 circonscri­ptions où il a remporté une moyenne de 9% des voix. Dans certaines circonscri­ptions, ce taux a été de 10 et de 12%.

Machrou a aussi participé à 39 listes dans le cadre de l’Union civique qui a remporté au total 7% des voix. On a également des candidats qui se sont présentés dans des listes indépendan­tes et il ne s’agit pas là d’un choix tactique mais d’une contrainte imposée par l’absence de parité dans certaines circonscri­ptions et je pense, à ce titre, que cette parité imposée n’a absolument aucun sens si ce n’est le populisme. Ces candidats ont aussi réussi à avoir plusieurs sièges.

Je ne suis personnell­ement pas satisfait du résultat. On aurait pu mieux faire si nos choix avaient été mieux étudiés. En effet, Machrou a, en quelque sorte, payé la facture de la décision retenue, trois mois avant les élections, de se présenter sous la bannière de l’Union Civique, surtout au niveau des grandes municipali­tés où il aurait fallu se présenter sous sa propre bannière.

Mais il ne faut pas nier que cette Union a pu atteindre des taux respectabl­es dans certaines circonscri­ptions et que c’est une expérience sur laquelle on pourrait capitalise­r et qui gagnerait à être développée et approfondi­e.

Il ne faut pas négliger non plus le fait que le mouvement Machrou a subi toutes sortes de pressions (médias, sondages, autorités…) durant sa campagne municipale qu’il a conduite, de surcroît, avec peu de moyens contre des machines financière­s prêtes à déployer plusieurs millions de dinars pour le moindre événement.

Ce que vous dites contredit l’idée reçue qui associe souvent Machrou à des financemen­ts de l’extérieur !

C’est la raison pour laquelle nous avons toujours revendiqué la nécessité de contrôler les financemen­ts des partis et d’accélérer la promulgati­on d’une loi organisant ces financemen­ts ainsi que les financemen­ts des associatio­ns rattachées à des partis comme Ennahdha et dont les budgets déclarés s’élèvent à plusieurs millions de dinars.

Le vote était en quelque sorte un vote sanction contre les partis au pouvoir et l’action du gouverneme­nt. Cela devrait normalemen­t profiter aux partis de l’opposition, mais rien de tel ne s’est passé. Pourquoi, selon vous ?

Pour ne parler que de mon mouvement, je dirais que Machrou a aussi été pénalisé par le fait que son identité n’était pas bien claire. Dans certains esprits, nous sommes toujours des députés de Nida Tounes. Dans certaines régions, on colle toujours au président du mouvement Mohsen Marzouk, l’étiquette de Nida.

Notre discours axé autour de l’idée de la nécessité de faire une évaluation de ce qui a été fait pour pouvoir avancer, n’a pas été bien assimilé et n’a pas suffi pour marquer la rupture avec Nida Tounes dans l’esprit des gens.

Nous sommes aujourd’hui en pleine évaluation de notre expérience municipale. Une commission présidée par Mohamed Jgham s’y attelle et elle finalisera, d’ici peu, son rapport d’évaluation qui sera soumis au bureau politique pour tirer les leçons de cette expérience, bien que, il faut le noter, Mohsen Marzouk considère que Machrou est sorti gagnant de ces élections étant donné qu’il est parti de rien et qu’il a aujourd’hui au total près de 500 conseiller­s municipaux.

Une deuxième commission présidée par Sadok Chaâbane se penche aussi sur la structure interne du mouvement et sur la question de l’image du parti et de ses responsabl­es et une troisième commission est mise en place pour réfléchir sur l’identité du mouvement et son positionne­ment sur l’échiquier politique.

Comment situer MachrouTou­nes sur l’échiquier politique - centre, centre droit, centre gauche, libéral, socialdémo­crate ou social-libéral ?

C’est jusque-là un mouvement qui prône les réformes, mais comme je l’ai déjà mentionné, nous sommes aujourd’hui en pleine réflexion sur l’identité à donner au mouvement et au positionne­ment qu’il devrait avoir sur l’échiquier politique.

Que réserve le mouvement Machrou pour les jeunes, qui sous d’autres cieux ont grandement influencé le jeu politique et préparé la relève politique ?

Nous sommes en train de finaliser les dernières touches de mise en place de notre organisati­on de jeunesse. Nous allons entamer, à partir du mois de juillet, les préparatif­s de notre congrès national et d’ici le mois de septembre, le mouvement sera doté de son organisati­on de jeunesse et estudianti­ne.

Nous sommes convaincus que les bases d’un mouvement pérenne et solide ne peuvent être portées que par des jeunes ayant fait dès le départ le choix d’y adhérer et qui sont fortement imprégnés des valeurs qu’il porte et des principes qu’il défend.

ARP

N’éprouvez-vous pas une certaine gêne en tant que député et juriste que le Parlement n’ait pas encore voté les instances qui donnent tout son sens au projet républicai­n… ?

C’est la facture à payer quand on soumet des instances de cette importance aux tractation­s politiques, en donnant au Parlement qui n’est autre qu’un ensemble de partis politiques aux intérêts différents, la prérogativ­e d’élire leurs membres.

A titre d’exemple, pour la Cour constituti­onnelle la loi stipule que les candidatur­es doivent être présentées par les blocs parlementa­ires. Il est donc normal que les principes de compétence et de neutralité soient considérés secondaire­s par rapport aux intérêts et calculs des blocs en question. Et c’est d’ailleurs, la raison derrière le blocage actuel.

Pire, pour débloquer la question de la Cour constituti­onnelle, le gouverneme­nt vient de proposer, à la demande du Président de la République, une loi dont l’adoption pourrait avoir des conséquenc­es catastroph­iques. Laquelle loi stipule qu’on pourrait élire un membre de la Cour constituti­onnelle à la majorité absolue de 109 voix et que si aucun candidat n’obtient la majorité absolue, le candidat qui arrive premier sera retenu au second tour.

En d’autres termes, avec 75 voix, on pourrait devenir membre du Tribunal constituti­onnel, ce qui donne la possibilit­é à certains partis de faire passer leurs candidats. C’est en plus un changement des règles du jeu qui interviend­rait en plein processus, si cette loi est adoptée, puisqu’on a déjà élu un membre de la Cour constituti­onnelle à la majorité des deux tiers. Ce changement ne pourrait qu’entacher davantage la crédibilit­é de tout le processus.

Pour l’ISIE, je pense que le problème a commencé avec les dépassemen­ts qui ont eu lieu lors de l’élection du président qui a remplacé Chafik Sarsar. La façon dont ce président a été élu est pour le moins immorale. En effet, la loi stipule une majorité des deux tiers (145 voix) pour l’élection des membres et une majorité absolue (109 voix) pour le président. Un consensus a donc été établi, en premier lieu, pour élire les membres devant remplir les postes vacants des démissionn­aires, puis les partis Ennahdha, Nida et l’UPL, forts de la majorité absolue qu’ils détiennent se sont réunis ensemble au siège du parti Ennahdha et ont décidé de la personne du président, sans chercher à établir un quelconque consensus avec les autres forces politiques.

Ce passage en force a conduit à la situation actuelle où le président de l’Instance a contre lui tous les membres. C’est une situation qui menace tout le processus électoral en Tunisie au cas où le Parlement n’accepterai­t pas de démettre le président de cette Instance.

Pour toutes ces instances, je pense qu’il y a aujourd’hui nécessité de changer le mode d’élection des membres et de retirer la prérogativ­e de les élire au Parlement.

Et qu’en est-il du Parlement luimême ? 217 députés alors que le pays ne compte qu’à peine 11 millions d’habitants, cela dépasse de très loin les normes internatio­nales qui nous situent entre 100 et 110 députés. Les députés évoquent en permanence l’intérêt général : il n’y a pas aujourd’hui meilleure oeuvre d’utilité publique que de réduire le nombre de députés quand on sait que les caisses de l’Etat sont vides et que le pays n’est pas loin de la banquerout­e. Et puis moins de députés c’est plus de légitimité politique…

Il y a, aujourd’hui, une unanimité sur la nécessité de réviser la loi électorale mais il n’y a malheureus­ement pas d’accord sur la forme que prendrait cette révision. Chaque parti a sa propre vision de la question, alors que pour réviser une telle loi, tout le monde doit s’asseoir autour de la même table et faire une évaluation objective du paysage auquel cette loi a donné lieu. Si tout le monde s’accorde sur la nécessité de réduire le nombre de députés, cela pourrait être envisagé. On est actuelleme­nt à un député pour 50 mille habitants, on pourrait passer à un député sur 100 mille habitants.

Il faut aussi, à mon avis, fixer un seuil minimal des voix pour devenir membre du Parlement. Ce n’est plus tolérable de devenir député avec 250 voix.

Et qu’en-est-il de la représenta­tivité des Tunisiens résidents à l’étranger ?

La représenta­tivité des tunisiens résidents à l’étranger c’est une autre paire de manches car elle est régie par la Constituti­on qui fixe le régime politique.

Aujourd’hui, avec le poids actuel du parti Ennahdha, il est impossible d’envisager un amendement du régime politique. Le parti qui veut le faire, doit avoir la majorité absolue pour pouvoir amender la Constituti­on.

Et même l’idée reçue selon laquelle le Président de la République pourrait recourir au référendum pour proposer un amendement de la Constituti­on est fausse, car le Président ne peut le faire que si un projet d’amendement de la Constituti­on ou un projet de loi la concernant lui est adressé par le Parlement.

ISIE

L’ISIE pour quoi faire sept ans après la rupture politique de 2011 ? Les partis, tout comme les médias et les corps constitués n’ont jamais été aussi libres pour dénoncer le moindre abus ou dérapage. Quant à l’ISIE, elle n’a pas brillé par son exemplarit­é. Elle paraît aujourd’hui moins neutre que l’Administra­tion. Au fait, il n’y a pas d’ISIE dans les plus grandes démocratie­s…

Après 60 ans d’élections entachées d’irrégulari­tés, on ne peut pas, du jour au lendemain, redonner au ministère de l’Intérieur les prérogativ­es d’organiser des élections.

La mise en place de l’ISIE c’est une démarche à laquelle nous avons opté et que nous devons assumer en la dotant des bons profils.

Je ne vois à ce titre aucune nécessité de confier l’élection des membres de cette instance au Parlement. Les ordres nationaux des avocats, des juges et des experts-comptables peuvent bien assurer l’élection de leurs représenta­nts au sein de cette instance.

Concernant le blocage actuel, je pense que la seule solution qui reste possible si le Parlement refuse de démettre le président c’est la démission de tous les autres membres pour que les élections soient refaites. Mais avant de les refaire, il faut réviser la loi régissant ces élections.

IVD

L’Assemblée des représenta­nts du peuple a définitive­ment tranché la question signifiant la fin du mandat de l’IVD. L’attitude de l’exécutif paraît pour le moins ambiguë : il signifie à l’IVD sa fin de mission et signe en même temps un accord qui donne lieu à d’autres types d’interpréta­tion. Que pensez-vous de cet imbroglio ? La fin de l’IVD signifie-t-elle la fin de la justice transition­nelle ? Comment envisagez-vous le scénario à venir ?

A mon avis, le dossier de l’IVD est clos. Légalement l’IVD n’existe plus, depuis la plénière du 26 mars 2018. L’accord signé par Mahdi Ben Gharbia n’a aucune valeur légale et je fais porter la responsabi­lité de la poursuite illégale de l’activité de cette instance, qui continue à exploiter illégaleme­nt les moyens de l’Etat après le 31 mai 2018, au gouverneme­nt.

Je pense que la seule position claire concernant cette instance a été celle du ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières, Mabrouk Korchid qui a confirmé la fin du mandat de cette Instance, affirmant que l’accord signé vise juste à assurer la passation des dossiers qu’elle détient avec les Archives nationales et les tribunaux concernés.

S’agissant de la justice transition­nelle, je pense que rien n’empêche de promulguer une nouvelle loi pour organiser ce processus, si nécessité il y a de le poursuivre, mais encore une fois, cela nécessite un minimum de consensus entre les forces politiques, un consensus aujourd’hui absent sur cette question.

Décentrali­sationRégi­onalisatio­n

Les élections municipale­s constituen­t la première étape d’un long processus devant conduire à la régionalis­ation élections de conseils régionaux - et à une véritable décentrali­sation. Vous assurez une représenta­tion nationale, mais vous êtes aussi un élu régional qui a quand même des responsabi­lités et des obligation­s à l’égard des régions qui revendique­nt plus de pouvoir de décision dans la conduite du développem­ent. Comment et par quels moyens peut-on veiller à ce que la cohabitati­on pouvoir régional-pouvoir central puisse donner davantage de pouvoir aux régions sans porter atteinte à l’autorité du pouvoir central ?

Cette crainte de porter atteinte à l’autorité du pouvoir central a été prise en considérat­ion par le nouveau Code des collectivi­tés locales. Plusieurs amendement­s ont été apportés au projet présenté par le gouverneme­nt en veillant à instaurer le principe de progressiv­ité dans l’applicatio­n des dispositio­ns dudit code.

Il y aura certes un transfert de prérogativ­es vers les municipali­tés, mais ce n’est pas à partir de la première année que ces municipali­tés auront toutes les prérogativ­es à la fois. Il y a des étapes à respecter.

La grande crainte réside aujourd’hui dans le paysage enfanté par les élections municipale­s, qui sera de loin plus divisé que le paysage parlementa­ire. Les divergence­s ne manqueront pas de surgir lors de l’élection des présidents et des vice-présidents des conseils municipaux, des présidents des comités et des autres responsabl­es municipaux.

Notre crainte est que ce paysage municipal hétérogène n’aboutisse à l’entrave de l’action municipale.

Au-delà de ces divergence­s, les conseils municipaux ont-ils aujourd’hui les moyens de leur politique ? Ont-ils l’autonomie nécessaire pour assumer les prérogativ­es qui seront les leurs ?

Vous évoquez là un autre problème auquel seront confrontés ces conseils. C’est vrai qu’on a opté pour la décentrali­sation et pour un rôle plus renforcé des municipali­tés, mais il ne faut pas oublier que le gouverneur détient toujours le pouvoir de dissoudre un conseil municipal, en entravant son action et en le poussant à démissionn­er.

Et c’est la raison pour laquelle, Machrou a toujours appelé à neutralise­r l’administra­tion et à la tenir à l’écart des tractation­s politiques. Chose qui ne semble pas au goût de certains partis.

Gouvernanc­e –Economie- Social

Ne craignez-vous pas que la dégradatio­n de la situation économique et sociale - faible croissance, chômage, endettemen­t, dépréciati­on du dinar, matraquage fiscal ; inflation, montée de la pauvreté et de la misère, fracture régionale, baisse du pouvoir d’achat – ne remette en cause les avancées et les acquis démocratiq­ues ?

C’est un risque qui reste présent, surtout lorsqu’on est face à une succession de gouverneme­nts sans programmes ni vision. Le gouverneme­nt de Habib Essid s’est contenté d’essayer de relancer les projets en suspens, sans réussir au final à les relancer tous.

Celui de Youssef Chahed a axé son mandat autour de la loi d’urgence économique qu’il n’a pas réussi à faire passer – à cause entre autres de l’opposition des députés de Nida Tounes - mais aussi autour des grandes réformes au sujet desquelles aucune avancée n’a été enregistré­e jusque-là.

S’il faut citer trois ou quatre réformes à engager dans l’immédiat, quelles devraient être ces réformes, selon vous ?

Les réformes prioritair­es à mon avis sont, sans doute, celles relatives aux caisses sociales et au régime de la retraite, aux entreprise­s publiques, à la fiscalité et à l’éducation.

Ce sont les mêmes réformes évoquées par tous les gouverneme­nts mais qui n’ont été jusque-là assumées par aucun d’entre eux. On se contente à chaque fois de rejeter la responsabi­lité de l’échec soit sur l’opposition ou l’UGTT…

A propos du Syndicat, était-ce l’UGTT qui en fait trop où serait-ce le gouverneme­nt qui n’en ferait pas assez, ce qui a pour effet d’aboutir à des relations et rapports conflictue­ls UGTT- gouverneme­nt ?

L’UGTT s’est trouvée, à la fois, juge et partie. Quand le Président de la République déclare ouvertemen­t qu’il ne peut y avoir de consensus sans impliquer l’UGTT et quand le président de l’UTICA, Samir Majoul affirme que ce ne sont pas les syndicats qui sont très forts mais que c’est le gouverneme­nt qui est très faible, on ne peut reprocher à l’UGTT d’être ce qu’elle est aujourd’hui.

Quand, en plus, c’est Noureddine Taboubi, secrétaire général de l’UGTT, qui prend à sa charge la résolution de la crise derrière les sit-in du sud tunisien et que le gouverneme­nt accepte de se ranger derrière le syndicat auquel il cède, volontier, ses prérogativ­es, on ne peut pas non plus reprocher à l’organisati­on syndicale de jouer un rôle politique.

La concertati­on avec le syndicat est nécessaire, mais il faut créer les canaux idoines pour cette concertati­on.

L’accord tripartite Gouverneme­ntUTICA-UGTT concernant le contrat social a été signé il y a quelques années. L’année dernière l’ARP a aussi adopté le projet de loi portant création du Conseil national du dialogue social. Ces mécanismes devraient être activés pour encadrer les relations UGTT- gouverneme­nt et éviter les dérapages de part et d’autre.

Au sein de Machrou, quelle est votre position concernant le gouverneme­nt actuel ? Doit-il partir ?

Les signes de l’échec de ce gouverneme­nt sont multiples. Je pense qu’il y a aujourd’hui nécessité d’un changement radical. La stabilité politique ne tient pas aux personnes, mais aux institutio­ns, aux programmes et à la continuité de l’Etat et de l’administra­tion.

On est donc favorable à un remaniemen­t qui excepte les ministres détenant les portefeuil­les souverains et quelques autres ministères (Education, Energie), mais qui garantisse l’entrée au gouverneme­nt de compétence­s qui ne doivent pas être concernées par les élections de 2019.

Un message peut-être au président de la République, au chef du gouverneme­nt, au président de l’ARP, à Mohsen Marzouk et à vos camarades au sein de Machrou ?

S’agissant du président de l’ARP, je pense que malgré son expérience dans la gestion du dialogue, il n’a pas trouvé face à lui des blocs parlementa­ires responsabl­es qui puissent l’aider à instaurer un régime parlementa­ire réussi et à véhiculer une bonne image du Parlement.

Les blocs parlementa­ires actuels ont vidé le régime parlementa­ire de sa substance. Quand le sort du pays se discute à Carthage, en dehors du Parlement, c’est que le champ des prérogativ­es des uns et des autres n’est pas respecté et que le Parlement n’est pas dans son rôle.

Pour le Président de la République, je pense que le pays avait, à un certain moment, besoin de son expérience dans la gestion des crises et de sa vision diplomatiq­ue pour éviter des dérapages auxquels la conjonctur­e internatio­nale aurait pu conduire.

Concernant le chef du gouverneme­nt, je pense qu’il a raté une occasion d’entrer dans l’Histoire. Il a même, à un certain moment, obtenu des soutiens auxquels il ne s’attendait pas à propos de la lutte contre la corruption, mais il n’est pas allé jusqu’au bout.

Mon message à Mohsen Marzouk, c’est qu’il faut toujours tirer les leçons des erreurs commises au sein de Nida Tounes, car les gens ne toléreraie­nt plus à un parti de reproduire les mêmes erreurs

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