L'Economiste Maghrébin

LA LAITIÈRE ET LE POT AU LAIT

- Par Mohamed Ali Ben Rejeb

La morale de la fable de La Fontaine qui porte le même titre avance qu’à force de rêver en couleurs on finit par tout perdre dans le monde réel. La laitière en question avait en effet construit un monde de réussite, on va dire économique, à partir des projets que lui ouvrait son « pot » au lait. Manque de pot, et comme elle ne faisait plus attention aux peaux de banane, elle a donc trébuché et perdu et son pot et son lait, et bien évidemment sa part de rêve. Elle dut par conséquent dire adieu aux veaux, aux cochons et aux couvées qui avaient comblé son rêve. Dur retour à la réalité.

Cette histoire de laitière n’a évidemment rien à voir avec la fausse vraie histoire de crise de lait actuelle dans le pays. Le sentiment de désespoir qui gagne chez le commun des Tunisiens renvoie au spectacle lamentable que les ténors de la politique présentent au quotidien. Dans ce spectacle, l’abcès de fixation, tout au moins ce qui se laisse dire, serait le maintien ou le renvoi du chef du Gouverneme­nt. Les tenants et les aboutissan­ts de cette affaire sont abscons pour Monsieur Tout-le -monde, mais on peut simplifier en disant que « blanc bonnet ou bonnet blanc », cela ne change rien au résultat. On se demande même s’il ne va pas falloir passer par les « petites annonces » pour dénicher un candidat à ce siège éjectable à souhait.

Le navire prend eau et il n’est pas dit qu’un capitaine, quel qu’il soit et dans les tirailleme­nts actuels, puisse faire avancer les choses. De temps à autre, on sent comme un petit vent de reprise, sur les phosphates par exemple, mais la nouvelle ne vient manifestem­ent pas aux oreilles des convives de Carthage. A vue d’oeil, personne n’a rien à proposer, en tout cas pas le Président de la République, en proie à des conflits familiaux devenus affaire nationale. BCE est bien apparu à la télé pour mettre les pendules à l’heure, sauf qu’il s’est trompé de date et de journal météo. L’arbitre, comme on dit par temps de Mondial, n’aurait plus ni la lucidité ni l’impartiali­té qu’on attendrait dans une situation pareille. Et il n’y a même pas photo pour l’assistance vidéo.

Il faut dire que sur le gazon et le plancher des vaches, la cour est une vaste basse-cour dans laquelle de multiples coqs s’acharnent sur une pauvre poule mouillée. Les règles du jeu institutio­nnel étant ce qu’elles sont, il ne faut pas s’attendre à l’omelette puisque tous les oeufs sont cassés et étalés sur la place publique.

Bien sûr, on a pu sauver quelques miettes, dans la quasiindif­férence populaire il faut dire. Ainsi, la loi sur l’enrichisse­ment illicite vient d’être finalement adoptée. Sept ans après la révolution, contre la corruption de l’ancien système, ce n’est vraiment pas une prouesse mais on mange bien des merles quand on n’a pas de grives. Que l’applicatio­n stricte de cette loi puisse poser quelques problèmes, c’est évident, mais la loi existe désormais, en attendant que les magistrats puissent trouver à faire fonctionne­r leur Conseil Supérieur. La République des Magistrats a ses propres règles, espérons qu’elle fera preuve de magnanimit­é pour mettre en oeuvre la nouvelle loi. Cette République ne doit en tout cas pas prendre exemple sur celle des politicien­s, sinon avec les pots cassés, c’est la laitière qui préférera se faire harakiri.

Rappelons, juste pour ne pas entacher la réputation bien ancrée de nos représenta­nts, que le moment de pure abnégation qui a permis de voter la loi sur la corruption a été tellement épuisant que le lendemain, la Chambre s’est entièremen­t vidée. On devait en effet auditionne­r quelques ministres, dont celui de l’Agricultur­e par temps de pénurie d’eau et d’alerte dans les campagnes. Quelques courageux ont bien voulu trouver un petit créneau horaire au milieu des vacances, les autres ne voyaient probableme­nt aucune urgence à partager le quotidien des Tunisiens. Courageux de temps à autre, mais tout de même pas téméraires au point de réfléchir quand la chaleur accablante use les dernières volontés des optimistes.

Pour rester dans la fable de la laitière et des vaches à lait, des paysans du côté de Mahdia disent avoir laissé mourir leurs vaches en raison du manque d’eau. La nouvelle ne semble pas avoir ému grand monde, en tout cas pas de nombreux députés à n’en pas douter harassés par le poids du travail effectué et des responsabi­lités diversemen­t assumées. C’est là où les fables ne tiennent plus du tout des mensonges et que la réalité dépasse de très loin la fiction des querelles politiques. Les mêmes politiques mènent actuelleme­nt une bataille farouche autour de la répartitio­n des fauteuils ministérie­ls au moment où d’autres chaises, prévues pour les élus de la Nation, restent désespérém­ent vides. La laitière peut aller se rhabiller, il n’y a rien à attendre. A tous les étages de la maison feutrée de la politique, les rideaux sont fermés pour cause de messes basses et d’oeuvres inavouable­s.

Heureuseme­nt que dans des îlots d’espoir, des Tunisiens hardis continuent à braver les intempérie­s et à tenter de passer la tête, à défaut des épaules, pour continuer à survivre. Dans tous les cas, ces courageux ignorent les méandres de la politique politicien­ne et les calculs restreints. Ils n’ont certes pas les honneurs, ni la rémunérati­on pour. On va tenter d’y croire, et d’imaginer que la laitière de la fable pourra se refaire une santé en apprenant la leçon des ses déboires

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